Mes chers collègues, nous accueillons Mme Myriam Benraad, politologue, chercheuse au CERI-Sciences Po et à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Irémam), spécialiste de l'Irak et du monde arabe, pour traiter des enjeux et des perspectives de la reconstruction en Irak.
Madame Benraad, la commission vous avait auditionnée en mars 2015, alors que l'État islamique s'était emparé en 2014 de la deuxième ville d'Irak, Mossoul, et vous aviez alors longuement insisté sur les ferments profonds de cette catastrophe, en particulier la mise à l'écart des sunnites en Irak, qui a constitué le terreau sur lequel Daesh a pu prospérer. Votre analyse visionnaire a - malheureusement - révélé depuis lors depuis toute sa pertinence, et nous sommes aujourd'hui inquiets de voir que ces ferments subsistent toujours.
Alors que le 9 avril prochain marquera le seizième anniversaire de la chute de Saddam Hussein, nous souhaitons faire un point sur cette région agitée.
Dans une région traumatisée par les drames syrien et yéménite, marquée par les tensions entre l'Iran et ses voisins arabes, l'Irak semble être le seul élément dont l'évolution, quoique fragile, semble positive, au moins en contraste des destructions et atrocités que ce pays a connues depuis près d'une génération. Daesh y est vaincu militairement depuis 2017 ; le scrutin de 2018 a permis la victoire, certes relative, d'un courant politique réformiste ; je l'ai constaté lors de mon déplacement avec le ministre des affaires étrangères, le dialogue entre le gouvernement central et les autorités kurdes a progressé. En bref, la situation semble connaître une nette amélioration depuis deux ans. Bien sûr, nous restons prudents dans notre appréciation. Certains éléments de Daesh sont passés dans la clandestinité et mènent des actions de déstabilisation dans le nord du pays, face à des forces armées irakiennes qui peinent encore à assurer la stabilité sur l'ensemble du territoire. La formation du gouvernement est assez difficile. Enfin, la situation humanitaire, bien qu'elle connaisse une amélioration sensible, reste préoccupante.
Demeurent aussi les questions, centrales, de la réconciliation et de la justice transitionnelle. Le Sénat a adopté, il y a quelques semaines, une résolution prévoyant la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle, condition d'une reconstruction durable, et nous avons eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises, y compris avec M. Le Drian, la problématique de l'épuration religieuse et ethnique qu'a connue l'Irak.
C'est dans ce contexte que nous nous penchons aujourd'hui sur les perspectives de la reconstruction irakienne, une reconstruction économique notamment. L'Irak a besoin de reconstruire ses infrastructures en matière de transport et de santé ; il dépend fortement des bailleurs et donateurs étrangers. La France y a consacré quelque 60 millions d'euros en dons depuis 2017. À cet égard, comment jugez-vous l'effort français ? Et comment le comparer à celui des autres acteurs ?
Par ailleurs, comment unifier une société irakienne marquée par les crimes de Daesh, les persécutions des minorités et la question kurde ? Comment répondre aux révoltes citoyennes qui agitent, depuis plusieurs mois, le sud du pays, alors que la persistance de nombreux groupes armés, légitimés par la lutte antidjihadiste, constitue un défi pour l'autorité de l'État ?
Enfin, quelle influence les puissances étrangères ont-elles sur cette reconstruction, l'Irak ayant la particularité de devoir maintenir de bonnes relations avec, d'une part, l'Iran, qui influe en profondeur sur la politique et l'économie irakiennes, et, d'autre part, les États-Unis, qui conservent d'importants leviers sur l'exécutif irakien ? Sans oublier, naturellement, l'intérêt de la Russie ou de la Turquie pour ce pays.
Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo.