Monsieur Bellanger, vous êtes la première personne que nous entendons. La mondialisation au rythme des avions ou de la fibre optique n'entraînait pas, en elle-même, la dématérialisation des États. Mais nous sommes entrés dans un système où la puissance des réseaux et des logiciels - vous proposez d'ailleurs le néologisme « résogiciels » - est une réalité politique. Après la dernière élection présidentielle américaine, on s'est ainsi demandé si le résultat n'avait pas été biaisé par une manipulation des réseaux venue de Russie. Le plus grand pays du monde pouvait être déstabilisé par une puissance bien plus modeste. Deuxième exemple, l'impuissance des pays européens à mettre sur pied une fiscalité des Gafa. Dans la mesure où la matérialisation géographique - puisque l'État, ce sont avant tout des frontières - est menacée, ce sont nos impôts, c'est-à-dire notre gagne-pain, qui sont menacés. Nous avons choisi de donner ce nom à notre commission d'enquête parce que c'est bien la souveraineté des États et des systèmes politiques qui est en cause.
Il y a une contradiction, dans vos propos, entre l'idée d'un réseau mondial, où l'individu participe à une information qui le déconnecte du territoire, et la réalité du complexe militaro-numérique américain qui fournit l'infrastructure. Existe-t-il vraiment un lien structurel entre les Gafa et ce système que vous évoquez, ou les États-Unis eux-mêmes peuvent-ils être dépassés par la dimension mondiale de cette puissance économique ?
S'appuyant sur une culture originale et un système politique centralisé et autoritaire, les Chinois ont adopté la stratégie nationale de formation d'une bulle à l'intérieur du système internet. Vous opposez ce système à la stratégie, moins autoritaire mais tout aussi volontariste, de la Russie qui a pénétré à l'intérieur du système internet. Un État peut-il se tenir hors de ce système ? Sans doute, s'il compte 1,3 milliard d'habitants. Dans le cas contraire, l'absorption est inévitable.