Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’exprimer solennellement le 11 octobre 1984 lors de l’examen de la loi visant à limiter la concentration des entreprises de presse, le pluralisme n’est effectif que « si le public est à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ».
Si cette affirmation nous semble aujourd’hui frappée du sceau de l’évidence, elle a néanmoins le mérite de rappeler – elle le fait de manière très pertinente – l’un des fondements de notre démocratie, incarné par la fameuse loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse posant la liberté de diffusion comme consubstantielle à la liberté d’expression.
Auparavant, et depuis 1789, la distribution de la presse était soumise à un monopole postal impliquant de fait un contrôle étatique et une censure préalables. Sans la liberté de diffuser, la liberté de la presse est sans effet ; c’est bien ce que réaffirme la loi Bichet du 2 avril 1947 en donnant à ce principe un cadre réglementaire, fondé sur le pluralisme et le triptyque « Liberté, égalité, impartialité ».
La loi Bichet visait – on le sait – à tourner définitivement la page de la sombre période qui avait précédé, où l’occupant nazi avait réquisitionné les messageries pour s’assurer un contrôle total de la presse.
Ce que l’on oublie parfois, c’est que la loi Bichet a également été mise en place, plus prosaïquement, pour répondre à l’inquiétante dégradation de la situation économique des Messageries françaises de presse, qui avaient été instaurées en août 1945 par le Gouvernement provisoire de la République française, situation qui, au passage, n’est pas sans rappeler nos inquiétudes actuelles quant à la pérennité économique de la principale coopérative de distribution de la presse dans notre pays.
Rappelons aussi que, à l’époque où la loi Bichet fut votée, la presse écrite était essentiellement une presse d’information et d’opinion de périodicité quotidienne : 180 quotidiens, en 1946, contre à peine 72 aujourd’hui, chiffre au demeurant très généreux, qui inclut les gratuits et certains titres régionaux appartenant aux mêmes groupes et partageant en grande partie les mêmes contenus.
Nul n’est besoin de rappeler que la presse écrite d’information a successivement subi, depuis 1947, la concurrence des médias audiovisuels, celle de l’abondante prolifération de la presse magazine spécialisée, notamment durant les années 1970 et 1980, puis celle, plus récemment, de l’information en ligne et des réseaux sociaux, qui divulguent gratuitement des nouvelles dont il est de plus en plus rare qu’elles soient produites par des journalistes professionnels.
La raréfaction des points de vente s’accélère, et la société Presstalis est aujourd’hui lourdement lestée de 400 millions d’euros de fonds propres négatifs.
Oui, monsieur le ministre, vous avez raison de dire, concernant la réforme de la loi Bichet, qu’il faut « la moderniser sans la casser ». Le texte qui nous est présenté aujourd’hui, sous des apparences parfois complexes et même très techniques, a la grande qualité, au travers de ses compromis et ses jeux subtils d’équilibre, de respecter ce juste postulat.
Il respecte notamment certains fonctionnements qui ont fait leurs preuves, tout en prenant en compte les attentes des principaux acteurs de la filière, à savoir les marchands de journaux, et les évolutions techniques autant que technologiques.
Le principe de l’organisation de la distribution sous forme coopérative est maintenu, malgré les critiques – certains ont même proposé d’y mettre un terme. Cela permet de continuer à associer les éditeurs au fonctionnement des messageries de presse, tout en offrant désormais la possibilité d’ouvrir leur capital à d’autres acteurs de la distribution.
Les marchands de journaux, aujourd’hui pris à la gorge tant par l’obligation à laquelle ils sont tenus de présenter nombre de titres qu’ils ne réussissent pas à vendre que par la baisse générale des ventes de titres de presse, vont pouvoir compter sur davantage de « souplesse ».
S’ils seront dans l’obligation de vendre la presse IPG, c’est-à-dire les titres d’information politique et générale, et les titres CPPAP, c’est-à-dire les titres reconnus par la commission paritaire des publications et agences de presse, ils pourront, via des accords interprofessionnels, choisir ce qu’ils souhaitent vendre parmi les autres titres de la presse magazine. Ils pourront ainsi adapter leur offre et se montrer plus pertinents au regard des attentes effectives de leurs clients. Cette possibilité de choix contribuera à sauver le maillage actuel des marchands de journaux, voire à le revitaliser.
Le fait, par ailleurs, de confier la gestion des négociations de distribution à l’Arcep simplifie la régulation du secteur, en supprimant les deux actuelles autorités en charge de celle-ci, le CSMP et l’ARDP, qui étaient trop souvent, il faut le dire, juges et parties dans les arbitrages.
Les compétences de l’Arcep en matière de régulation du secteur postal pourraient être très utiles s’agissant de la distribution de la presse, de même que l’ouverture qu’elle offrira sur le monde des réseaux de communications, désormais essentiels à la circulation de l’information.
Qu’en est-il, d’ailleurs, d’internet et de la presse écrite ?
Il est précisément prévu, dans ce texte, plusieurs changements de taille. Les kiosques numériques auront notamment l’obligation d’intégrer tous les titres IPG, dans les mêmes conditions que dans l’univers physique.
Autre innovation portée par ce texte : la « responsabilisation » des agrégateurs d’information, Google News, Apple News, MSN, Yahoo! et tant d’autres, qui seront soumis à une obligation de transparence, telle que celle qui est prévue pour les opérateurs de plateformes en ligne.
Mes chers collègues, cette réforme de la loi Bichet, avec ses multiples apports novateurs, suscite – c’est vrai – nombre de commentaires.
Quoi qu’il en soit, je voudrais saluer le travail effectué par le rapporteur, notre collègue Michel Laugier, qui mérite les propos uniformément élogieux qui lui ont été adressés. Il a su écouter tous les acteurs du secteur et améliorer le texte par de nombreux amendements d’ajustement et de correction dont je rappelle qu’ils ont tous été adoptés à l’unanimité, la semaine dernière, par notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues : le groupe La République En Marche votera, bien évidemment, en faveur de ce texte.