Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la distribution de la presse est depuis trop longtemps au bord du gouffre. Presstalis, principal acteur du secteur, qui distribue l’intégralité des quotidiens, présente à ce jour 400 millions d’euros de fonds négatifs. Or, avec une distribution de la presse en grande difficulté, c’est le pluralisme des opinions qui risque de chanceler.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qui est pour beaucoup imputable au totalitarisme et au populisme, la loi Bichet rappelait le principe essentiel de la libre distribution de la presse, principe confirmé par le Conseil constitutionnel : la libre communication des pensées et des opinions exige que le public dispose d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents.
La distribution de la presse au numéro doit ainsi concourir à ce que soit atteint l’objectif à valeur constitutionnelle du pluralisme. La loi Bichet a contribué à la réalisation de cet objectif : le Conseil d’État indique que quelque 4 400 titres sont aujourd’hui distribués en France, contre 2 500 au Royaume-Uni et 1 600 en Allemagne.
Cette réussite a néanmoins un coût, notre système prévoyant une large couverture du territoire et un nombre important de publications.
Ce coût s’est trouvé aggravé par la réduction structurelle de la vente de presse papier au numéro. En dix ans, le volume de cette vente a fondu de moitié. Un tiers des points de vente ont disparu – chaque année, ce sont 1 000 points de vente qui ferment.
Aussi est-il nécessaire de réformer le cadre de la distribution de la presse au numéro en France, afin de l’adapter au changement de la société et afin de renforcer l’efficacité économique du secteur.
Le rapport de Marc Schwartz avait permis de mettre en lumière les difficultés du système actuel. La gouvernance doit évoluer, et l’efficacité économique revenir au centre de l’activité.
L’objet du projet de loi que nous examinons est de réformer le secteur en douceur, si je puis dire. Il est ainsi proposé d’ouvrir la distribution de la presse au numéro à la concurrence, de manière progressive et encadrée.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est convaincu qu’une concurrence loyale favorisera utilement les gains d’efficacité économique et participera à l’assainissement du secteur. La mise en concurrence est selon nous nécessaire et utile ; mais cette concurrence doit être encadrée.
Un tel encadrement est nécessaire pour que la concurrence soit loyale, mais aussi afin de garantir la préservation du pluralisme des opinions, si essentiel à la vie démocratique.
Le projet de loi prévoit que l’on passe de deux régulateurs à un seul. Cette unification nous semble être une mesure de bon sens. Néanmoins, le choix de confier la régulation à l’Arcep a soulevé certaines critiques. Cette autorité saura-t-elle aller au-delà d’une régulation purement économique ? L’avenir nous le dira ; il appartiendra à l’Arcep de faire ses preuves.
Quoi qu’il en soit, nous nous félicitons que notre commission ait veillé, tout en augmentant les compétences de l’Arcep, à rendre leur exercice plus transparent – je voudrais profiter de cette évocation du travail de la commission pour féliciter notre rapporteur, Michel Laugier, de la qualité du travail effectué et du professionnalisme dont il a fait preuve tout au long de l’examen de ce texte.
Afin de redynamiser le secteur, il est prévu de donner davantage de souplesse aux quelque 24 000 acteurs qui sont en première ligne en matière de vente de presse au numéro : les diffuseurs de presse.
Nous sommes convaincus que les points de vente sont les mieux à même de connaître les attentes de leurs clients. Ils doivent être en mesure de mettre en avant les titres qui y correspondent. Cette liberté ne saurait toutefois s’exercer au détriment du pluralisme de la presse d’information politique et générale.
Nous nous félicitons par ailleurs que l’on se propose, au travers de ce projet de loi, de commencer à dompter le far west qu’est sur internet, entre autres nombreuses choses, l’information. Nous avons commencé à agir, avec la création du droit voisin de la presse, afin que les acteurs du numérique cessent d’exploiter les contenus des agences de presse et des éditeurs de presse sans autorisation ni rémunération.
Il faut prendre en considération, outre le sujet de la rémunération, le fait que les plateformes d’agrégation de contenus orientent sensiblement l’opinion publique, en sélectionnant les articles qu’elles présentent aux usagers.
Les habitudes de consommation de nos concitoyens évoluent de plus en plus vers le numérique, au détriment de l’écrit. Il est par conséquent primordial que les usagers de la presse numérique puissent savoir sur quels mécanismes repose la présentation de l’information qui leur est communiquée.
Nous sommes favorables à la réglementation instituée par le texte, qui astreint les opérateurs numériques à respecter le pluralisme et les soumet à des obligations explicites de transparence.
Nous serons d’ailleurs contraints, sur ces sujets, d’intervenir de nouveau, au gré des évolutions technologiques. À chacune de nos interventions, il nous faudra renforcer la transparence, le pluralisme et la démocratie, et, à défaut, les défendre.
Je constate enfin – avec regret, mais sans surprise – que la CGT a décidé d’empêcher la parution des quotidiens le jour même où le Sénat examine le projet de loi portant réforme de la vente en kiosque, qui est destiné à sauver cette dernière.
Peut-on dire chose plus absurde, à tous ceux qui continuent à lire le journal papier, que : « Pour le défendre, nous vidons les kiosques aujourd’hui et vous forçons à vous rabattre sur la version web de votre quotidien » ?