Il est rassurant de constater cette lucidité partagée. Ce que vous dites sur l'État me rappelle les travaux de Pierre Legendre sur la mythologie de l'État, qui est tellement enracinée en France qu'il est très difficile d'en sortir. Notre pays s'est construit sur une centralité omnisciente, ce qui explique la situation. Je pourrais aussi souligner qu'il existe un cycle électoral local et que les collectivités y sont peut-être soumises. Cependant, il y a aussi un cycle électoral national et certains fonctionnaires y sont soumis.
Le doublonnage nuit aux collectivités comme à l'État. Actuellement, l'État central est victime d'une obésité morbide qui l'empêche profondément d'agir. Dans un État surchargé, la véritable question est celle de la doctrine territoriale de l'État. Quelle est sa volonté de couverture du territoire ? J'ai travaillé pour le Centre d'étude et de prévision du ministère de l'Intérieur sur des schémas de déploiements territoriaux, mais dans les faits, rien n'a été tranché. Les collectivités ne refusent pas l'État en soi, mais refusent l'arbitraire de l'État quand il est uniquement fondé sur une norme qui compense le manque de moyens. Cette situation est souvent perverse. Les collectivités souhaitent cependant un contrôle de l'État, bien fait et avec des moyens, or cela n'existe plus. La véritable position de l'État est celle d'un état-major régalien au niveau local, mais cela ne passera pas uniquement par la suppression de personnel mais par du ré-aiguillage.
Nous ne sommes pas seulement dans une logique organisationnelle, mais aussi dans une logique institutionnelle et fonctionnelle. Comment l'État va-t-il s'adapter aux évolutions extrêmement fortes qu'ont connues les collectivités dans des proportions inouïes depuis ces vingt dernières années ?