Intervention de Ettore Licheri

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 avril 2019 à 9h40
Institutions européennes — Réunion conjointe avec une délégation du sénat italien

Ettore Licheri, président de la commission des affaires européennes du Sénat italien :

Merci de votre accueil, dans la ville de la démocratie : à chaque fois que je viens à Paris, je respire le parfum de la liberté, de l'égalité et de la fraternité - trois valeurs vacillantes de nos jours, même en Europe !

Je vous propose que nous laissions de côté la rhétorique politicienne. Nous sommes la voix du peuple, et devons sortir des polémiques pour parler vrai. Nous n'aimons pas l'Europe telle qu'elle est. Il faut le reconnaître, même s'il est toujours difficile d'admettre s'être trompé, surtout sur des sujets si vitaux. La France et l'Italie sont membres fondateurs de l'Union européenne, et c'est grâce à l'Europe que nous avons pu progresser ensemble et préserver la paix. Mais c'est en admettant nos erreurs que nous construirons une Europe plus populaire et plus belle.

Nos pères fondateurs se sont trompés en initiant une monnaie commune pour des économies si diverses, notamment en matière de dette publique. Le critère des 60 % aurait dû être respecté avant la création de l'euro, car cet alignement s'est avéré beaucoup plus difficile à obtenir ensuite. Et la Banque centrale européenne (BCE) ne disposant pas du pouvoir d'être prêteur en dernier ressort, cela a laissé à quelques centres financiers la faculté d'attaquer des États souverains, plaçant chaque État-membre en situation de vulnérabilité. Avec le temps, la disparité entre les pays n'a fait que s'accroître.

L'Italie le ressent fortement. C'est pourquoi nous avons voté une loi de finances en rupture par rapport à ce système malade, dont la dette publique en constante augmentation est le premier symptôme : alors que, depuis quinze ans, l'Italie dépense moins que ses recettes, sa dette ne cesse de s'accroître et ce que nous gagnons par les sacrifices de nos concitoyens sert à payer ses intérêts. Nous avons voulu réagir en revoyant le système, en mettant en sécurité la partie la plus vulnérable de la population. Cela n'a pas plu car, dans les lois de finances, la stabilité financière compte plus que les dépenses sociales. Et notre Constitution nous contraint à rechercher l'équilibre budgétaire. Est-ce une raison pour laisser se rompre le pacte de cohésion sociale ?

En période de crise, il faut au contraire veiller à le préserver. Dans nos banlieues, la souffrance, le chômage, la marginalisation menacent d'éclatement. À l'État de veiller au respect des valeurs de solidarité sociale ! Nous l'avons fait, mais l'Europe a dénoncé ces mesures comme des dépenses excessives et réclamé une politique d'investissement. Mais de telles dépenses, à nos yeux, sont bel et bien un investissement dans la survie, à long terme, de la démocratie ! Le but n'est pas d'en retirer des intérêts, mais de faire durer la démocratie et la liberté. Ce sont des investissements de paix. Encore faut-il en convaincre la Commission...

Par sa politique monétaire expansionniste, M. Draghi a aidé l'Italie et a permis à l'Europe de rester debout. La baisse des cours des matières premières et du pétrole a dopé la production industrielle et les investissements partout dans le monde. Mais l'Italie est apparue 27ème sur 27 dans le classement européen des pays en fonction de leur croissance. Comment était-ce possible avec un tel bagage technologique, une telle créativité, de telles ressources ? Parmi les causes endogènes, nous avons identifié le poids insupportable de la bureaucratie, une corruption élevée, de trop longs délais de traitement devant la justice civile, et un sens défectueux du bien commun. Nous avons cherché à traiter ces quatre causes, notamment par une loi contre la corruption. Ainsi, une personne condamnée pour corruption ne devrait plus pouvoir travailler dans les administrations publiques. Nous devions provoquer une rupture, y compris comme signal vis-à-vis de l'Europe. Et nous réclamons votre soutien, au nom de la longue histoire de nos relations.

Sinon, l'Europe risque la rupture. Pour la conjurer, il faut adopter une politique européenne alignant les taux de croissance réels des différents pays. En d'autres termes, il faut permettre aux pays endettés d'investir ! Ce n'est qu'ainsi qu'ils pourront produire davantage de richesses et rembourser leurs dettes. Sinon, le débiteur finit par ne payer que les intérêts, sans jamais parvenir à réduire le capital restant dû, qu'il transmet indéfiniment aux générations suivantes. Avec le Brexit, la réduction de la croissance allemande, qui ne devrait pas dépasser 0,8 %, et les tensions commerciales, ce n'est sans doute pas le meilleur moment pour parler d'investir. Mais nous devons le faire, pour éviter l'accroissement des divergences entre États-membres.

Car nous avons déjà deux Europe bien distinctes : l'Europe du Nord, des pays riches, et celle du Sud, des pays pauvres. Et il y a aussi l'Europe des pays de l'Est... Entre ces groupes, la conciliation n'est jamais facile. Dans le Sud de l'Italie, j'ai parlé avec les producteurs d'olives, qui souffrent non seulement des bactéries qui attaquent leurs arbres, mais surtout des facilités que l'Europe a généreusement accordées à leurs concurrents tunisiens, pour récompenser la Tunisie devenue démocratique après les printemps arabes. Cette générosité européenne, assurément, n'a rien coûté aux pays du Nord ! Et nul n'a songé à en compenser le coût pour les producteurs impactés, parce que les cerveaux qui l'ont imaginée - à juste titre - sont trop loin du terrain.

Nous ne pouvons pas continuer à concevoir l'Europe comme une course de Formule 1, car chaque voiture a besoin de pièces différentes. Il faut une Europe à géométrie variable, avec une flexibilité et une solidarité suffisantes pour éviter la rupture.

Pour nous, la PAC est une forme très importante de welfare. En Sardaigne, il y a deux mois, le prix du lait de chèvre était passé en-dessous de celui de l'eau minérale. Les éleveurs, pour protester, en ont déversé dans les rues. Voilà ce qui arrive quand on laisse la loi du profit ôter leur dignité aux travailleurs ! Nous devons veiller à préserver nos traditions et notre histoire en matière alimentaire, gastronomique et agricole.

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