Intervention de Laurent Lafon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 mai 2019 à 9h30
Projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé — Examen du rapport pour avis

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon, rapporteur pour avis :

Alors que le projet de loi comptait 23 articles, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale en comporte 73, dont sept au moins concernent notre commission, au titre de ses compétences en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Toutefois, compte tenu du temps qui m'était imparti, j'ai centré mon rapport sur la réforme des études de santé proposée par le Gouvernement, c'est-à-dire sur les deux premiers articles.

Cette réforme a été annoncée par le Président de la République dans son discours de septembre 2018, dans lequel il a déclaré : « le numerus clausus sera donc supprimé pour cesser d'entretenir une rareté artificielle » et « dès la rentrée 2020, il n'y aura plus de concours à la fin de la première année, c'est-à-dire plus de Paces, cet acronyme synonyme d'échec pour tant de jeunes ». Ces orientations ont été confirmées dans le plan « Ma Santé 2022 » de Mmes Vidal et Buzyn, et font l'objet de l'article 1er du projet de loi.

La création de la première année commune d'accès aux études de santé (Paces) remonte à 2010. Avant de la vouer aux gémonies, souvenons-nous qu'elle présente quelques avantages : en principe équitable, peu coûteuse, elle a constitué une filière d'excellence au sein de l'Université. Ces avantages sont toutefois largement compensés par des inconvénients nombreux et lourds. Avec son taux d'échec de 77 %, le système détruit de nombreux jeunes, pourtant excellents bacheliers, qui se retrouvent en échec, perdent confiance en eux, voire encourent des risques psycho-sociaux.

Si l'on suit 1 000 primo-entrants en Paces, on constate qu'un an plus tard, 120 d'entre eux ont réussi le concours, dont 87 en médecine. Presque 500 choisissent de retenter leur chance. Et deux petits quarts décident de jeter l'éponge et de se réorienter : 221 vers d'autres parcours universitaires, 206 en dehors de l'Université. Sur les 453 redoublants, une petite moitié va finalement réussir, dont 115 en médecine, mais l'autre moitié va se réorienter au bout de cette deuxième année de préparation qui a abouti à un nouvel échec. Bref, deux tiers des primo-entrants finissent par échouer à la Paces, en ayant perdu une voire deux années d'études. Et, sur les 1 000 candidats, à peine 200 intègrent les études de médecine.

De plus, le coût de la Paces pour les familles est lourd - et explique aussi l'autocensure de certains bacheliers à l'égard des études de santé. En somme, c'est un système inefficace en termes de diplômation, et cela a un coût pour la Nation. Enfin, l'année de Paces n'est pas une année très intéressante, tant du point de vue des contenus enseignés, orientés davantage vers la sélection que vers la formation, que des conditions d'études : amphithéâtres surchargés, cours en vidéo-conférences, polycopiés, quasi absence de travaux dirigés, bachotage...

On aboutit à ne sélectionner à l'entrée des études médicales qu'un seul profil. Le lauréat-type est un bachelier S : 90 % des étudiants de Paces ont un bac S, et tous les autres bacheliers ont des chances de réussir inférieures à 3 % même avec redoublement. Il est titulaire d'une mention « très bien » : les trois quarts des bacheliers S avec mention « très bien » passent en deuxième année des études de médecine, dont la moitié sans redoubler, alors que les bacheliers S avec mention « assez bien » ne sont que 3,7 % à accéder en deuxième année sans redoubler. Il est issu des classes sociales les plus favorisées : 4 étudiants sur 10 en sont issus et les études DE santé sont parmi les formations les plus clivées socialement, juste derrière les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Parmi les inscrits de première année de Paces, un enfant de cadre a 2,5 fois plus de chance d'intégrer médecine qu'un enfant d'ouvrier. Je n'ai pas réussi à obtenir de statistiques sur la provenance géographique des inscrits et des lauréats, mais tout laisse supposer une forte prédominance des milieux urbains.

Une première solution intéressante a été développée pour que des étudiants qui n'ont pas d'université à composante santé de proximité accèdent plus facilement à cette formation : la création d'antennes Paces, qui permettent de suivre les cours de Paces à distance grâce à leur diffusion vidéo. Alors qu'il existe aujourd'hui 34 Paces sur le territoire, on compte 70 antennes Paces.

La loi « enseignement supérieur et recherche » (ESR) de 2013 a ensuite instauré deux mécanismes d'expérimentations pour diversifier les profils recrutés et construire des parcours de formation de réussite, que la loi « orientation et réussite des étudiants » (ORE) a prolongés et étendus. Sur les 34 universités à composante santé, 24 sont aujourd'hui expérimentatrices.

Il s'agit de l'AlterPaces, expérimentée dans 16 universités et qui permet à des étudiants ayant validé entre une et trois années de licence dans un autre domaine d'être admis directement en deuxième ou troisième année des études de santé, selon un quota défini par l'université, et qui s'impute sur son numerus clausus. Ce dispositif n'a pas rencontré un très grand succès, puisque seules 15 % des places offertes ont été pourvues en 2016-2017, notamment en raison d'un manque de communication. Mais les étudiants recrutés par ces passerelles sont souvent les meilleurs et les plus motivés ensuite dans les formations en santé.

Autre dispositif expérimental, le PluriPass, mis en place depuis 2015 à l'Université d'Angers, dont nous avons auditionné le Président, permet aux étudiants d'accéder aux études médicales ainsi qu'à une quinzaine de licences ou à des écoles d'ingénieurs, et donc inscrit tous les étudiants dans un parcours de réussite. Cela a permis d'inverser le ratio échec-réussite : 72 % des étudiants de PluriPass réussissent leur année. Par ailleurs, cette université a expérimenté de nouvelles modalités d'examen avec l'introduction d'épreuves orales, pour contourner ou compléter le questionnaire à choix multiples (QCM).

Le mécanisme de la Paces adaptée, que nous avions introduit dans la loi ORE à mon initiative, est expérimenté depuis la rentrée 2018 par trois universités parisiennes et par l'université de Brest. Il donne deux chances d'admission dans les études médicales sans redoublement et permet une poursuite d'études dans une pluralité de parcours de licence.

S'appuyant sur ces expérimentations plutôt réussies, le Gouvernement nous propose un dispositif rénové permettant la diversification des profits et la construction de parcours de réussite. L'article 1er ne donne qu'un cadre très général à cette nouvelle organisation et l'essentiel des dispositions fera l'objet d'un décret et d'un arrêté en cours de préparation.

La Paces disparaîtrait pour être remplacée par des licences comportant soit une majeure santé - c'est ce qu'on appelle les « Portails Santé », qui seront certainement la transformation des anciennes Paces - soit une mineure santé, comme par exemple « droit et santé », « biologie et santé », etc. Ces mineures santé pourraient être proposées dans toutes les universités, même celles qui ne comportent pas de composante santé, et les antennes Paces actuelles devraient tout naturellement se transformer en mineures santé. L'accès en deuxième ou troisième année des études médicales pourrait se faire soit via une majeure soit via une mineure. L'avantage de cette organisation est qu'elle conduit, même en cas d'échec au concours, à une poursuite organisée d'études. Le concours serait transformé pour sortir du « tout QCM » et comporter également des épreuves rédactionnelles et orales, au moins au stade de l'admission.

Cette réforme de l'entrée dans les études de santé devrait concerner les étudiants qui rejoindront l'Université à la rentrée de septembre 2020. Les nouvelles maquettes de formation devront donc être publiées sur Parcoursup dès novembre prochain. Globalement, cette réforme fait l'objet d'un assez large consensus, que nous avons pu mesurer au cours de nos auditions.

Pour qu'elle réussisse, il faudra d'abord que l'information auprès des lycéens et de leurs familles soit bien faite, sur Parcoursup mais aussi dans les lycées. Le nouveau dispositif, qui laisse beaucoup d'autonomie aux universités dans leurs choix d'organisation, sera nécessairement plus complexe que la Paces actuelle. Par ailleurs, et c'est une bonne chose, il obligera les lycéens à se demander dès avant l'entrée à l'Université quelles études ils ont envie de suivre si ils ne réussissent pas à intégrer les études de santé, et quel métier ils souhaitent exercer s'ils ne deviennent pas médecin, dentiste, sage-femme ou pharmacien. L'effort d'orientation devra également se faire au sein des universités pour continuer à orienter les étudiants après un ou deux échecs à l'entrée des études de santé.

Si c'est une Paces qu'on recrée sous le nom de « Portail Santé », on n'aura pas beaucoup avancé ! Il faut donc garantir la diversité des voies d'accès aux études de santé. Pour cela, il faut que le Portail Santé ne préempte pas toutes les places au concours - le rapport du Professeur Saint-André proposait qu'un maximum de 60 % des places soit fléché vers les Portails Santé - et que les universités proposent une offre réelle de mineures santé.

La question des moyens accordés aux universités pour faire cette transformation se pose également. Le Gouvernement met en avant une économie de 55 millions d'euros liée à la disparition des redoublements en Paces. Mais, à court terme et à titre transitoire, la transformation de places de Paces en places de majeures ou mineures sera nécessairement coûteuse : une place de Paces coûte environ 2 000 € par étudiant et par an, soit deux fois moins qu'une place de licence - à multiplier par 57 000 étudiants chaque année. Il y aura aussi des augmentations de coût pérennes liées aux nouvelles épreuves du concours : le « tout QCM » était particulièrement économique ! Nous n'avons pas obtenu de chiffrage précis de la part du ministère, mais Mme Vidal a annoncé la semaine dernière lors de son audition par la commission des affaires sociales que « les moyens nécessaires à la transition seront mis à la disposition des universités ».

Je vous proposerai trois amendements relatifs à l'entrée dans le premier cycle des études de santé. Les deux premiers garantissent la diversité des voies d'accès. Le troisième repousse d'un an l'entrée en vigueur de la réforme, car les universités vont devoir être prêtes pour novembre prochain et l'ouverture de Parcoursup. Or le risque est grand, dans ce temps contraint, qu'elles se contentent de re-labelliser leur Paces en Portail Santé et remettent à plus tard une réflexion de plus grande ampleur sur leurs maquettes de formation. Ce serait très dommageable pour la bonne compréhension de la réforme et nous partirions sur de mauvaises bases. De plus, un décalage d'un an ferait coïncider le calendrier de la réforme du baccalauréat avec celui de la présente réforme.

Le Président de la République a annoncé la suppression du numerus clausus. Cela pourrait laisser penser que l'entrée dans les études médicales serait désormais libre et ouverte à tous ... Tel ne sera pas le cas - heureusement. Les capacités de formation en deuxième et troisième années des études de santé seront déterminées par les universités. Pour ce faire, ces dernières devront prendre en compte des objectifs pluriannuels d'admission en deuxième cycle qu'elles fixeront sur avis conforme des agences régionales de santé (ARS) et qui devront tenir compte des objectifs nationaux pluriannuels de l'État. Bref, l'État garde largement la main sur le nombre de places offertes aux concours d'entrée en deuxième et troisième années des études de santé.

Le principal obstacle à une augmentation du numerus clausus est d'abord constitué par les capacités de formation de nos universités et de nos centres hospitaliers universitaires (CHU) ! Les ministres ont d'ailleurs annoncé une augmentation transitoire du nombre de places du concours de l'ordre de 20 %, pour que les étudiants qui sont à cheval sur l'entrée en vigueur de la réforme ne subissent pas de perte de chances, mais cette augmentation transitoire du numerus clausus pourrait s'avérer très difficile à mettre en place. Les doyens de chirurgie dentaire, par exemple, sont extrêmement inquiets car leurs plateaux techniques ne sont pas extensibles. Les terrains de stage et le nombre de maîtres de stages sont aussi des éléments limitants pour l'accueil et la formation d'étudiants supplémentaires.

Faut-il regretter que l'on ne supprime pas réellement le numerus clausus ? Je ne le pense pas. D'une part, il me semble indispensable de conserver une sélection rigoureuse de nos futurs professionnels de santé. Il me semble également légitime que l'État conserve la main sur les effectifs de formation des médecins, à condition de bien les gérer. La gestion du numerus clausus entre le milieu des années 1970 et le début des années 2000 comme moyen de régulation des dépenses de santé est largement responsable des pénuries médicales que nous connaissons. Mais le numerus clausus a été significativement desserré depuis le début des années 2000 : les jeunes professionnels, qu'il faut entre neuf et douze ans pour former, arrivent progressivement sur le terrain. La France souffre peut-être d'un relatif manque de médecins - 310 pour 100 000 habitants contre 370 en moyenne dans l'Union européenne - mais surtout d'une très inégale répartition de ceux-ci sur le territoire. Et ce n'est pas en supprimant ou en desserrant le numerus clausus que nous apporterons une réponse efficace à la question des déserts médicaux.

L'article 2 porte sur la réforme de l'entrée en troisième cycle des études de médecine. Le Gouvernement nous propose de supprimer les épreuves classantes nationales (ECN), qui polarisaient toute la dernière année d'études du deuxième cycle en un bachotage digne de la Paces. Par ailleurs, à l'issue de ces ECN, tous les candidats sont classés et c'est le classement qui décide de votre spécialité.

Le dispositif proposé prévoit toujours des épreuves, qui valoriseront non seulement les connaissances mais aussi les compétences des étudiants. Faute d'une note minimale, l'accès en troisième cycle ne sera pas permis. Quant à l'affectation sur les postes offerts à l'internat, il ne dépendra plus des seuls résultats aux épreuves. Devront également être pris en compte le parcours de formation et le projet professionnel du candidat. Cette nouvelle organisation devrait valoriser certains éléments du parcours de l'étudiant comme un diplôme supplémentaire, une expérience internationale, un stage dans un bloc opératoire spécialisé, etc. L'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, prévue dans le texte pour la rentrée universitaire de 2020, pourrait être décalée à 2021 pour permettre aux universités de revoir tout le deuxième cycle et de mieux préparer leurs étudiants aux nouvelles modalités d'entrée en troisième cycle.

Je suis globalement favorable à la réforme de l'entrée en troisième cycle qui nous est ainsi proposée dans ses grandes lignes. Car ici, comme pour l'article 1er, beaucoup est renvoyé à des textes réglementaires.

Au-delà de la question de l'accès en premier ou en troisième cycle, ce projet de loi est l'occasion de nous interroger plus globalement sur l'organisation de nos études de santé en général et de médecine en particulier. Je vous proposerai quelques amendements. L'un prévoit que l'organisation des études de santé doit aussi contribuer à la répartition équilibrée des futurs professionnels sur le territoire ; car, au-delà de cinq années loin de chez lui, les chances que l'étudiant revienne s'installer là où il avait passé son bac s'amenuisent drastiquement. C'est pourquoi je suis un féroce défenseur du développement de mineures santé dans les universités de proximité, ainsi qu'au développement des stages en zones sous-denses, pour permettre le cas échéant à ces jeunes de revenir en stage sur leur territoire d'origine et d'y construire un projet professionnel. Cet amendement est commun avec Jean-François Longeot, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire.

Un autre amendement, plus technique, garantit la possibilité de changer d'université entre le premier et le deuxième cycle.

Mon troisième amendement propose une nouvelle rédaction pour faire passer, dans le texte du code de l'éducation, la référence à la pratique hospitalière après les questions de découverte de la diversité des modes d'exercice et des territoires. Symboliquement, c'est important.

Deux amendements favorisent les stages en zones sous-denses, sans pour autant les rendre obligatoires, car j'ai conscience que ce serait très difficile voire impossible à réaliser compte tenu du manque actuel de maîtres de stage. Ces amendements ont également été rédigés en commun avec Jean-François Longeot.

Enfin, deux amendements favorisent la participation des étudiants en médecine à des programmes d'échanges internationaux - totalement sous-développés actuellement.

Je remercie celles et ceux d'entre vous qui ont participé aux auditions que nous avons organisées, en cette période chargée pour notre commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion