Intervention de Pascal Cussigh

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 7 mai 2019 à 14h15
Audition de M. Pascal Cussigh président de l'association coup de pouce — Protection de l'enfance

Pascal Cussigh, président de l'association Coup de pouce - Protection de l'enfance :

Vous avez présenté notre association. J'ajoute que nous avons souhaité que le conseil d'administration soit composé de professionnels en activité, et donc en lien avec le terrain, provenant d'horizons divers : des psychologues, des avocats, des scientifiques, etc. Sur ces thèmes de l'enfance maltraitée, il est important d'avoir une vision pluridisciplinaire.

Vous avez évoqué le colloque qui se tiendra le 18 mai prochain, pour lequel nous avons en effet retenu un intitulé volontairement provocateur. Pourquoi ? Nous serons tous d'accord ici pour considérer que le bon sens amène à répondre non : un enfant ne peut pas consentir à un acte sexuel avec un adulte, tout simplement faute d'être mature et, la plupart du temps, faute de pouvoir comprendre ce que cela implique.

En tant qu'avocat depuis vingt-trois ans au barreau de Paris, j'assiste des victimes, et si l'on me demande si un enfant peut consentir à un acte sexuel avec un adulte, ma réponse juridique sera oui. Parce que selon la loi française, ce qui est relativement unique en Europe, pour caractériser un viol, il faut établir la contrainte. De fait, le code pénal français ne prévoit aucun régime particulier pour les enfants : pour caractériser le viol ou l'agression sexuelle, il faut établir la contrainte pour une victime adulte, mais également pour un enfant. Il existe bien un régime de l'atteinte sexuelle, mais ce n'est qu'un délit, et il présuppose l'absence de contrainte, par violence, menace ou surprise. Pour parler clairement, il s'agit de privilégier l'hypothèse où l'enfant victime a pu consentir. La Cour de cassation utilise les mots « défaut de consentement » de la victime pour caractériser la contrainte.

Il est donc nécessaire de prouver la contrainte pour établir le viol. Si nous posons cette question, c'est que c'est la loi elle-même la pose. Dans tous les cas de plainte pour viol sur mineur, les juges devront systématiquement répondre à cette question pour savoir s'il faut retenir la qualification de viol ou la qualification d'atteinte sexuelle, ce qui les conduit à examiner l'éventuel consentement de l'enfant.

Par ce colloque, nous voulons dénoncer ce que nous estimons être une absurdité : comment examiner le consentement d'un enfant de dix, sept ou quatre ans ? Pourtant, c'est la question que pose la loi française. Être choqué par l'intitulé de notre colloque, c'est être choqué par la loi française !

Je sais que des consoeurs du Conseil national des barreaux vous ont expliqué que, selon elles, l'arsenal juridique était satisfaisant et complet. Je n'ai pas du tout cette vision des choses.

Différentes personnes vous ont parlé d'impunité quasi-totale, dont le docteur Salmona. Mme Marlène Schiappa reconnaît elle-même qu'entre 1 % et 2 % des affaires de viol débouchent sur une condamnation. Pourquoi cette impunité ? Il y a un gros travail à faire sur le plan juridique et par ce colloque, nous voulons montrer notamment que la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes n'a en rien mis fin aux absurdités mises au jour à la suite de l'affaire de Pontoise.

Les chiffres officiels de la police et la gendarmerie, même s'ils sont sous-estimés, puisque toutes les victimes ne déposent pas plainte, montrent l'ampleur du phénomène : on dénombre plus de 700 000 viols ou tentatives de viol sur mineur en France chaque année, soit environ un viol ou une tentative de viol sur enfant par heure. Encore une fois, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Face à ce fléau, le code pénal français ne prévoit aucun régime particulier pour les enfants. De surcroît, la Cour de cassation, parce que c'est le droit, dit aux magistrats des tribunaux correctionnels ou des cours d'assises qu'ils ne peuvent pas se contenter de relever que la victime était un jeune enfant pour caractériser la contrainte. Auquel cas, la décision sera systématiquement cassée.

Le jeune âge de la victime étant une circonstance aggravante, il ne peut, en effet, être utilisé pour définir la contrainte. Mêmement, pour un enfant victime d'inceste, le fait que le père soit l'auteur de l'agression ne permet pas d'établir la contrainte. Notre système juridique admet donc qu'un enfant victime d'inceste pourrait y consentir ! La seule atténuation apportée à ce système absurde qui ne fait pas de distinction entre les viols sur adulte et les viols sur enfant le fut par un arrêt de la Cour de cassation en 2005 relatif au viol d'enfants âgés respectivement de dix-huit mois et de cinq ans. Elle a, en l'espèce, considéré que la question de la contrainte ne pouvait se poser pour les enfants en très bas âge. Le principe a dû être posé par la Cour de cassation, car le législateur ne l'avait pas précisé. Par la suite, il a été appliqué pour une affaire concernant un enfant de six ans. Contrairement à nos voisins européens, le principe de non-consentement d'un enfant à un acte sexuel ne dépasse donc pas l'âge de six ans. Pourtant, Marlène Schiappa avait déclaré vouloir inscrire dans la loi qu'en deçà d'un certain âge, il ne pouvait exister de débat sur le consentement de l'enfant.

D'autres pays disposent de l'arsenal juridique nécessaire à une protection de l'enfance digne de ce nom. À titre d'illustration, l'article 375 du code pénal belge indique qu'est réputé viol à l'aide de violence tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'un enfant qui n'a pas atteint l'âge de quatorze ans accomplis. L'interdiction est parfaitement claire. Une loi votée en 2017 en Tunisie, apparaît également d'une clarté enviable : est considéré viol tout acte de pénétration sexuelle commis sur une personne sans son consentement, consentement considéré comme inexistant lorsque l'âge de la victime est inférieur à seize ans accomplis. A contrario, la France a préféré faire référence à l'abus de vulnérabilité de la victime et à son discernement. Dès lors, la loi se défausse sur les juges, lesquels doivent estimer si l'enfant disposait ou non des capacités de discernement pour consentir un acte sexuel. Le message véhiculé par la loi est crucial pour les victimes comme pour les agresseurs : ne nous étonnons alors pas de l'impunité dont jouissent ces derniers ! Pire, la loi apparaît, en pratique, inapplicable. Il n'est, en effet, pas rare qu'une victime attende plusieurs années pour porter plainte. Comment le juge peut-il estimer les capacités de discernement dont elle disposait à quinze ans ? La loi du 3 août 2018, en maintenant le régime de l'atteinte sexuelle qui présuppose que l'enfant a pu consentir à l'acte, n'a apporté aucune protection supplémentaire aux victimes. Pourtant, la mission pluridisciplinaire installée par le Premier ministre avait demandé son abrogation.

Notre association considère urgent de créer une infraction spécifique pour les mineurs de moins de quinze ans qui supprime toute référence à la contrainte. Pourront ainsi être évités les débats malsains sur le prétendu consentement de l'enfant. De même, les notions de discernement et de maturité sexuelle conduisent à une impasse : comment les évaluer plusieurs années après les faits ? Une infraction spécifique constituerait-elle une atteinte à la présomption d'innocence ? Je remarque tout d'abord que jamais le Conseil constitutionnel n'a été saisi de la question. Seul fut interrogé pour avis le Conseil d'État, auquel on a fait dire, faussement, que toute incrimination spécifique pour un mineur de moins de quinze ans serait automatiquement contraire à la présomption d'innocence. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) autorise les présomptions en droit pénal à condition de les maintenir dans des limites raisonnables. Est-il déraisonnable de considérer qu'un acte de pénétration sexuelle sur un enfant de sept ans doit automatiquement être qualifié de viol ? Du reste, les pays signataires de la Convention européenne des droits de l'homme dont la législation prévoit un principe de non- consentement, à l'instar de la Belgique ou, depuis 1956, de l'Angleterre, n'ont jamais fait l'objet d'une condamnation par la CEDH sur ce point. Enfin, il me semble que certains magistrats font une confusion juridique entre principe de non-consentement et présomption de culpabilité. Or, le principe de non-consentement ne constitue aucunement une présomption d'infraction : la présomption ne concerne en l'espèce que la contrainte ; les autres éléments de l'infraction pénale restent à établir. L'agresseur conserve le droit de se défendre ; il y aura évidemment une enquête et un procès. S'il revient au législateur de poser les interdits fondamentaux, le juge garde tout son rôle dans la réponse pénale à apporter à l'infraction.

Lors des auditions menées par votre mission commune d'information, plusieurs intervenants ont considéré que la loi du 3 août 2018 était mal appliquée. Je crois, au contraire, qu'elle conduit d'emblée à qualifier le viol d'atteinte sexuelle dès lors qu'il est impossible de prouver la contrainte, puisque ni l'âge de la victime ni, en cas d'inceste, la qualité de l'agresseur ne suffisent. Comment apporter des preuves alors que, souvent, l'enfant victime se trouve dans un état de sidération lors de l'acte, lui interdisant de se débattre ou de crier ? Sans principe de non-consentement, notre système juridique garantit une impunité aux agresseurs. D'ailleurs, dans les récentes affaires de Pontoise, de Meaux et de Nîmes, les agresseurs n'ont pas nié la réalité de l'acte commis, mais ont argué du consentement de leur victime.

Je ne suis pas seul à soutenir cet argument. M. Edouard Durand, que vous avez entendu, y est notamment favorable. Plus de trente associations de protection de l'enfance et des personnalités comme Boris Cyrulnik et Michèle Créoff se sont regroupées au sein du Collectif pour l'enfance, car elles partagent la même analyse de la situation. Leur objectif est de faire reconnaître dans la loi l'incapacité d'un enfant à consentir à un acte sexuel avec un adulte, afin de lutter contre toute impunité en la matière.

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