Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 22 mai 2019 à 14h30
Modernisation de la distribution de la presse — Motion d'ordre

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues, je voudrais commencer par remercier très sincèrement M. le ministre d’avoir fait confiance au Sénat – les travaux de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication se trouvent ainsi reconnus –, en saisissant la Haute Assemblée en premier sur ce projet de loi.

Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, effectuant un suivi régulier de la situation de Presstalis. Plus généralement, notre commission, très attachée aux médias en général et à la presse en particulier, a toujours suivi les évolutions de la presse avec beaucoup d’attention. Nous tenons beaucoup à un modèle pluraliste et vivant, qui garantisse les conditions de notre démocratie.

J’insisterai sur une dimension de ce texte : la question des plateformes. Le texte que vous nous proposez de réformer a fêté ses soixante-dix ans en 2017, et il traite d’un aspect fondamental de la presse, à savoir sa distribution physique, égalitaire et non discriminatoire.

Cependant, il faut bien admettre que nous accédons désormais de moins en moins à l’information en parcourant des yeux les linéaires d’un diffuseur, et de plus en plus par voie numérique.

Or je m’interroge sur la possibilité de coexistence entre un monde physique, égalitaire et régulé et un monde, de plus en plus dominant, obéissant à une logique exactement inverse, dérégulé et inégalitaire.

Quand je me connecte, des algorithmes sophistiqués cherchent à capter mon attention en me présentant des contenus d’information supposés m’intéresser. Dès lors, il n’y a plus de débat, plus d’échange, plus de surprise : ce que les psychologues appellent le « biais de confirmation » joue pleinement et m’enserre dans mes certitudes. Je ne parle pas ici de quelques sites isolés, mais des fondements mêmes de l’économie de l’internet, désormais dominante, qui déferle sur la presse, mais aussi sur la musique, l’audiovisuel, le cinéma et l’ensemble des secteurs de la culture.

Face à ce défi, monsieur le ministre, je reconnais que votre texte a le mérite d’essayer de faire bouger les lignes aussi loin que possible.

En particulier, vous demandez aux plateformes de fournir à l’internaute « une information claire, loyale et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la mise en avant de ces contenus ».

C’est déjà beaucoup, car vous faites effectivement le lien entre l’information collectée sur l’internaute et celle qui lui est proposée. Mais c’est aussi très peu, si l’on tient compte du fait que la seule obligation qui pèserait sur les plateformes serait une obligation d’information, rien n’étant dit sur le caractère pluraliste ou diversifié des informations proposées aux internautes.

Vous le savez, le Sénat, grâce à la proposition de loi de notre collègue David Assouline, a été à l’initiative d’une transposition anticipée des dispositions de la directive Droit d’auteur relatives au droit voisin des éditeurs de presse. Nous espérons une issue heureuse pour ce dossier, et une transposition la plus rapide et la plus harmonisée possible de la directive dans les différents États membres – nous comptons beaucoup, en la matière, sur l’ERGA, le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels.

J’ai toutefois peur que les espoirs soient déçus si un réel contrôle n’est pas exercé sur les plateformes – cette crainte a été exprimée par beaucoup de collègues parmi ceux qui m’ont précédée à cette tribune.

Nous avons déjà eu ce débat sur le verrou que constitue, en la matière, la directive sur l’e-commerce de 2000 ; celle-ci ne confère aucun statut spécifique aux plateformes, lesquelles ne sont ni redevables ni responsables de rien, aucun statut intermédiaire n’existant entre celui d’hébergeur et celui d’éditeur – ce sujet, nous l’avons évoqué également à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

À cet égard, monsieur le ministre, je voudrais que le Gouvernement confirme une nouvelle fois sa volonté de porter ce débat au niveau européen – c’est de cette manière que nous pourrons avancer.

Certes, je connais la difficulté de l’exercice. Mais si nous avons été capables d’être fer-de-lance sur les droits d’auteur et les droits voisins, nous pouvons l’être aussi sur la révision et la réouverture de la directive e-commerce.

Disons-le, plaider pour une corrélation ou une autorégulation des plateformes est un leurre ; c’est tout à fait illusoire. D’ailleurs, il faut cesser de dérouler le tapis rouge aux géants du numérique en imaginant pouvoir travailler avec eux. Je rappelle, du temps d’Eric Schmidt, l’ambition de Google était d’« organiser toute l’information du monde »… Vous le voyez, nous ne pouvons pas leur faire confiance.

Par conséquent, il faut travailler à la distribution de la presse numérique. Cela passe nécessairement par une action très volontariste à l’échelon européen.

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