Intervention de Frédérique Vidal

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 mai 2019 à 16h40
Projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé — Audition de mmes agnès buzyn ministre des solidarités et de la santé et frédérique vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

La question de la formation, tout particulièrement celle des futurs médecins, est aussi au coeur de ce projet de loi. Depuis trop longtemps, nous nous désolons de voir chaque année plus de 7 étudiants sur 10 inscrits en première année commune aux études de santé (Paces) échouer en raison du numerus clausus et nous regrettons collectivement le caractère univoque des études de médecine.

L'objectif du titre Ier est donc de transformer notre système de santé, avec une évolution radicale de la manière dont nous envisageons la formation des soignants, notamment des médecins. Cette question fait l'objet des articles 1er et 2 du projet de loi. Il s'agit de diversifier les profils des futurs médecins, d'offrir une pluralité de voies d'accès à l'étude de la médecine, de casser les logiques tubulaires qui contribuent à rigidifier notre système de soins, et de faire en sorte que les étudiants en santé se sentent plus à l'aise dans leurs études - d'abord parce que nous le leur devons, mais aussi parce que nous le devons à leurs futurs patients qu'ils ne soigneront bien que si eux-mêmes vont bien.

L'ensemble de ces questions ne pourra pas être exclusivement traité par la loi. Une large concertation se poursuit, notamment autour du nouveau parcours des études en santé, mais notre engagement est de dessiner avec vous le cadre législatif qui permettra aux acteurs universitaires, aux étudiants, à tous les acteurs du système de santé qui concourent à la formation, de faire vivre des cursus plus ouverts et plus diversifiés.

L'article 1er porte sur la transformation de l'accès aux études de médecine. Pendant très longtemps et souvent à juste titre, le débat s'est focalisé sur la question du nombre de médecins formés, au-delà du gâchis de ce système de la Paces qui a contribué, par sa rigidité, à l'émergence d'iniquités territoriales parfois profondes. Les antennes Paces, créées ces dernières années, ainsi que les expérimentations ont montré qu'il était possible de rétablir un minimum de cohésion territoriale, même si évidemment ces expérimentations étaient trop peu nombreuses pour répondre aux besoins de notre système de soins dans les prochaines années. Si le seul enjeu de l'article 1er était d'augmenter le nombre de médecins à former, un simple relèvement du numerus clausus aurait été suffisant. Mais, avec cet article, il s'agit d'aller au-delà de l'augmentation du nombre de futurs professionnels formés. Nous en attendons une réelle diversification des profils des étudiants, au travers notamment de la prise en compte effective des différents parcours pour enrichir la formation des médecins, avec des apports venus aussi bien des sciences « dures » que des sciences sociales.

Nous savons que la demande de soins évoluera fortement dans les prochaines années. Certains patients auront besoin de professionnels maniant des compétences techniques nouvelles liées, par exemple, à l'intelligence artificielle ; de nombreux professionnels devront se coordonner pour une approche globale, biologique, psychologique et sociale, autour d'un patient ayant des difficultés multiples, mais souhaitant néanmoins vivre dans son environnement et rester acteur de sa santé. Les biotechnologies continueront à se développer. Les terrains d'exercice de la médecine et les pratiques vont probablement être profondément modifiés. Les études de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique doivent intégrer ces différentes demandes.

Concrètement, cela signifie que, dans chaque université, plusieurs voies permettront de candidater pour les filières de santé. Ces différentes voies pourront être constituées d'enseignements majoritairement axés sur la santé mais permettant néanmoins de poursuivre dans d'autres cursus, ou bien d'enseignements centrés sur d'autres disciplines mais comprenant des enseignements en santé. La nouveauté, c'est que l'ensemble de cet accès pourra être proposé dans des universités qui ont bien sûr des facultés de santé, mais aussi dans d'autres qui n'en ont pas et qui sont fréquemment dans des zones sous-denses en médecins.

Le système demeurera sélectif, ce qui est essentiel pour garantir la qualité des médecins qui seront formés, mais ces viviers diversifiés et la possibilité de faire une partie de sa formation de troisième cycle au plus proche des territoires permettront aussi de répondre à cette question de désertification médicale.

Notre ambition est de concilier exigence, bienveillance et ouverture. Aujourd'hui, les études de médecine sont souvent un parcours d'obstacles qui ne convient qu'à un « type » d'intelligence : l'étudiant sélectionné sur des QCM en Paces qui accède à telle ou telle spécialité en fonction de sa capacité à mémoriser une grande quantité d'informations et à cocher des cases. Les qualités de synthèse, la décision en situation d'incertitude, ou plus simplement la capacité à conduire un entretien ou un examen clinique sont finalement peu évaluées, et ne comptent pas pour les étudiants, pas plus que le fait de s'être impliqué dans un travail de recherche ou d'avoir eu une expérience internationale.

Les étudiants et les jeunes médecins ne veulent plus de ce modèle dans lequel le bachotage intensif leur fait parfois perdre le sens même de ce qui les avait conduits à s'engager dans cette voie. Avec l'article 2, nous vous proposons de mettre fin à cette situation en diversifiant les critères d'évaluation des étudiants et en construisant des parcours multiples en perspective de l'internat de troisième cycle. Les débats en séance à l'Assemblée nationale ont permis d'intégrer deux voies complémentaires, sur l'initiative de Stéphanie Rist.

Le Gouvernement souhaite ouvrir à l'article 1er une fenêtre d'expérimentation pour rapprocher les formations paramédicales de la formation médicale universitaire classique, en proposant aux établissements qui le souhaiteront des formats de cours communs et des parcours plus transversaux qui permettront d'aller ensuite vers une spécialisation progressive dans un métier de la santé et la création d'une réelle culture commune.

Cette diversification des parcours et des formats pédagogiques va de pair avec les dispositions des articles 2 bis et 2 ter. L'article 2 bis permettra de réviser globalement notre définition des études de médecine pour mieux y associer les patients mais également d'engager une diversification réelle des terrains de stage dans tous les territoires, et notamment dans les zones sous-denses. Le Gouvernement mettra à jour toutes les dispositions réglementaires à cette fin, sous le contrôle du Parlement, qui y sera naturellement associé.

L'objectif de cette diversification de terrains de stage est de permettre à tous les étudiants de profiter d'une formation de qualité, et ce sur l'ensemble des territoires. C'est aussi évidemment un enjeu de cohésion territoriale.

Je voudrais aussi évoquer la principale question : en quoi cette réforme permettra-t-elle de régler le problème des zones dans lesquelles il manque des professionnels de santé ? Nous devons aborder cette question sous l'angle de la formation. Il faut de 9 à 15 ans pour former un médecin, et les difficultés actuelles sont le résultat de décisions prises dans les années 1990 et 2000. Il faudra du temps pour corriger cela : on ne peut pas décider que, dès demain, le nombre de médecins diplômés augmentera miraculeusement.

Mais nous pouvons en revanche améliorer tout de suite l'accès aux soins par un ensemble de mesures, notamment celles présentées par Agnès Buzyn : des formations nouvelles, comme celle d'infirmier en pratique avancée, ouverte dès la rentrée 2018, qui permettent des organisations différentes en libérant du temps médical disponible et en assurant différemment et mieux la prise en charge des maladies chroniques.

La formation des médecins est un vecteur d'évolutions structurelles de long terme de notre système de santé. C'est pourquoi elle est abordée dans ses articles 1er et 2. La transformation à la fois de l'accès au premier cycle et de l'accès à l'internat ne permettra pas, à elle seule, de résoudre toutes les difficultés accumulées ces dernières décennies, mais constitue néanmoins la condition nécessaire pour nous projeter dans l'avenir et construire un système adapté à nos besoins.

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