Intervention de Michèle Kirry

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 22 novembre 2018 : 1ère réunion
Quel avenir pour les services publics dans les territoires ? les propositions du rapport du comité action publique 2022 cap 2022 relatives aux collectivités territoriales et à l'action publique locale

Michèle Kirry, préfète de la région Bretagne :

Pour être honnête, j'ignore les raisons pour lesquelles j'ai été choisie. Pour l'essentiel, ma carrière s'est déroulée en administration centrale, et j'occupais un poste territorial. J'ai toutefois été très heureuse que l'on me confie ce groupe. J'ai eu deux postes à la Direction générale des collectivités locales (DGCL), j'ai été préfète de terrain, et j'ai vécu beaucoup de réformes de structure. Lorsque j'étais directrice de l'administration générale du personnel et du budget puis directrice des ressources humaines des ministères sociaux, j'étais pleinement impliquée dans les réorganisations révision générale des politiques publiques (RGPP), réforme de l'administration territoriale de l'État (REATE) ; et armement des nouvelles agences régionales de santé (ARS). Durant ce double parcours, territorial et central, j'ai observé comment la situation était ressentie de part et d'autre. Je n'oublie donc jamais la manière dont les agents des collectivités et de l'État perçoivent cette succession de réformes.

La méthode du groupe de travail est collaborative : tout a été réalisé dans un temps extrêmement court, à partir de mi-janvier 2018 et de la remise d'un rapport qui a nourri le rapport CAP 22 lui-même. Il me paraissait impossible de travailler en chambre, bien qu'il y ait matière à le faire, notamment grâce aux rapports des assemblées et de la Cour des comptes. Toutefois, j'éprouvais vraiment le besoin d'animer un véritable groupe de travail, avec une parole libre, et d'y mêler des services de l'État et des collectivités.

Nous avons donc constitué un groupe de travail composé à parts égales de représentants des services de l'État, des collectivités territoriales et d'élus. Je précise que nous avons ouvert le groupe « Nouvelle action publique territoriale » aux représentants des collectivités territoriales qui faisaient déjà partie des groupes thématiques de CAP 22, et avons obtenu des réponses positives.

Tout a commencé le 29 janvier 2018 par une séance d'aspect psychanalytique, où chacun pouvait exprimer son ressenti sur l'exercice de ses fonctions, l'enchevêtrement des missions, la perte d'efficacité. Philippe Laurent était présent. Nous nous trouvions dans un lieu neutre. Cette séance a été fort productive. Elle a débouché sur un atelier, qui s'est tenu le 26 février 2018, pour approfondir les éléments discutés précédemment.

J'ai aussi eu plusieurs auditions. Nous avons également éprouvé le besoin d'aller sur le terrain et avons rencontré les agents de la préfecture de la Marne, le 12 mars 2018. Frédéric Mion, l'un des coprésidents, est venu avec nous.

Le travail a également été nourri par des contributions libres d'acteurs de terrain. J'avais personnellement engagé tous les participants aux ateliers à faire parvenir leurs contributions, dont certaines étaient très riches. J'ai également eu une rencontre très intéressante avec le représentant des administrateurs territoriaux, Fabien Tastet ; des directeurs de centres de gestion ; des élus ; des DGS ; du Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) ; et des associations représentant les directions départementales interministérielles. Ces dernières, depuis la mise en oeuvre de la REATE, répertorient ce qui fonctionne mal. Nous devrions nous en inspirer ; je suis convaincue que recourir plus souvent à une approche ascendante permettrait d'obtenir des réformes mieux ancrées dans les réalités de terrain.

