Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 9 mai 2019 à 14h30
Mécénat territorial au service des projets de proximité — Débat organisé à la demande du groupe les indépendants – république et territoires

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce lundi 15 avril, quelques heures seulement après le déclenchement du grand incendie de Notre-Dame, la communauté internationale se mobilisait déjà pour soutenir la reconstruction de la cathédrale. En quelques jours, près de 1 milliard d’euros de dons ont été collectés, un projet de loi annoncé et un vaste plan de reconstruction mis en ordre de bataille.

Loin devant la collecte du loto du patrimoine, cet élan de générosité intervient après un certain nombre d’années de forte baisse des ressources publiques consacrées au patrimoine, dont l’entretien et la restauration reposent en grande partie sur les communes.

À l’heure de la programmation de ce débat au Sénat, nous ne savions pas que l’actualité allait mettre de cette façon le mécénat territorial sous les feux de la rampe. Nous voulions avant tout susciter une réflexion de fond sur le développement du mécénat en faveur de nos collectivités territoriales.

Celles-ci sont de plus en plus nombreuses à lever des fonds auprès d’acteurs privés pour financer des projets locaux. Selon l’étude menée conjointement par Ernst&Young et Régions de France, si les sommes en jeux restent modestes, le potentiel de développement est bien réel.

Ainsi, la Folle journée de Nantes, terrain d’innovation artistique et culturelle, est soutenue par un réseau de mécènes qui ont permis de lever 2, 8 millions d’euros en 2015. Dans le même esprit, la région Nouvelle-Aquitaine a mis en service une plateforme de financement participatif sur laquelle il est possible de soutenir des projets variés, du financement d’ateliers intergénérationnels au développement d’une marque d’artisans et de producteurs régionaux.

Alors que les collectivités territoriales n’hésitent plus à lancer des campagnes de souscription pour acquérir une œuvre, rénover un monument ou contribuer au financement des initiatives citoyennes, il serait dommage de voir dans le mécénat territorial un simple moyen de compenser la baisse des concours de l’État, évaluée à 9, 6 milliards d’euros depuis 2014.

L’État n’a pas le monopole de l’intérêt général. La tant décriée loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, a opéré un changement de dialectique entre solidarité nationale et mécénat, offrant une vraie reconnaissance à l’ensemble des acteurs mobilisés en faveur de l’intérêt général. La loi de 2007 étend cette reconnaissance aux monuments historiques privés, aux organismes du spectacle vivant et ouvre une dimension européenne aux actions de mécénat. La France s’est ainsi dotée d’un dispositif fiscal parmi les plus avantageux au monde en faveur du mécénat.

En 2017, le mécénat d’entreprise représentait en France 3, 5 milliards d’euros de dons. Le nombre d’entreprises mécènes et de fondations progresse année après année.

Reste que ce qui est une évidence dans la culture anglo-saxonne l’est beaucoup moins en France, où la philanthropie a longtemps été éclipsée par la sphère publique.

Tandis que l’espace démocratique semble parfois se réduire aux élections, qui restent les grands jalons de la vie démocratique, les mouvements sociaux que nous traversons témoignent d’un besoin d’horizontalité, de proximité, de participation plus directe aux projets locaux, permettant à chaque citoyen de trouver sa place au sein de la collectivité.

Le dispositif actuel n’est pas sans faille. En 2016, 24 entreprises ont réalisé 44 % de la dépense fiscale au titre de la loi sur le mécénat. Les phénomènes de concentration, en termes tant d’entreprises bénéficiaires que de répartition territoriale des projets, posent un certain nombre de questions.

L’adoption, lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, d’un plafond en valeur des dons ouvrant droit à réduction d’impôt contribuera, nous l’espérons, à favoriser le développement du mécénat des petites entreprises. Les collectivités territoriales n’en sont pas les premières bénéficiaires, bien que de plus en plus d’entreprises soutiennent des structures publiques.

Nous pensons que le développement du mécénat territorial est une chance pour la France. En fédérant un réseau de mécènes autour de projets locaux, ce levier de développement est à la fois un vecteur d’identité et de cohésion territoriale, un moyen de communication complémentaire, offrant de la visibilité aux projets, et une façon de retrouver un certain élan démocratique à travers une participation directe et concrète des citoyens et des entreprises.

Alors que cette nouvelle voie doit encore monter en puissance, le débat de cet après-midi nous permettra d’échanger autant sur les opportunités d’une telle démarche pour les collectivités territoriales que sur les obstacles qu’elles rencontrent encore pour développer leurs propres initiatives de mécénat.

Au premier rang de ces obstacles figurent le manque de professionnalisation, donc d’expertise, des collectivités territoriales en la matière, l’insécurité juridique qui résulte des changements ou perspectives de changements trop fréquents dans la réglementation et la méconnaissance, voire l’ignorance du dispositif par les collectivités territoriales elles-mêmes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le mécénat territorial est une forme de réponse à l’expression de forces centrifuges de dissolution du lien local : fusion des régions, montée en puissance des intercommunalités, concentration des pouvoirs et éloignement des centres de décision. Les liens qui hier encore nous rassemblaient se distendent aujourd’hui. Il nous appartient de redonner du sens à l’action locale et de permettre à chacun de trouver sa place dans une société trop diluée, confuse, défiante, à travers ce facteur de concorde que représentent le mécénat et la philanthropie.

Au nom du groupe Les Indépendants, je remercie d’avance tous ceux qui prendront part à ce débat, que je souhaite constructif et riche en idées !

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