Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 29 avril 2019 à 17h00
Projet de programme de stabilité — Débat organisé à la demande de la commission des finances

Bruno Le Maire :

Regardez le projet qu’a présenté le Président de la République : une réforme ambitieuse de l’indemnisation du chômage d’ici à quelques semaines, indispensable pour introduire plus de justice et plus d’efficacité dans le retour à l’emploi ; une réforme des retraites qui changera radicalement le système français, avec un système de retraite par points, et qui permettra d’égaliser les conditions entre le secteur public et le secteur privé, car c’est aussi une question de justice et d’équité profondément attendue par nombre de nos compatriotes ; une transformation de la fonction publique. Tel est le programme qui est devant nous et qui sera poursuivi avec la même constance et la même détermination.

Cela nous autorise à demander aux États qui le peuvent d’investir davantage pour lutter contre le ralentissement de la croissance mondiale et de la zone euro. J’estime que l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres États de la zone euro disposent des marges de manœuvre nécessaires pour cela. La zone euro, cela ne peut pas être le chacun pour soi, le « vous devez faire des transformations, vous devez faire des réformes, vous devez vous adapter, mais nous, nous ne bougeons pas ». À partir du moment où la France respecte ses engagements de transformation économique, elle est légitime à demander que certains États qui ont des marges de manœuvre budgétaires suffisantes investissent davantage pour soutenir la croissance.

J’insiste sur le dernier point de ce contrat de croissance parce que c’est un élément clé du programme de stabilité que nous vous présentons : il est temps d’achever la transformation de la zone euro, qui n’est pas armée pour faire face à une éventuelle nouvelle crise économique et financière. Les États qui en sont membres n’ont pas tiré toutes les conséquences de la crise financière de 2008. Oui, nous avons pris des mesures, nous avons eu une réaction responsable, nous avons mis en place de nouveaux instruments, mais ceux-ci ne sont pas suffisants ni pour faire face à une éventuelle crise économique ou financière ni pour accélérer la convergence indispensable entre les économies des États membres de la zone euro.

Or une zone monétaire unique dans laquelle nous partageons la même monnaie, mais où les économies divergent, risque fort de disparaître un jour. Il est donc temps que nous accélérions les décisions nécessaires pour consolider la zone euro et notre monnaie unique afin d’en faire une monnaie de référence sur la scène internationale.

Il est temps que nous achevions l’union bancaire. Tous les éléments techniques sont sur la table, qu’attendons-nous pour nous décider ? À force de ne pas le faire, nous laissons notre marché, et tous les consommateurs qui vont avec, à la disposition de pays étrangers. La part de marché des grandes banques américaines sur le marché unique européen était de 43 % il y a quelques années, elle s’élève aujourd’hui à 47 %. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas fait l’union bancaire. Nous construisons l’Europe non pas pour laisser notre marché à des investisseurs étrangers, fussent-ils américains, mais d’abord pour le profit de nos entreprises, de nos industries financières ou manufacturières et de nos consommateurs.

Il est temps que nous achevions l’union des marchés de capitaux, c’est cela qui nous permettra d’investir, de faire grandir nos entreprises et d’avoir des géants dans les technologies de pointe, comme les Américains ou les Chinois ont su en faire émerger.

Il est temps que nous mettions en place un budget de la zone euro pour partager les investissements et pour faire face à une éventuelle crise économique.

Je le dis avec beaucoup de gravité : nous ne pouvons plus attendre pour prendre ces décisions de consolidation de la zone euro et nous porterions une responsabilité considérable envers les générations qui viennent si nous laissions la zone euro dans l’état où elle est aujourd’hui. Le statu quo est impossible, la décision est nécessaire et le courage, requis.

La France, pour sa part, est dans une situation plus solide que beaucoup de ses partenaires de cette zone. Notre taux de croissance va atteindre 1, 4 % pour 2019 ; il est supérieur à la moyenne de la zone euro ainsi qu’à celui de nos principaux partenaires, comme l’Allemagne, où il atteint 0, 5 %, et l’Italie. En 2017, nous avions enregistré une croissance de 2, 2 %, en 2018, de 1, 6 %. Ce taux est supérieur au taux moyen observé au cours des dix dernières années en France, qui était de 0, 9 %.

Notre politique économique donne des résultats et nous devrions tous, ici, nous en féliciter, quelle que soit notre appartenance politique, parce que nous nous portons mieux avec une France qui réussit qu’avec une France qui échoue.

S’agissant de nos engagements en matière de déficit public, je veux rassurer Jérôme Bascher : je suis heureux quand nous respectons nos engagements européens et malheureux quand nous ne les respectons pas, parce que je considère que cela affaiblit notre voix sur la scène internationale, alors que celle-ci est absolument décisive. La France n’est grande que lorsqu’elle est européenne et qu’elle est capable de peser sur le cours des affaires internationales.

Je constate simplement que, en tenant nos engagements en matière de déficit public, nous sommes sortis d’une procédure pour déficit public excessif, dans laquelle nous étions encalminés depuis dix ans, tout en faisant face, je le rappelle, à des choix hérités des années passées qui nous ont coûté très cher en termes de finances publiques.

Avec les décisions prises par le Président de la République, notre engagement de rester sous les 3 % de déficit public jusqu’en 2022 – ensuite, il y aura des élections – sera tenu, parce qu’il protège d’abord les intérêts du contribuable français.

Enfin, je le rappelle, nous avons renversé la tendance à la hausse du chômage et donné un nouvel élan à l’emploi dans notre pays. Au cours des deux dernières années, nous avons en effet créé un demi-million d’emplois, inversé cette fameuse courbe du chômage et enfin entamé sa décrue.

Pour la première fois depuis plus de dix ans, nous avons également ouvert plus d’entreprises industrielles que nous n’en avons fermé. La réindustrialisation est donc amorcée.

Je ne vous dis pas que tout cela est suffisant ou satisfaisant ; je vous dis simplement que nous tenons le bon bout, que nous sommes dans la bonne direction et qu’il faut donc poursuivre en accélérant les transformations nécessaires. Vous connaissez ma sincérité, elle apparaît dans les documents qui vous sont transmis ; je reconnais bien volontiers que notre modèle économique conserve au moins deux points de fragilité.

Le premier, c’est la dette. Je continuerai à affirmer que celle-ci est un poison pour notre économie. Des analyses suggèrent aujourd’hui que l’endettement serait moins grave parce que, les taux d’intérêt étant très faibles, nous pourrions nous permettre de l’augmenter légèrement. Puisque la question m’a été posée, je tiens d’abord à dire au président de la commission des finances que nous avons pris en compte l’amélioration de nos conditions de financement de la dette dans la trajectoire du programme de stabilité. Nous avons ainsi intégré 2, 8 milliards d’euros de moindres dépenses en deux étapes successives de 1, 6 milliard et de 1, 2 milliard respectivement, par souci de sincérité.

Je n’en tire pourtant pas la conclusion que nous pourrions nous résigner à laisser la dette française croître et je ne partage pas les analyses de certains économistes qui nous disent : « Ne vous inquiétez pas pour la dette, les taux d’intérêt sont faibles, les conditions de remboursement sont meilleures, vous pouvez donc continuer à vous endetter. » Je considère qu’il est crucial de continuer à nous battre contre la dette ; dès que des marges de manœuvre se feront jour, je souhaite qu’elles soient consacrées à la réduction de cette dette publique française, qui est aujourd’hui stabilisée.

Notre seconde faiblesse a été soulignée à juste titre par beaucoup d’entre vous au-delà des clivages politiques. Elle est structurelle : le volume global de travail en France n’est pas suffisant.

Ce n’est pas un reproche envers qui que ce soit, et certainement pas envers ceux qui ont un travail, qui sont productifs et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans leur emploi.

Ne prenons pas comme élément de comparaison européenne la durée de travail hebdomadaire, parce que, sur une semaine, nous sommes plutôt dans le haut des pays de l’OCDE et des pays européens. Nous avons en revanche plus de jours de congés que nos partenaires européens, beaucoup plus que l’Allemagne, par exemple ; nous entrons plus tard sur le marché du travail et nous en partons beaucoup plus tôt que la plupart de nos partenaires européens ; nous sommes, enfin, l’un des derniers États européens à n’avoir pas vaincu le chômage de masse. Tant que cela sera le cas, je ne serai pas un ministre de l’économie satisfait. Tout cela fait que notre taux d’activité est globalement beaucoup plus faible que celui de nos partenaires européens : il est de 71 % en France, contre 78 % en Allemagne.

Ne cherchez pas ailleurs les causes de cette différence qui me révolte : chaque citoyen européen a aujourd’hui un revenu par habitant supérieur de 25 % à celui des Français.

Il est donc impératif que nous créions plus de richesses et que nous accroissions le volume global de travail dans notre pays. La solution passe par le travail ; la meilleure réponse au problème du pouvoir d’achat, au problème de la pauvreté, c’est le travail et l’emploi pour tous les Français : travailler plus, travailler mieux et, surtout, travailler tous. Cela me paraît être la bonne orientation pour notre pays, celle qui a été rappelée avec beaucoup de force par le Président de la République.

C’est dans ce contexte que nous présentons le programme de stabilité que vous avez commenté au cours de ce débat. Le déficit sera réduit et maintenu sous les 3 %, c’est un engagement que nous prenons et que nous tenons.

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