Le violent incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris dans la soirée du 15 avril a provoqué une vague d'émotion planétaire. Les images de la cathédrale en proie aux flammes ont constitué un véritable choc pour tous : chrétiens, Parisiens, Français et étrangers. Passée la stupeur initiale, de nombreuses personnes ont manifesté le désir de se mobiliser. Il faut dire que Notre-Dame, au-delà d'être l'un des hauts lieux de la chrétienté, constitue un témoignage exceptionnel de l'architecture gothique. Elle tient une place importante dans notre patrimoine, dans notre histoire et dans notre mémoire.
Le travail exceptionnel réalisé par les pompiers dans la nuit du 15 au 16 avril a permis de sauver la majeure partie de l'édifice, alors que le beffroi nord menaçait de s'effondrer. Seule la stabilité de la voûte n'est toujours pas, à ce stade, garantie. La réactivité des différents services a également permis de mettre rapidement en sûreté à l'Hôtel de ville les oeuvres qui se trouvaient à l'intérieur du monument.
Dès le 15 avril au soir, le Président de la République a annoncé le lancement, le lendemain, d'une souscription nationale. Le 16 avril, il a indiqué son souhait de voir rebâtie la cathédrale « plus belle encore » dans un délai de cinq ans. Le 17 avril, à la suite d'un conseil des ministres consacré exclusivement à Notre-Dame, le Premier ministre a annoncé plusieurs mesures pour relever le défi de ce chantier hors norme, parmi lesquelles le dépôt d'un projet de loi permettant de donner un cadre légal à la souscription lancée par le Président de la République et l'organisation d'un concours international d'architecture portant sur la reconstruction de la flèche de la cathédrale. Il a également indiqué la nomination de Jean-Louis Georgelin, ancien chef d'état-major des armées, comme représentant spécial chargé de « veiller à l'avancement des procédures et des travaux qui seront engagés ».
Si certaines de ces annonces ont été bien accueillies, d'autres en revanche ont immédiatement soulevé des interrogations.
C'est le cas du concours international d'architecture pour la reconstruction de la flèche. L'idée d'un « geste architectural » ne va pas forcément de soi. Une reconstruction de celle-ci à l'identique est parfaitement envisageable. Elle apparaît d'autant plus justifiée que les plans de Viollet-le-Duc sont à disposition, que les relevés existent, que les statues des douze apôtres et des quatre évangélistes avaient été déposées le jeudi précédant le sinistre et que le coq qui ornait aussi la flèche a été sauvé. Elle va plutôt dans le sens des recommandations formulées par les textes de référence internationaux en matière de restauration, à commencer par la Charte de Venise de 1964. Elle constituerait enfin un gain de temps précieux au regard de l'objectif d'une reconstruction en cinq ans, comme souhaité par le Président de la République.
Ce délai de cinq ans constitue d'ailleurs une autre source d'interrogations. S'il est compréhensible de vouloir rendre Notre-Dame de Paris aux fidèles, aux Français et aux touristes le plus rapidement possible, imposer un tel délai, alors qu'aucun diagnostic n'a encore pu être réalisé, n'a que peu de sens. La restauration de Notre-Dame est un chantier d'ampleur. Aucune cathédrale n'est restaurée pour seulement une dizaine d'années. Il faut se donner le temps de la réflexion et mener une restauration de qualité. C'est pourquoi l'objectif autour de la restauration de Notre-Dame ne saurait être d'aller vite. Au mieux, ce délai de cinq ans doit être vu comme une ambition, mais on voit mal comment le chantier pourrait être achevé d'ici à l'organisation des Jeux Olympiques à Paris en 2024 - le public de ce type de rassemblements n'est d'ailleurs pas forcément celui de la cathédrale. Pourquoi pas, en revanche, rouvrir la cathédrale au culte dans ce délai, quitte à poursuivre, par la suite, les travaux de reconstruction de la charpente et de la flèche ?
Le projet de loi est motivé par la volonté de faire appel à la générosité du public pour financer la restauration de Notre-Dame. Il vise aussi à répondre à l'élan de solidarité qui s'est manifesté très rapidement après la diffusion des premières images de l'incendie, en mettant en place une souscription nationale permettant d'offrir aux donateurs un cadre légal clair et sécurisant. Les dons véritablement encaissés à ce stade représentent une part mineure en comparaison des promesses de dons qui ont été formulées. Il est donc important d'apporter des garanties pour éviter que la générosité ne se tarisse et que les promesses de dons ne soient pas converties. Le chiffrage précis du coût des travaux, une fois les besoins identifiés et les projets arrêtés, sera une information déterminante à faire connaître pour que la souscription puisse se poursuivre dans les meilleures conditions.
La question de la souscription est réglée par les articles 1er à 7.
L'article 1er prévoit l'ouverture de la souscription nationale et la place sous l'autorité du Président de la République.
L'article 2 fixe l'objet de la souscription, en la faisant porter sur le financement des travaux de conservation et de restauration de Notre-Dame et du mobilier dont l'État est propriétaire, ainsi que sur la formation aux métiers du patrimoine nécessaires à la réalisation de ce chantier.
L'article 3 prévoit les modalités de reversement des dons par les différents organismes collecteurs habilités à les recueillir dans le cadre de la souscription nationale. Une procédure originale a été retenue, puisqu'y participent, en plus du Trésor public, un établissement public, le Centre des monuments nationaux (CMN), et trois fondations reconnues d'utilité publique, la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et la Fondation Notre-Dame, qui sont des organismes de droit privé.
L'article 4 autorise expressément les collectivités territoriales à prendre part à la souscription nationale.
L'article 5 majore à 75 %, au lieu de 66 % habituellement, le taux de la réduction d'impôt accordée aux particuliers pour les dons versés dans le cadre de la souscription nationale jusqu'à 1 000 euros.
L'article 6 confie au pouvoir réglementaire le soin de clôturer la souscription.
L'article 7 prévoit un mécanisme pour contrôler la gestion des fonds recueillis dans le cadre de la souscription, en mettant en place un comité de contrôle composé du Premier président de la Cour des comptes et des présidents des commissions chargés de la culture et des finances de chacune des deux assemblées.
L'Assemblée nationale a ajouté un article 5 bis pour permettre au Parlement d'être informé sur le montant des dons et versements effectués dans le cadre de la souscription nationale et sur l'utilisation ou non des différents dispositifs de soutien au mécénat applicables.
Compte tenu de la nature financière ou fiscale de leurs dispositions, les articles 4, 5 et 5 bis ont été délégués à l'examen de la commission des finances.
Ces différentes dispositions soulèvent un certain nombre de questions légitimes.
Fallait-il faire appel à la générosité du public pour financer les travaux de restauration de Notre-Dame, monument historique à la charge de l'État ? La mission d'information sur le mécénat culturel, dont j'ai été le rapporteur aux côtés de Maryvonne Blondin qui en assurait la présidence, avait alerté l'an passé sur les effets d'éviction que pouvait générer le recours par l'État à des procédures de souscription pour la restauration des monuments historiques qui lui appartiennent. Il reste que la situation est un peu différente dans le cas présent puisque l'élan de générosité du public a précédé l'annonce de la souscription nationale. Le ministre de la culture s'est par ailleurs engagé à ce que l'État prenne en charge le surcoût si le produit de la souscription se révélait insuffisant pour couvrir le coût des travaux. Il a indiqué que l'État était prêt à assurer le financement au-delà des crédits inscrits sur le programme 175 et garanti que la participation de l'État ne se ferait pas au détriment d'autres chantiers ou monuments.
Cette souscription nationale devait-elle être lancée par le biais d'une loi ? Un décret aurait été tout à fait suffisant pour cela d'un point de vue juridique. Reste que ce choix donne l'occasion d'un débat public au sein de la représentation nationale sur le sujet de la restauration de Notre-Dame, ce qui est tout à fait souhaitable au regard de l'enjeu soulevé par la perspective de cette restauration et des polémiques inhérentes.
La majoration du taux de la réduction d'impôt accordée aux particuliers pour les dons qu'ils effectuent au titre de la souscription nationale est-elle vraiment utile ? Les dons et promesses de dons ont afflué, avant même l'annonce de cette majoration. L'incidence de la majoration sur l'acte de don est négligeable. Elle pourrait créer des effets d'aubaine et des effets d'éviction. Pour autant, je crois qu'il faut y voir un moyen de remercier nos compatriotes pour leur générosité et de reconnaître le caractère exceptionnel du chantier de Notre-Dame.
L'inclusion des articles 8 et 9 dans le texte du projet de loi suscite davantage d'interrogations. Ils visent respectivement à permettre la création d'un établissement public chargé de porter les travaux de conservation et de restauration de Notre-Dame de Paris et à mettre en place des dérogations aux législations existantes pour faciliter la réalisation du chantier de la cathédrale. Dans les deux cas, ils prennent la forme d'une habilitation à légiférer par ordonnances. Or celles-ci ne se justifient pas seulement par la technicité des sujets sur lesquels elles portent, mais aussi par les incertitudes du Gouvernement sur ses réels besoins concernant le chantier de la cathédrale.
Ces incertitudes sont compréhensibles seulement un mois après le drame. Mais, dans ces conditions, était-il opportun de faire figurer ces sujets, pourtant majeurs, dans le projet de loi, alors que la réflexion les concernant n'est pas encore mûre ? Je rappelle que le recours aux ordonnances réduit significativement la capacité du Parlement à procéder à un examen attentif des dispositions qui lui sont soumises.
J'ajoute que ces deux dispositions ont été interprétées par beaucoup comme des marques de défiance à l'égard à la fois des capacités propres au ministère de la culture à conduire lui-même ce projet, compte tenu du souhait de l'exécutif de nommer Jean-Louis Georgelin à la tête du futur établissement public, et des règles qui régissent la protection patrimoniale. Cette suspicion est d'autant plus grande que ces dispositions interviennent après les atteintes portées par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique à notre législation en matière de patrimoine.
Sur la question de l'établissement public, je ne crois pas que le problème soit véritablement la création d'un organisme spécifiquement en charge de conduire les travaux. Cette solution a été utilisée à de multiples reprises par le passé et couronnée de succès - je citerai les exemples du Grand Louvre, de la Bibliothèque François Mitterrand ou du musée du quai Branly - Jacques Chirac. Nous pouvons donc l'accepter, sous réserve d'en encadrer strictement les missions et son fonctionnement.
En revanche, l'ambiguïté entretenue tout au long du projet de loi sur la solution qui sera retenue, avec la possibilité de recourir soit aux moyens dont dispose déjà l'État - direction régionale des affaires culturelles, CMN ou OPPIC, opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture -, soit à un nouvel établissement public n'est pas acceptable. C'est se moquer du Parlement et faire fi de la nécessaire intelligibilité de la loi. Cette équivoque dessert le Gouvernement, si son intention est de créer effectivement un établissement public, car ce faisant il laisse à penser que les solutions pourraient être équivalentes et il se prive de la possibilité de défendre correctement son choix de créer un établissement public.
La perspective d'introduire des dérogations aux règles de droit commun pour faciliter la mise en oeuvre du chantier de Notre-Dame me paraît incompréhensible - c'est l'objet de l'article 9. Si l'objectif de cette disposition est uniquement, comme le laisse entendre le ministre de la culture, de gagner du temps sur les démarches administratives, elle est parfaitement inutile. Les délais prévus par les codes sont des plafonds et les demandes d'autorisation concernant Notre-Dame peuvent parfaitement être traitées de manière prioritaire par les services de l'État, moyennant des instructions en ce sens. Si l'objectif est de permettre à l'État de s'affranchir de règles que les autres propriétaires, par exemple les communes, doivent mettre en oeuvre, lorsqu'ils conduisent des projets de restauration, quand bien même leur ampleur est différente, le risque de jeter le discrédit sur l'ensemble de notre législation est considérable et il constituerait, à coup sûr, un précédent désastreux pour l'avenir.
Si le caractère emblématique de Notre-Dame plaide pour rejeter la possibilité de dérogations aux règles de droit commun pour en faciliter et en accélérer la restauration, il convient de se donner les moyens pour que ce chantier soit un modèle dans les années à venir.
Nous avons eu l'occasion d'insister auprès de Franck Riester, la semaine dernière, sur la nécessité de procéder à de larges consultations et de recueillir l'avis des experts. Même si l'État, en tant que propriétaire du monument, a vocation à trancher in fine sur la nature du projet qui sera retenu, il ne paraît pas possible d'organiser un concours international d'architecture sans avoir préalablement saisi les instances consultatives en matière de patrimoine. Le ministre nous a rassurés sur le fait qu'un débat autour de la restauration de Notre-Dame serait inscrit à l'ordre du jour de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture, présidée par notre collègue Jean-Pierre Leleux le 4 juillet prochain et que la commission serait également consultée sur le projet de restauration, en application des dispositions du code du patrimoine.
Étonnamment, le fait que la présence de Notre-Dame ait justifié le classement du site « Paris, rives de la Seine » au titre du patrimoine mondial de l'humanité n'est pas pris en compte dans le projet de loi. Or ce classement crée un certain nombre d'obligations pour préserver la valeur universelle exceptionnelle attachée à un bien classé, y compris en ce qui concerne les modalités de restauration. Nous devons les respecter, sauf à être prêts à perdre le bénéfice de ce classement. Compte tenu des conséquences qu'un tel retrait pourrait avoir sur l'attractivité touristique de Paris, il paraît indispensable d'associer étroitement l'Unesco aux réflexions sur la restauration de Notre-Dame, de consacrer du temps aux études préalables, en mobilisant les chercheurs et les experts, et de garantir que le projet retenu préservera l'intégrité et l'authenticité du monument. Il paraît difficile de s'abstraire, dans ces conditions, de l'histoire du monument. Rappelons que la flèche de Viollet-le-Duc elle-même s'inscrit parfaitement dans l'architecture gothique de Notre-Dame et constitue un exemple reconnu d'architecture néo-gothique. