Intervention de Michel Laugier

Réunion du 22 mai 2019 à 14h30
Modernisation de la distribution de la presse — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Michel LaugierMichel Laugier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a été saisi du projet de loi de modernisation de la distribution de la presse. Ce texte, que nous attendions depuis longtemps, réforme en profondeur l’un des piliers de notre démocratie, à savoir la loi Bichet du 2 avril 1947.

Je note au passage que vous avez déposé ce texte en premier lieu sur le bureau du Sénat, monsieur le ministre, et je veux y voir une reconnaissance du travail réalisé de longue date par la Haute Assemblée et sa commission de la culture, qui a construit, au fil des années et des réformes, une approche cohérente sur le sujet.

Je me permets de le souligner d’emblée : il nous faut être conscients de l’importance de notre vote. Il est rare que nous soyons appelés à réviser en profondeur une loi issue des travaux du Conseil national de la Résistance, adoptée alors que Paul Ramadier était le Président du Conseil du dernier gouvernement d’union nationale, rassemblant toutes les forces politiques issues de la Libération…

Si la loi du 2 avril 1947 est si importante à nos yeux, c’est qu’elle a été, après la guerre, l’un des vecteurs essentiels de notre démocratie. Elle permet en effet la diffusion de la presse, chaque jour depuis plus de soixante-dix ans, sur l’ensemble du territoire, dans des conditions non discriminatoires et égalitaires. En protégeant le pluralisme, c’est une condition nécessaire et essentielle du débat politique que la loi Bichet a confortée.

Pour autant, pour des raisons bien connues – crise de la vente de la presse au numéro, menaces persistantes sur Presstalis –, nous sommes tous convaincus de la nécessité de faire évoluer cette loi emblématique.

Vous avez hérité, monsieur le ministre, d’une situation complexe, avec de forts intérêts en jeu. Si vous avez capitalisé sur les travaux lancés par Françoise Nyssen – notamment le rapport de Marc Schwartz –, il vous est revenu de trancher et de proposer une solution, ce qui n’est jamais chose aisée, surtout dans un secteur qui déchaîne volontiers les passions. Cela doit être porté à votre crédit, de même que le pragmatisme de votre réflexion.

Au moment de l’examen de la loi de finances, j’avais évoqué les quatre points qu’une réforme de la loi Bichet se devait de traiter : premièrement, préserver une diffusion sur l’ensemble du territoire des titres d’information politique générale, qui est garantie par le Conseil constitutionnel ; deuxièmement, créer les conditions d’un équilibre économique durable du secteur ; troisièmement, redonner une place centrale aux diffuseurs de presse, les oubliés de ces dernières années ; quatrièmement, et enfin, prendre en compte l’évolution de la presse, avec la place grandissante du numérique.

Monsieur le ministre, votre réponse à ce programme, que j’admets ambitieux, me paraît dans l’ensemble satisfaisante.

Votre réforme conserve le cadre historique de la loi Bichet, non seulement de manière formelle, mais également dans ses grands principes : la préservation d’un système spécifique et unique au monde de distribution de la presse, qui tient compte de la place éminente reconnue à la presse d’information politique et générale, et le maintien du système coopératif.

Le nouveau cadre que vous nous avez proposé peut se résumer autour de trois grands principes, que vous avez évoqués à l’instant.

Premier principe, la régulation serait intégralement confiée à l’Arcep ; il serait donc mis fin à l’autorégulation du secteur. La nouvelle autorité de régulation devrait notamment veiller à ce que les nouvelles sociétés agréées, qui assureront, à compter de 2023, la diffusion des journaux sur le territoire, agissent bien dans le respect des objectifs d’intérêt général qui sont attachés à la presse.

Second principe, les diffuseurs de presse seraient enfin placés au centre du système, avec la possibilité de mener une réelle politique commerciale. À l’accès illimité au réseau, qui a contribué à l’engorgement des linéaires, succédera, une fois précisé que la presse d’information politique et générale conserve un droit absolu à être distribuée, une négociation pour déterminer l’assortiment servi dans les différents points de vente.

Troisième principe, la prise en compte de la diffusion numérique de la presse, qu’elle soit le fait des kiosques numériques ou des agrégateurs.

Cela rejoint pleinement les convictions fortes de la commission sur la nécessité de réguler le monde numérique. Je pense notamment à la résolution européenne sur la responsabilité partielle des hébergeurs, adoptée par le Sénat sur l’initiative de notre présidente Catherine Morin-Desailly, et à la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse de M. David Assouline, adoptée également à la quasi-unanimité par le Sénat.

La commission de la culture a travaillé sur ce texte de manière très ouverte, comme en témoignent les 22 amendements adoptés, issus de quatre groupes différents. En dépit des interrogations légitimes que nous pouvons entretenir sur un sujet de cette importance, nous avons travaillé selon trois axes.

Tout d’abord, nous avons cherché à garantir une régulation plus efficace et plus transparente, avec l’extension des pouvoirs de l’Arcep et la possibilité pour les commissions parlementaires de saisir l’Arcep sur la question de la distribution de la presse.

Ensuite, nous avons souhaité confirmer la place des diffuseurs de presse au centre du système et leur insertion dans les territoires, avec en particulier la consultation du maire de la commune concernée avant toute décision d’implantation.

Enfin, la commission a estimé nécessaire de travailler à la sécurisation des conditions de diffusion, notamment à la sécurisation de l’agrément par une mention dans le cahier des charges des fonctions logistiques et financières que doivent respecter les sociétés agréées et une garantie concernant la continuité de la distribution à l’issue de la période de transition.

Une fois ce cadre posé, monsieur le ministre, en saluant l’ambition et, une nouvelle fois, le pragmatisme de votre réforme, je dois vous faire part des points de vigilance, voire d’alarme, qui ont été longuement débattus par la commission.

Le premier, le plus évident, est la situation de Presstalis. La réforme sur laquelle vous nous invitez à nous prononcer n’entrerait pleinement en vigueur qu’en 2023. Ce temps a été jugé nécessaire pour permettre aux acteurs existants de se préparer, ainsi qu’aux futurs candidats de réfléchir à l’opportunité d’investir le marché, ce que nous ne contestons pas.

Cependant, dans le même temps, la situation de Presstalis devient critique, à tel point qu’il n’y a plus sur la table que trois solutions : un nouveau soutien massif et rapide de l’État ; l’adossement à un opérateur important existant, par exemple La Poste ou Geodis ; ou bien le pire devra être envisagé dans un délai, je le crains, assez rapproché.

Je connais, monsieur le ministre, votre détermination sur ce dossier et vos propos en faveur d’un adossement. Cet état d’esprit est-il cependant partagé par vos collègues du Gouvernement ? Je pense plus particulièrement à Bercy.

Très sincèrement, pouvons-nous imaginer que, d’ici à quelques mois, la presse ne soit plus distribuée en France parce qu’il y aura eu trop de tergiversations ? Tant que perdure cette attente, et malgré la qualité des équipes en place, comment Presstalis peut-il se montrer conquérant, ambitieux, et engager son renouveau sereinement ?

Votre réforme de la loi Bichet fraîchement adoptée, avec son cadre ambitieux et ses principes renouvelés, trouverait à son lancement un champ de ruines, si une stratégie n’était pas rapidement adoptée et portée au plus haut niveau. Monsieur le ministre, à ce jour, et au-delà des vœux pieux, que pouvez-vous nous dire très précisément sur les discussions en cours et leurs chances de succès ?

Le second sujet d’inquiétude est l’assortiment. Pour en finir avec l’accès au réseau pour tous, vous proposez de répartir la presse en trois familles.

Si nous sommes pleinement rassurés sur la presse d’information politique et générale, il est aujourd’hui bien difficile de mesurer l’impact sur la diversité et le pluralisme des nouvelles règles, qui font intervenir à la fois un accord interprofessionnel et des conventions passées directement par les diffuseurs. L’amendement adopté en commission sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux tend à apporter une réponse que je crois pertinente, avec un « droit de présentation » pour tous les éditeurs de la presse dite « CPPAP » non retenus dans l’assortiment, ainsi que pour la presse dite « hors CPPAP ».

Cependant, bien des inconnues subsistent. Je souhaite que notre séance soit l’occasion pour vous de nous rassurer pleinement sur cette question fondamentale, qui conditionne, dans les faits, le succès démocratique de la réforme.

Monsieur le ministre, comme vous le voyez, c’est avec bienveillance, mais aussi vigilance et exigence que nous examinons aujourd’hui votre projet de loi.

Avant de conclure mon propos, je voudrais dénoncer, dans les termes les plus vifs, les opérations de blocage menées par certains sur une sélection de titres détenant la qualification IPG, qui n’ont pas pu être diffusés dans les temps la semaine dernière et aujourd’hui.

Nous ne pouvons que condamner avec la plus grande force cette méthode, qui, sous couvert de défendre la loi de 1947, s’en prend aux éditeurs, compromet la situation des messageries, accroît les difficultés des diffuseurs. En un mot, c’est la négation de l’esprit de la loi Bichet. J’espère, monsieur le ministre, que vous prendrez toutes les mesures pour faire cesser ce véritable scandale.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention, et forme le vœu que, de nos débats de ce jour, puisse sortir une nouvelle loi en mesure de conforter l’avenir de l’ensemble de la filière.

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