Dès le départ, le cadrage était clair : il ne s'agissait pas de revenir sur la réforme des structures. En effet, mon constat est le suivant : depuis une dizaine d'années, l'administration territoriale, dans sa double composante État et collectivités, a connu un rythme de réformes extrêmement soutenu (RGPP, REATE, lois MAPTAM et NOTRe). Ces réformes ont privilégié les structures au détriment des missions. Or, la question fondamentale est : qui est le mieux outillé pour faire quoi ? C'est donc cet angle de travail que nous avons adopté. Notre ambition était d'aborder la réforme de l'action publique sous l'angle de l'efficience accrue de la mise en oeuvre des politiques, et de proposer une gouvernance territoriale qui soit plus efficace pour les acteurs et plus lisible pour les citoyens, sans toucher aux structures.

Le groupe de travail a pris acte de trois éléments :

- Les précédentes réformes étaient incomplètes. Depuis 2009 et la RGPP, toutes les réformes se sont attachées à modifier les structures sans réellement interroger la nature des missions, ni leur partage entre État et collectivités ;

- Les différentes vagues de transfert de compétences n'ont pas réellement réussi à clarifier les rôles. Nous constatons que, même dans des pans de compétences entièrement décentralisés, l'État, par réflexe, continue d'en exercer certaines, souvent mal, créant ainsi des doublons. Plusieurs raisons expliquent cette rétention de compétences. Premièrement, l'État central a des difficultés à concevoir une politique publique qu'il ne mettrait pas en oeuvre lui-même. En cela, il se trompe, puisque son rôle se borne à en vérifier la mise en oeuvre. Les agents de l'État ont d'ailleurs intériorisé l'idée selon laquelle seul l'État peut garantir les principes du service public, ce qui dénote une méconnaissance totale des responsabilités des collectivités.

La deuxième raison réside dans le déficit de confiance vis-à-vis des collectivités, qui continuent d'être suspectées d'articuler leur action uniquement sur les calendriers électoraux. Pourtant, trente-cinq ans après les premières lois de centralisation, cette suspicion n'a plus lieu d'être.

La troisième raison transparaît dans le mouvement dit des « gilets jaunes », qui révèle un véritable malaise dans toute une frange de la population. Elle tient dans l'attitude très contradictoire des citoyens, qui désirent à la fois toujours plus et toujours moins de présence étatique. Or, dans un système où l'État s'estime toujours le seul légitime à intervenir dans la totalité de la production du service public, le poids des administrations centrales reste le même. L'État ne remet pas en question ses propres organigrammes ni sa structure RH. Je donne un exemple, issu de ma propre expérience de DRH des ministères sociaux : y compris dans des champs de compétences entièrement décentralisés, l'État continue à recruter des corps entiers de fonctionnaires. Le corps des conseillers d'éducation populaire comprenait à l'époque plus de 1 700 agents, alors que ce sont les collectivités territoriales qui sont les plus proches du terrain. Des concours sont encore organisés tous les ans. Les fonctionnaires des directions départementales de la cohésion sociale continuent à exercer des missions sans aucune valeur ajoutée. Ces chevauchements de compétences sont dommageables pour les agents eux-mêmes et vont à l'encontre de la lisibilité du service public.

- La montée en puissance des collectivités territoriales n'est pas prise en compte. Elle est liée au développement d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui couvrent tous les territoires, à l'émergence des métropoles, et au renforcement des régions. Le système fonctionne donc toujours comme si l'État était le seul garant de la production du service public alors que les acteurs de terrain ont atteint un réel niveau de maturité et méritent la confiance.

Je reviens sur une de mes expériences, vécue au moment de l'Acte II de la décentralisation, la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Lors du transfert vers les régions et départements des 100 000 personnels techniciens, ouvriers de service (TOS), ces personnes, qui relevaient du service public de l'Éducation nationale, ont dénoncé la casse du service public. Pourtant, la gestion étatique était invraisemblable, et ces manquements étaient compensés auprès des fonctionnaires par des avantages en matière de temps de travail. La loi leur ayant ouvert un droit d'option, ils ont finalement tous opté pour la fonction publique territoriale. En outre, ils sont mieux rémunérés et la gestion dans les collèges et lycées est plus efficace. C'est un bon exemple de la maturité des collectivités, qui sont devenues de gros échelons de gestion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion