Intervention de Myriam Benraad

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 avril 2019 à 9h00
Enjeux et perspectives de la reconstruction de l'irak — Audition de Mme Myriam Benraad politologue spécialiste de l'irak et du monde arabe

Myriam Benraad, politologue, spécialiste de l'Irak et du monde arabe :

Une partie de la population est toujours là, mais les déplacés sont toujours parqués dans des camps, sans perspective de retour : des quartiers n'ont pas été remis en état ; il n'y a tout simplement plus d'habitat dans certaines zones. Là encore, toutes les promesses non tenues du gouvernement vont susciter beaucoup de colère et sont de nature à créer une nouvelle crise. Une partie des réfugiés sont rentrés. Au-delà, beaucoup ont quitté ces territoires et ne sont toujours pas rentrés. Il faut distinguer les déplacés internes qui se trouvent toujours en Irak et les réfugiés qui n'ont pas la volonté de revenir, y compris ceux qui sont partis dans les pays voisins. Depuis 2003, des communautés irakiennes sont installées en Jordanie ; ce fut aussi le cas en Syrie. Cette question n'est pas nouvelle ; elle précède l'État islamique, la situation s'est amplifiée depuis.

La présence américaine a toujours été très contestée, mais les principales milices chiites de la mobilisation populaire la rejettent plus encore maintenant, estimant que l'essentiel du travail pour mettre à mal l'État islamique a été fait. Les tensions entre les États-Unis et l'Iran ont aussi des répercussions. Les déclarations très violentes contre la présence américaine émanent essentiellement de forces chiites locales très liées à l'Iran, alors que le gouvernement irakien a une position beaucoup plus modérée, avec une logique de diversification des appuis, de maintien des liens avec les États-Unis et l'Iran.

Les autres forces régionales et internationales impliquées dans la lutte ont effectivement un rôle à jouer. L'Union européenne est un partenaire financier de premier plan pour ce qui concerne la reconstruction. Vous avez mentionné une assistance technique de la France dans le domaine de la justice, mais cela n'est pas nouveau. Le gouvernement irakien n'est pas en demande, alors qu'il en a besoin pour traiter un certain nombre de dossiers. C'est aussi vrai pour ce qui concerne la lutte contre la corruption. Il serait souhaitable de mettre en place une plus grande coopération, car cela fait partie de la reconstruction au sens large.

Je l'ai dit, l'Irak est confronté à un problème structurel systémique. C'est un chantier ambitieux, qui paraît irréalisable sur un temps court. Selon moi, le pays n'aura pas réglé toutes ces questions dans dix ans. J'observe une forme de bis repetita. Rappelons-nous, l'État islamique avait déjà été mis à mal par les Américains entre 2017 et 2018. Une loi d'amnistie avait permis de mettre hors des prisons des bases américaines un certain nombre de détenus, que l'on a retrouvés à l'avant-garde du groupe. La question de l'après se posait déjà en 2017.

Aujourd'hui, on sort vraiment d'une séquence d'intenses destructions, voire de dévastations. On peut légitimement se demander à quoi ressemblerait une énième crise. À mon avis, on atteindrait des sommets de violence.

Pour terminer, j'aborderai la question sociale. De ce point de vue, le groupe État islamique est à part entière un mouvement social extrémiste. Au-delà du projet politique, les militants ont mobilisé pendant des années autour de l'injustice sociale, de la corruption, des inégalités, promettant la revanche sociale. Vous m'avez interrogée sur le clivage entre les citadins et les ruraux, une question importante qui n'est jamais abordée. La séduction idéologique a opéré sur les « notabilités », dans les villes. Dans les zones tribales défavorisées aux périphéries des villes, l'adhésion des ruraux s'est faite autour de l'idée de revanche contre le centre urbain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion