M. Béteille a fort bien posé les termes du débat.
Je rappelle tout d’abord que l’article 432-14 a été introduit dans le code pénal par la loi de 1995.
À cette époque, l’émotion des élus était à son comble, car, s’ils n’étaient pas toujours poursuivis, ils étaient tous soupçonnés. Les textes adoptés à cette époque étaient extrêmement rigoureux, faute sans doute d’avoir été suffisamment travaillés.
M. Béteille s’interroge à juste raison sur le concept d’« intention délibérée », qui pose un véritable problème juridique.
Je considère en effet que ce concept, qui viendrait s’opposer à celui d’« intention normale », est superfétatoire. En même temps, la situation n’étant jamais toute noire ou toute blanche, si je me reporte à l’article 432-14 du code pénal que Mme Terrade vient de citer, je note qu’il s’agit de « procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires », avec tout de même deux ans de prison à la clef !
Pour un élu, on le constate tous les jours, la justice est une sorte de rasoir à deux lames : il est condamné par l’opinion à l’instant même où il est poursuivi. Or il peut simplement avoir méconnu l’une des nombreuses dispositions réglementaires qui régissent le fonctionnement des commissions d’appel d’offres, notamment en ce qui concerne le dépôt des plis.
Par exemple, si une offre est déposée ne serait-ce que dix minutes après l’heure limite, elle est formellement hors délais. L’accepter, c’est tomber sous le coup de l’article 432-14 du code pénal et risquer d’être poursuivi.
Lorsque le couperet de l’heure est tombé, le délit est automatiquement constitué. Pour autant, accorder une petite faveur revient-il à favoriser un candidat ? Avons-nous le sentiment qu’il y avait intention de commettre une infraction en procurant un avantage ? Dans un tel cas, la faute administrative est certaine, mais la faute pénale ? Personnellement, j’estime que ce n’en est pas une, je ne le ressens pas ainsi.
Ces observations sont à l’origine de l’amendement déposé à l’Assemblée nationale par M. Warsmann.
La rédaction de l’article 3 B introduit deux éléments nouveaux, « en connaissance de cause » et « avec une intention délibérée ». Or l’expression « en connaissance de cause » me paraissait suffisante. En effet, si je reprends l’exemple que je viens d’évoquer, il s’agit non pas d’une intention coupable de procurer un avantage, mais d’une complaisance sans doute non réfléchie.
Monsieur Béteille, avant même la réunion de la commission mixte paritaire, la suppression de l’expression « avec une intention délibérée » ne constituerait-elle pas un compromis acceptable pour le Sénat comme pour l’Assemblée nationale ? En effet, je vous rejoins sur ce point, introduire une distinction entre l’« intention normale » et l’« intention délibérée » me paraît mal venu. Cela me fait penser à la préméditation et à la distinction entre l’assassinat et le meurtre, le second étant bien évidemment puni, mais moins sévèrement que le premier.
Au demeurant, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur cet amendement.