Intervention de Frédéric Héran

Mission d'information Gratuité des transports collectifs — Réunion du 7 mai 2019 à 14:5
Philosophie de la gratuité des transports publics — Audition de Mm. Jean-Louis Sagot-duvauroux maxime huré et frédéric héran

Frédéric Héran, économiste urbaniste, maître de conférences à l'université de Lille :

La gratuité des transports publics est un outil qui doit être au service d'une politique. Laquelle ? La problématique est celle des déplacements urbains. Quel est le bon cocktail de transports à déterminer pour inciter les gens à se déplacer de la façon la plus agréable et efficace possible avec un faible impact environnemental et un coût maîtrisé pour les finances publiques ? Pour résoudre cette équation, il faut d'abord se demander quel mode de déplacement privilégier. La réponse paraît évidente : le moins cher, le moins producteur de nuisances, le plus inclusif et le plus démocratique, c'est la marche. L'idéal serait donc de tout faire à pied. Quel autre mode de déplacement privilégier ? Le vélo, qui est un exosquelette rendant le piéton trois à quatre fois plus efficace. Aujourd'hui, il existe des vélos à assistance électrique (VAE), qui doublent ou triplent la capacité du cycliste : avec un VAE, on peut parcourir huit à dix kilomètres. Ensuite, ce sont les transports publics. Enfin, il y a la voiture partagée puis la voiture individuelle. Avec cette hiérarchisation en tête, tout le débat sur la gratuité des transports publics change. Certes, il n'y a pas que de petits déplacements et tout le monde ne peut pas faire de vélo même s'il existe des tricycles pour les personnes âgées, très courants aux Pays-Bas ou en Allemagne.

Quel est l'impact de la gratuité des transports publics ? Il est très faible sur les automobilistes. Le report modal de la voiture vers les transports publics n'est que de 1 à 2 %. En revanche, il est de 2 à 4 % des piétons et de 5 à 7 % des cyclistes. On en est estomaqué : les deux modes les plus inclusifs, les moins coûteux pour la collectivité comme pour les particuliers, les plus respectueux de l'environnement, les plus actifs, voient leur part réduite par la gratuité des transports publics. C'est un effet pervers, dramatique pour certains publics. Ainsi, les adolescents ont besoin de bouger ; or, en France, c'est de moins en moins le cas. La distance qu'ils étaient capables de parcourir il y a trente ans en courant trois minutes se fait aujourd'hui en quatre minutes. Nous préparons une société de personnes insuffisamment mobiles. Aussi, inciter des adolescents, qui constituent la moitié du public des transports en commun, à ne pas bouger, à un prix faramineux pour la collectivité, pose un vrai problème.

Si l'objectif consiste à réduire le trafic automobile - ce qui est toujours mis en avant pour défendre la gratuité des transports publics et qui est indispensable pour l'environnement - il existe des mesures plus efficaces. Les municipalités qui se lancent dans la gratuité, quelle que soit leur couleur politique, n'ont pas envie de viser directement la baisse du trafic automobile. Aucun élu ne souhaite froisser les automobilistes qui constituent la majeure partie de son électorat. Or les moyens détournés de réduction du trafic automobile sont par définition peu efficaces. Pour réduire ce trafic, il faut baisser les vitesses en généralisant les zones limitées à 30 kilomètres/heure, compliquer le stationnement et plus globalement dissuader les gens de prendre leur voiture et les inciter à essayer d'autres modes de déplacement. Les politiques de modération de la circulation automobile sont moins chères et plus efficaces que la gratuité des transports en commun. Les Pays-Bas les appliquent depuis les années 1970 avec de bons résultats. Elles fonctionnent bien dans nombre de pays, y compris en France.

Si l'on veut à tout prix aborder les aspects sociaux de cette politique de gratuité, là encore, il y a mieux à faire. La gratuité incite fortement à prendre les transports en commun et non à se déplacer autrement. On pourrait créer un complément de revenus que chacun utiliserait dans la mobilité comme il le souhaite, pour que les usagers explorent divers moyens tels que le vélo ou le covoiturage, par exemple.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion