Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 29 avril 2019 à 17h00
Projet de programme de stabilité — Débat organisé à la demande de la commission des finances

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier :

Mais il reste étonnant de retenir des hypothèses si éloignées du consensus. La prévision de charge de la dette n’a pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée.

Venons-en maintenant au sujet qui nous intéresse principalement : la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement. Je le dis, le nouveau scénario proposé apparaît particulièrement dégradé.

Certes, d’un côté, l’exécution 2018 a été légèrement plus favorable qu’escompté, permettant ainsi au Gouvernement de disposer d’un « effet base » positif de 0, 1 point. Mais, de l’autre côté, la dégradation des perspectives de croissance de 2019 à 2022 pèse à hauteur de 0, 5 point de PIB sur le solde en 2022.

En outre, la trajectoire budgétaire est évidemment bouleversée par les réponses apportées en décembre dernier à la fameuse crise qui est survenue. Le Sénat a approuvé ces dépenses, mais nous aurions pu les éviter comme il l’avait en quelque sorte anticipé. Ces mesures représentent à elles seules 7, 4 milliards d’euros en 2019, soit 0, 3 point de PIB. En 2022, elles représenteraient 12, 9 milliards d’euros, soit 0, 5 point de PIB, en retenant le gel de la trajectoire carbone.

Au total, la trajectoire de réduction du déficit public est significativement remise en cause puisque le solde serait dégradé de 0, 9 point de PIB en 2022, la France s’éloignant ainsi un peu plus du retour à l’équilibre des comptes publics.

Naturellement, on assisterait aussi à un moindre infléchissement du ratio d’endettement et à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB.

Certes, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB devrait quant à elle être plus importante qu’escompté, mais, à l’issue du quinquennat, rappelons-le, le poids de ces prélèvements resterait néanmoins supérieur de 1, 7 point à celui qui était observé avant la crise financière. Le quinquennat de M. Macron permettra juste d’effacer les excès du quinquennat de M. Hollande.

Alors, que penser de cette nouvelle trajectoire budgétaire ?

Il convenait indéniablement de répondre à la crise communément appelée des « gilets jaunes » et, par-delà, aux attentes des Français. Le Sénat, vous le savez parfaitement, mes chers collègues, a été le premier, dès l’année dernière, à voter le gel de la trajectoire carbone. Nous avons ensuite soutenu, parfois anticipé, les mesures de soutien au pouvoir d’achat en décembre dernier. En compensation, ces mesures devaient s’accompagner, selon nous, d’une plus grande maîtrise de la dépense.

Nous sommes inquiets du nouveau report du redressement des comptes publics – nous venons à l’instant d’en débattre en commission des finances –, car il risque de fragiliser la crédibilité de notre politique budgétaire et la capacité de l’économie française à faire face aux chocs.

Lors de la gestion de la crise financière, la France a choisi un redressement plus progressif – c’est le moins que l’on puisse dire – de ses comptes publics, afin de ne pas fragiliser la timide reprise économique. Si cette stratégie budgétaire peut se comprendre, sa crédibilité repose néanmoins sur l’engagement d’un effort de redressement des comptes publics significatif, une fois l’économie revenue à son niveau d’activité potentiel.

De ce point de vue, le contexte actuel paraît doublement favorable. D’une part, l’écart de production est pratiquement résorbé à l’issue de l’exercice 2019 et devrait même être positif à compter de 2020 ; d’autre part, la France bénéficie depuis 2017 d’un effet « boule de neige » positif, qui facilite la réduction du ratio d’endettement. Cette situation devrait se prolonger.

Pourtant, nous ne profitons pas de ce contexte favorable, le Gouvernement préférant encore une fois reporter cet effort à la fin du quinquennat en « surfant » sur la conjoncture. La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, qui s’écartait déjà très significativement des règles européennes, est ainsi revue à la baisse sur la période 2019-2021.

Ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d’endettement par rapport au reste de la zone euro. Or cela risque malheureusement de rendre l’économie française plus vulnérable aux chocs, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d’amortisseur en cas de ralentissement économique, de crise, ou encore en l’exposant à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés du fait de son niveau élevé d’endettement.

Au-delà, si peu ambitieuse soit-elle, la trajectoire de redressement proposée par le Gouvernement reste sujette à caution.

Tout d’abord, la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts d’économies les plus significatifs sur la fin du quinquennat, alors même qu’il est assez rare, monsieur le ministre, de voir un gouvernement réaliser des économies à l’approche de la campagne présidentielle ! C’est assez irréaliste, au moins sur le plan politique…

Un second facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire, qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris. Même pour l’exercice en cours, les incertitudes sont importantes.

Ainsi, les économies de 1, 5 milliard d’euros annoncées sur l’État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées. Où les trouve-t-on ?

Il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en œuvre de certaines mesures. Je pense à la « contemporanéisation » des aides au logement : les économies qu’elle pourrait permettre de réaliser devraient être précisément documentées ; or tel n’est pas le cas. Je pense également au retard dans la mise en œuvre des nouvelles règles d’indemnisation du chômage, qui, pour le coup, sont, elles, documentées.

À tout cela s’ajoute le fait que la trajectoire gouvernementale pourrait pâtir d’une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique.

J’ai indiqué dans le rapport écrit deux scénarios macroéconomiques alternatifs. Tous deux montrent que nos finances se dégraderaient plus rapidement si la conjoncture était moins favorable que prévu.

Enfin, et c’est un peu surréaliste, ce programme de stabilité a été établi « indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national ». C’est là une manière de dire que ce document est d’ores et déjà obsolète !

En effet, au moins quatre des mesures annoncées jeudi dernier pourraient se traduire par un impact significatif sur la trajectoire budgétaire.

Je pense à la baisse de l’impôt sur le revenu, à hauteur d’environ 5 milliards d’euros, même si certaines niches fiscales, mais on ne sait pas lesquelles, devraient être rabotées. Je pense ensuite à la réindexation partielle des pensions en 2020 : je rappelle que le Sénat avait proposé cette mesure, qui coûterait 1, 4 milliard d’euros. Je pense au renoncement total ou partiel à la suppression de 120 000 postes dans la fonction publique à l’échelle du quinquennat : cela représente une économie de 3 milliards d’euros sur laquelle on « s’assied ». Enfin, je pense au fait de porter à 1 000 euros le montant de pension minimale pour les carrières complètes dans le privé, ce qui représenterait un surcoût de 150 millions d’euros.

En première analyse, grossière à ce stade, certes, les enjeux budgétaires pourraient donc aller jusqu’à 0, 4 point de PIB, en l’absence de mesures de compensation. Peut-être allez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelles économies réelles permettront de financer ces mesures nouvelles ?

Ce projet de programme de stabilité apparaît plus que jamais déconnecté des arbitrages budgétaires, ce qui crée un doute sur la crédibilité de ce document, pourtant censé constituer le support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire.

La commission des finances considère qu’il ne serait pas acceptable de financer, une nouvelle fois, les annonces du Président de la République par le recours à l’endettement. J’espère que les finances publiques ne seront pas une nouvelle fois sacrifiées. À ce stade, nous en doutons.

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