Vous m'interrogez sur le renvoi aux ordonnances : nous avions besoin d'un levier législatif rapide pour faire bouger les lignes, notamment sur la réforme des études, mais également pour mieux structurer l'offre de soins de proximité. Vous connaissez le calendrier législatif, et nous n'étions pas mûrs sur la totalité des sujets pour avancer sans ordonnance. Dès que nous avons la capacité d'inscrire les choses dans la loi, nous le faisons. J'ai mis en place un groupe miroir des grands élus avec l'ADF, l'ARF et l'AMF, qui se réunit tous les mois au ministère, où nous faisons part de l'avancée des travaux sur les concertations en cours et sur les différentes ordonnances. Enfin, je viendrai vous présenter l'ordonnance et l'étude d'impact avant la loi de ratification.
Les CPTS sont un maillon essentiel de l'organisation du territoire. Ce qu'on demande aux professionnels, c'est de penser le territoire ensemble et de se sentir en responsabilité territoriale. Actuellement, dans le code de déontologie, un médecin a la responsabilité de son patient et de sa patientèle mais pas d'une population. Bien sûr, aucun médecin ne peut répondre aux besoins d'une population, c'est un engagement trop lourd. Mais à l'échelon collectif, la responsabilité populationnelle consiste à faire qu'un collectif de professionnels s'engage à répondre aux besoins d'une population donnée. Nous en avons discuté avec les syndicats de professionnels libéraux. Ils adhèrent à cette idée. Dans la convention médicale figurent des moyens pour l'ingénierie de projet, pour aider les professionnels à monter les projets et à les coordonner. L'idée est de leur libérer du temps médical en n'ajoutant surtout pas une couche administrative supplémentaire.
Sur les maternités, nous avons clairement un enjeu de sécurité. Beaucoup sont très peu attractives du fait du faible nombre d'accouchements, nombre de surcroît en baisse : 50 000 naissances en moins chaque année - et une maternité moyenne fait 1 000 accouchements par an. Mon idée est évidemment de préserver le plus longtemps possible des activités de maternité, quand je le peux. Mais, lorsqu'une maternité ne fonctionne plus qu'avec des intérimaires, et que les listes de garde ne sont pas pourvues... Souvent ce sont moins des obstétriciens que des anesthésistes ou des pédiatres qui manquent. Mme Cohen dit qu'on pourrait confier aux sages-femmes nombre d'accouchements. Le problème, c'est qu'on ne sait qu'a posteriori qu'un accouchement n'est pas pathologique. S'il le devient pendant l'acte, c'est trop tard, et s'il n'y a pas d'obstétriciens ni d'anesthésistes pour faire une césarienne en urgence, ou s'ils sont à une heure de route, la sage-femme sera en difficulté et l'enfant peut mourir.
Une bonne gradation des soins supposerait qu'on sache à l'avance le risque et la gravité... On les connaît pour certaines femmes, qui ont des pathologies sous-jacentes, d'où l'existence de maternités de niveau 2 et 3. Mais on est en fait obligés de définir a priori un niveau de sécurité optimale, même pour les maternités de niveau 1, parce qu'on ne peut pas laisser des sages-femmes seules sans anesthésiste ou sans obstétricien capables de faire une césarienne.
Les fermetures de maternités sont un point de cristallisation dans la presse et pour les élus locaux. C'est vrai que notre pays en a connu beaucoup. C'est que nous avions un maillage territorial bien supérieur à la plupart des pays européens. Ainsi, le nombre de femmes qui accouchent dans des maternités à forte activité, c'est-à-dire à plus de 3 000 accouchements par an, est d'environ 20 % en France, contre 70 % aux États-Unis ou en Suède, pays qui ne compte qu'une cinquantaine de maternités, sur un territoire immense.
Je me suis donc inspirée de pays qui ont de vastes territoires constituant de facto des déserts médicaux, et ont su mettre en place des dispositifs compensant les distances. Même si les trois quarts des femmes accouchent à moins de 30 minutes de chez elles, certaines ont effectivement de grandes distances à parcourir. Mais c'était déjà le cas bien avant qu'on se mette à fermer des maternités ! En Corse, par exemple, les femmes de Calvi ont toujours dû aller accoucher à Bastia, à une heure et demie de route. Sachez en tous cas que je ne suis pas la ministre qui rêvait de fermer des maternités, contrairement à ce qu'on peut laisser croire dans la presse ! Simplement, nous ne pouvons pas vivre avec des intérimaires, qui parfois ne répondent même pas au téléphone.
Vous m'interrogez sur les plateformes territoriales d'appui. Nous réfléchissons à une manière de regrouper ces dispositifs de plateforme, dont la multiplicité nuit à la lisibilité. Nous travaillons sur ce point avec les départements.
La permanence des soins ambulatoires est notre priorité. Il importe d'abord de sécuriser la continuité des soins dans la journée, c'est-à-dire d'offrir aux patients l'accès à des soins non programmés. C'est loin d'être le cas dans beaucoup de territoires. Cette mission de soins non programmés va être confiée au CPTS. Nous leur demanderons d'élargir au maximum leur plage horaire, en contrepartie d'un financement. Cela permettra de désengorger les urgences, notamment en fin d'après-midi, car nous savons qu'il y a un afflux de patients entre 18 et 20 heures du fait de la difficulté à trouver un médecin à ce moment-là. Et la permanence des soins profitera d'une meilleure organisation des soins de ville.
Séparer la prescription de la délivrance est en effet un principe fondamental. Je me suis battue à l'Assemblée nationale contre la délivrance par les pharmaciens des substituts nicotiniques, qui ne pouvait qu'aboutir à un mélange des genres. Nous avons réservé la délivrance par des pharmaciens de certains produits uniquement à des situations d'urgence - qui, sinon, aboutissent aux urgences.
M. Daudigny m'interroge sur le temps médical et la confusion entre les dispositifs existants pour les médecins de ville. L'exercice coordonné doit faire gagner du temps aux professionnels. J'essaie d'aboutir à une simplification des dispositifs, à un exercice où chacun trouve sa place et où les médecins ne sont pas isolés dans l'exercice de missions qui vont parfois bien au-delà de la médecine pure et dure. L'objectif général de la loi est de libérer du temps médical. Avec les assistants médicaux, nous pourrions gagner 3 millions de consultations par an, ce qui n'est pas négligeable !
Les équipes de soins spécialisés sont une demande des députés. Il y a parfois des difficultés à trouver un médecin spécialiste. L'idée est de disposer de réseaux de spécialistes qui se coordonnent avec les maisons pluri-professionnelles, ce qui permet aussi un maillage territorial.
Un groupe de travail réfléchit depuis le mois de mars sur la place des CME dans les hôpitaux de proximité. Il a jusqu'à l'été pour nous rendre ses conclusions. L'enjeu est de définir les compétences qui doivent être exercées au niveau du groupement et au niveau des établissements. L'idée n'est pas de tout rassembler dans une CME, car on nous a souvent alertés sur la nécessité de maintenir une CME locale.
Est-ce une étape vers la fusion ? Non, car nous ne sommes pas mûrs pour cela. La fusion n'est qu'une possibilité. Il faut une dynamique humaine favorable : des fusions à marche forcée, avec des équipes qui ne s'entendent pas et qui n'ont pas de projet, cela mène à la catastrophe ! Pour autant, les établissements qui ont fusionné et ont réussi à mutualiser leurs compétences médicales parviennent à maintenir une offre de soins de proximité, grâce à l'adressage de consultations avancées et de professionnels qui donnent du temps médical en proximité. Ceux qui ont mutualisé leurs services d'urgence ou leurs obstétriciens pour maintenir des maternités de proximité ont effectué une réelle avancée.
J'ai souhaité, à la demande des députés, maintenir en proximité une activité de chirurgie. Il faut toutefois qu'elle puisse se faire sans anesthésie générale ou régionale, car cela nécessite un anesthésiste-réanimateur, donc un plateau technique de réveil. J'ai réservé la capacité des hôpitaux de proximité à faire de la chirurgie purement locale, nécessitant des anesthésies locales pouvant être faite par les praticiens eux-mêmes. Le plus raisonnable, en fait, sera que les professionnels nous disent eux-mêmes ce qui est faisable sans anesthésiste-réanimateur. Nous demanderons un avis à la HAS.
Les distances vont-elles être prises en compte ? Oui, pour certaines activités, nous veillerons à ce que la distance entre l'hôpital de proximité et l'hôpital-support permette la disparition éventuelle de certains services. Mais, dès qu'on parle de maternité, il faut un anesthésiste-réanimateur et un bloc opératoire. Le fonctionnement d'une maternité 24 heures sur 24 et sept jours sur sept nécessite une liste de garde pleine, ce qui requiert un effectif de huit obstétriciens, huit anesthésistes-réanimateurs et huit pédiatres. Là où la démographie médicale est très faible, c'est énorme ! Il pourra y avoir des dérogations en fonction des distances, à l'appréciation du directeur général de l'ARS, en fonction de la géographie.
Nous avons conscience qu'il faut mieux accompagner la profession d'aide-soignante. Nous travaillons à l'actualisation de son référentiel d'activité, pour que les aides-soignantes puissent faire évoluer leurs compétences, comme elles le souhaitent. Nous allons aussi repenser leur formation pour tenir compte de l'évolution des compétences. Nous développerons la formation d'assistants de soins en gérontologie, et améliorerons les conditions de reclassement des aides-soignantes qui accèdent au grade d'infirmier. Les assistants médicaux pourraient être une voie de spécialisation de certaines aides-soignantes en milieu de carrière, sous réserve d'une formation complémentaire.
Nous avons confié à Dominique Libault la mission de travailler sur la future loi grand âge et autonomie. Il nous a remis un rapport et nous allons travailler sur les métiers du grand âge, ce qui nous conduira à donner de nouveau aux aides-soignantes une attention particulière, puisque nous avons des difficultés de recrutement dans les Ephad.
J'ai pris un décret fin 2017 pour limiter les rémunérations des intérimaires, afin de ne pas grever les budgets des hôpitaux. J'ai réduit le plafond de ressources régulièrement tous les ans, et il ne devrait pas dépasser 1 400 euros par jour l'année prochaine. Pour que cela fonctionne, il faut que tous les établissements jouent le jeu. Le problème est que, si certains établissements ne jouent pas le jeu, je ne peux pas le savoir !
Les intérimaires vivent leurs belles heures. La pénurie de médecins est telle que certains praticiens hospitaliers renoncent à leur poste pour pratiquer uniquement une activité d'intérim : ils gagnent le même salaire en ne travaillant qu'une semaine par mois. Il faut plus de régulation. J'appelle régulièrement l'attention des ARS sur les établissements qui ont recours à l'intérim. Le décret n'a pas suffi à réguler les déserts médicaux.
Vous dites que les étudiants ne connaissent pas suffisamment les dispositifs incitatifs, ce qui est sans doute vrai. Cependant, les ARS ont veillé à développer l'information pendant les études de médecine. L'ARS du Grand-Est, par exemple, a mis en place des passerelles.
Le conventionnement sélectif ne résoudrait rien, car le déficit de médecins est si important que les malades n'hésiteront pas à aller consulter des médecins non conventionnés, ce qui favoriserait une médecine à deux vitesses. Il est malheureusement trop tard pour ce type de mesure, le défi démographique incitant au contournement de tout dispositif coercitif.
Les mêmes moyens seront donnés aux centres de santé et aux maisons de santé pluri-professionnelles. Je n'ai aucune préférence entre la médecine salariée et la médecine libérale.