Tout ce que nous vous avons décrit sur l'approche française de la sécurité et la défense de l'Europe, sur les initiatives que nous prenons dans différents formats et la complexité que nous devons gérer du fait de cette approche pragmatique, rien de tout cela ne remplace l'intérêt de l'Alliance atlantique pour un certain nombre de domaines qui sont en particulier les domaines du très haut du spectre, des équilibres stratégiques et de la stabilité de l'Europe autour de notre conception de l'article 5 et de la défense collective.
Nous vivons un moment particulier qui est lié à une crise très profonde des équilibres stratégiques et notamment des équilibres nucléaires en Europe, et marqué par un besoin d'adaptation de la posture de l'Alliance atlantique en matière de défense et de dissuasion. Ce processus d'adaptation a été engagé depuis de nombreuses années, depuis la suite de la crise en Crimée, par une série de décisions des sommets des chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance depuis le sommet du Pays de Galles, Varsovie, Bruxelles, et donc à la fin de l'année, Londres.
Dans cet environnement, la France a une voix particulière, elle a réintégré le commandement intégré de l'alliance en 2009, mais nous avons gardé une spécificité fondamentale qui est l'indépendance de notre posture et de notre stratégie nucléaires puisque nous n'avons pas rejoint le groupe des plans nucléaires. Aujourd'hui, nous essayons de porter cette voix de façon précise et forte au sein de l'Alliance pour orienter l'adaptation de la posture de dissuasion et de défense. Nous le faisons dans le cadre d'une forme de renucléarisation de l'Europe, dans la mesure où nous vivons aujourd'hui une crise majeure, celle du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI).
Nous avons collectivement déclaré, en décembre, la Russie en violation de ses obligations au titre du traité sur les FNI en raison du développement, par ce pays, d'un missile, le 9M729 (SSC8 dans la nomenclature OTAN), dont nous évaluons globalement que la portée n'est pas conforme aux dispositions du traité. Le traité FNI a mis fin en 1987 à la crise des « euromissiles » en bannissant une catégorie complète de missiles. C'est le seul et unique traité de sa catégorie dans le monde aujourd'hui. Tout missile sol/sol d'une portée comprise entre 500 et 5500 km est interdit, détruit et tous les pays clés, les États-Unis et tous les États successeurs de l'URSS, c'est à dire la Russie, mais aussi, le Kazakhstan, la Biélorussie ont l'obligation de ne pas procéder à des essais ou à des travaux de développement d'un missile d'une portée supérieure à 500 km.
Cette évolution rompt avec la tendance, depuis la fin de la guerre froide, à la diminution tendancielle de la possibilité de crises et de conflits ouverts et majeurs en Europe, par un effort de désarmement nucléaire collectif. Elle exige un effort renouvelé de définition de nouveaux équilibres stratégiques, notamment en matière de rapports entre l'OTAN et la Russie. Tous les éléments de stabilité sont remis en cause depuis 2013-2014 par l'évolution de la posture et de la stratégie militaire et nucléaire de la Russie et donc aujourd'hui par cette crise du traité FNI.
Ce que nous cherchons à faire, et qui occupe l'essentiel de notre agenda au sein de l'Alliance atlantique, c'est deux choses qui participent de notre volonté de partage du fardeau et du rééquilibrage de la relation transatlantique. Ces deux choses vont ensemble.
Nous continuons de considérer que les équilibres stratégiques et la stabilité stratégique en Europe doivent continuer à reposer sur un certain nombre de règles, de normes et de traités, même si le traité sur les FNI va probablement prendre fin le 2 août de cette année, puisque sa suspension pour six mois a été annoncée en février. Il est très peu probable que la Russie revienne en conformité malgré nos appels répétés, y compris notre dialogue bilatéral intense avec la Russie, pour essayer de trouver les voies et moyens de préserver le traité FNI, mais nos espoirs d'aboutir ne sont guère élevés.
Mais, après le traité FNI, il y a le traité « New Start » qui va arriver à échéance en 2021. Il n'est pas impensable que, d'ici 2021, l'Europe soit confrontée à une situation qui soit, peu ou prou, celle qui prévalait dans les années 60, c'est-à-dire une compétition nucléaire « parfaite », sans aucune contrainte, ni traité, ni vérification, entre les États-Unis et la Russie.
Premier élément du partage du fardeau et du rééquilibrage transatlantique, les Européens doivent se saisir de cette question. Nous ne pouvons pas accepter que les États-Unis et la Russie se livrent à une compétition nucléaire au-dessus de nos têtes.
La première chose qu'il s'agit donc de faire, c'est de repenser le contrôle des armes nucléaires en Europe pour les besoins de sécurité des Européens. Cet effort est à conduire à l'intérieur de l'Alliance de la même façon que nous l'avons fait dans les années 80 pour la négociation du traité FNI où les alliés se retrouvaient régulièrement à Bruxelles, avant et après les réunions de négociations bilatérales entre les États-Unis et l'URSS, pour définir ce qu'étaient nos intérêts et les défendre. Ces débats étaient profonds, puissants et parfois controversés. Ils ont été interrompus par la fin de la Guerre froide, depuis 1987-1992. Nous n'avons plus, nous Européens, pensé ce qu'était la contribution de la maitrise des armements nucléaires à la sécurité de l'Europe. Nous devons le faire aujourd'hui.
Deuxième élément, dans cette modification profonde des équilibres stratégiques en Europe, nous devons poursuivre de façon raisonnable, équilibrée et non escalatoire, l'adaptation de la posture de la défense et de dissuasion de l'Alliance atlantique puisqu'un environnement dans lequel nous sommes confrontés à une menace de missiles, y compris à double usage, y compris nucléaire, plus grave, nous incite à repenser la façon dont nous devons organiser la défense et la dissuasion à l'intérieur de l'Alliance atlantique pour les besoins de la défense et de la sécurité européennes.
Là aussi les Européens ont besoin de réapprendre à faire de la stratégie militaire et de la stratégie nucléaire de façon à faire prévaloir leurs vues et leurs intérêts de sécurité et c'est ce que nous faisons régulièrement avec les échéances très importantes, réunion des ministres de la défense en juin et Sommet en décembre.