Intervention de Alice Guitton

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 avril 2019 à 9h00
Relations transatlantiques et architecture de sécurité en europe à l'occasion des 70 ans de l'otan — Audition conjointe de Mme Alice Guitton directrice générale des relations internationales et de la stratégie dgris - ministère des armées et M. Nicolas Roche directeur de la direction des affaires stratégiques de sécurité et du désarmement das - ministère de l'europe et des affaires étrangères

Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie :

Les initiatives de défense de l'Union européenne ne seront pas sans conséquence pour ses institutions. La création, si elle se confirme, d'une Direction générale Défense (DG défense) au sein de la Commission européenne nécessitera, de notre part, un investissement humain important pour pouvoir y jouer un rôle influent, et posera la question de l'articulation avec l'Agence européenne de défense (AED).

À l'issue des prochaines élections européennes, nous aurons l'opportunité de bâtir une vision prospective, à partir des leviers que nous avons conçus, avec pour objectifs de :

- garantir la confiance des industriels qui se sont beaucoup investis, notamment à travers la recherche de partenariats ;

- maîtriser la gouvernance grâce à la participation des États. Il est aussi important que le comité en charge des questions éthiques au sein du Fonds européen de défense ne constitue pas un frein à l'innovation, car l'Europe doit soutenir la compétition technologique internationale grâce à une recherche et développement performante ;

- répondre, à travers la préférence européenne, aux défis de la fragmentation du tissu industriel européen : coexistence de nombreux systèmes différents ; manque d'agrégation des entreprises ; difficultés à répondre aux lacunes capacitaires identifiées, en cohérence avec le processus OTAN de planification de défense ; question de l'interopérabilité restant en suspens alors que le programme SCAF (système de combat aérien du futur) vient d'être lancé, etc.

L'appareil politique allemand est aujourd'hui tiraillé sur la question du contrôle des exportations d'armement en raison, d'une part, du contrat de coalition sur les questions de politique internationale (Yémen, Arabie saoudite), et, d'autre part, du principe de confiance mutuelle entre la France et l'Allemagne, consacré par le traité d'Aix-la-Chapelle, à l'heure où nos deux pays vont s'engager dans des projets industriels majeurs (SCAF et MGCS) auxquels des budgets conséquents devront être consacrés. En réponse aux débats qui se sont faits jour outre-Rhin, notre ambassadrice à Berlin a publié une tribune qui a été bien accueillie. La question cruciale du contrôle des exportations aura valeur de test pour notre coopération capacitaire, qui doit s'inscrire dans la durée.

Il existe, de part et d'autre de l'Atlantique, un besoin de rééquilibrage dans l'effort de défense et de la prise en compte accrue des intérêts stratégiques européens dans les discussions qui se tiennent entre Washington et Moscou. Les États-Unis ne doivent pas regarder l'Europe comme un théâtre dans lequel ils pourraient projeter leur confrontation avec la Russie ou d'autres puissances. Les Américains doivent par ailleurs consentir à davantage soutenir les initiatives européennes en matière de défense, qui contribuent directement à consolider leur engagement sur la voie des 2 % de leur budget accordés à la défense, à renforcer la sécurité transatlantique, et doivent permettre des retombées économiques et industrielles positives en Europe.

L'avenir de la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne est, pour le moment, difficile à appréhender en raison des incertitudes sur les modalités du Brexit. Le Président de la République a toutefois fait part de sa volonté de construire ce lien : la géographie, l'histoire et « l'ADN » commun de nos appareils de défense constituent à ce titre des éléments importants. Contrairement à ce qu'affirme Washington, le Royaume-Uni ne quitte pas l'Europe.

Sur la Turquie, la volonté du président Erdogan d'acquérir les systèmes de défense russes S-400 pose des questions, notamment pour la protection des réseaux de l'Alliance. Cela avait déjà été le cas par le passé, lorsque la Turquie avait été dissuadée d'acquérir des matériels chinois. À cela, s'ajoutent la contestation des valeurs libérales, la problématique syrienne... Il y a donc en effet des difficultés croissantes avec la Turquie, connues, avant tout abordées dans les relations bilatérales entre Washington et Ankara. Il reste essentiel d'éviter que ces tensions ne viennent miner la cohésion de l'Alliance.

Vous nous posiez la question de la communication auprès de nos partenaires de l'OTAN. Nous faisons un réel effort de communication, notamment sur nos activités face aux enjeux de sécurité des pays Baltes. Ces efforts sont récents, mais il est dans notre intérêt de les poursuivre. Ainsi par exemple, nous développons aussi actuellement, une communication centrée sur l'Arctique.

Sur les différences de niveau entre l'UE et l'OTAN, je peux vous donner quelques images. A la différence de SHAPE, la capacité de planification et de conduite militaire de l'UE monte graduellement en puissance. Elle n'est constituée que de 40 personnes et nous avons des difficultés à armer l'ensemble des postes. Les missions de l'Union européenne sont essentiellement non-exécutives, ce sont avant tout des missions de formation et d'entraînement. Il n'y a pas d'équivalent au niveau européen du sous-chef plans ou du sous-chef opérations, aux fonctions clés dans nos armées nationales. Notre but, c'est de susciter un sursaut stratégique européen et de rehausser le niveau d'ambition de nos partenaires européens.

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