Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, avant sa transmission à la Commission européenne, qui doit intervenir au plus tard demain.
Notre commission a souhaité ce débat en séance car il s’agit de la programmation de l’ensemble de nos finances publiques, qui engage la crédibilité de notre pays à l’égard de nos partenaires européens, à quelques semaines du renouvellement des institutions communautaires. Le Parlement ne peut pas en être tenu à l’écart.
Ce débat nous laissera cependant sur notre faim. En effet, je cite, « le programme de stabilité a été établi indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national et constitue le point de référence technique » préalable aux décisions qui seront prises en matière de fiscalité ou de dépense publique. Il est pour le moins singulier que le Gouvernement soumette au Parlement et à la Commission européenne une présentation technique déconnectée des décisions politiques. Mais il est vrai que les ministres étaient dans l’attente des arbitrages présidentiels.
Or les arbitrages du Président de la République ont finalement été annoncés jeudi dernier, lors d’une conférence de presse. Outre l’engagement général de ne pas augmenter l’impôt et de réduire « significativement » l’impôt sur le revenu, sont annoncées la suppression de niches fiscales pour les entreprises, la nécessité de travailler davantage et des réductions de notre dépense publique, sans autres précisions.
Les arbitrages difficiles sur la fiscalité énergétique sont renvoyés à plus tard. Une convention citoyenne serait mise en place en juin.
Depuis l’intervention présidentielle, le Gouvernement a annoncé que 15 millions de foyers seraient concernés par la réduction d’impôt sur le revenu, pour un coût de 5 milliards d’euros, en se gardant bien de préciser les contreparties exigées.
S’il dit avoir entendu la demande de nos concitoyens d’une plus grande justice fiscale, le Président de la République n’entend pas pour autant revenir sur la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, renvoyant son évaluation à 2020. On ne peut que s’interroger sur une évaluation conduite deux ans après l’adoption d’une réforme décidée par « pragmatisme », selon ses termes.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, la commission des finances conduit, avec le rapporteur général, des travaux d’évaluation de cette réforme fiscale et de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique. Nous comptons qu’ils aboutissent avant – et non après ! – l’examen du prochain projet de loi de finances.
En matière de maîtrise de la dépense publique, le Président de la République indique : « Nous pouvons faire aussi bien en dépensant moins et donc supprimer nombre d’organismes inutiles. » Exception faite de la suppression de l’ENA, l’École nationale d’administration, qui n’a évidemment pas un objectif de réduction des coûts, de nouveaux organismes sont créés : convention citoyenne, conseil de défense écologique, etc.
En réalité, ce programme, dit « de stabilité », témoigne de la perspective d’une dégradation de nos finances publiques. Celle-ci est due pour partie à la révision à la baisse des hypothèses de croissance : l’an passé, le programme de stabilité tablait sur une croissance de 1, 9 % en 2019 et de 1, 7 % au-delà. Celle-ci est ramenée à 1, 4 % sur toute la période. Ce ralentissement n’est évidemment pas sans lien avec l’évolution de l’économie mondiale et de la zone euro, mais il résulte aussi du surcoût lié à la crise des « gilets jaunes », qui pèse sur les comptes publics à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros.
Le solde public, qui devait se redresser jusqu’à redevenir légèrement excédentaire en 2022, serait finalement déficitaire de 1, 2 point de PIB à la fin du quinquennat. La dette publique atteindrait 96, 8 % du PIB, et non 89, 2 %. Le déficit structurel resterait à un niveau élevé sur toute la période, tandis que le taux de prélèvements obligatoires serait de 44 % du PIB en 2022, comme en 2019, avec un rebond en 2020 et 2021, que le Gouvernement explique par le « contrecoup » de la transformation du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Il est assez singulier que le Gouvernement annonce dans le programme de stabilité que les baisses de l’impôt « se poursuivront sur le reste du quinquennat » en citant la suppression de la taxe d’habitation et la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 %, alors même que le taux de prélèvements obligatoires ne devrait pas continuer de baisser dans la trajectoire qu’il présente – mais sans doute est-elle déjà obsolète – et surtout que le financement de ces mesures reste inconnu.
Certes, le Gouvernement annonce que la dépense publique sera réduite de 54 % du PIB en 2019 à 52, 3 % du PIB en 2022, mais le Président de la République n’a rien annoncé de concret à ce sujet. Quant au programme national de réforme, il mentionne seulement le projet de loi de transformation de la fonction publique. Il est vrai que sont citées la poursuite de la « transformation » de la politique du logement, avec la modification de la base de calcul des APL, qui vient pourtant d’être repoussée, la réforme de l’audiovisuel public, qui n’est pas encore faite, la réduction du volume des contrats aidés, dont on voit mal qu’elle puisse encore s’accélérer, et « la revalorisation maîtrisée de certaines prestations de l’État, notamment des pensions ».
L’ensemble de ces mesures, qui visent parfois les plus modestes, ne permettent pas de dessiner des perspectives d’avenir. Le Président de la République les a d’ailleurs contredites en annonçant une réindexation des pensions de moins de 2 000 euros en 2020 et la fin de toute sous-indexation en 2021.
Si l’on regarde les différentes composantes de la dépense publique, on observe que le déficit de l’État restera élevé sur tout le quinquennat. Seuls les excédents des administrations publiques locales, et plus encore des administrations de sécurité sociale, permettraient aux comptes publics de se redresser légèrement, tout en restant déficitaires.
Le Gouvernement s’en remet donc à ses partenaires publics pour redresser la barre, dans un contexte économique incertain et fragile. Nous serons appelés, mes chers collègues, à faire preuve de vigilance sur toutes les promesses, notamment en matière de baisses d’impôts non financées.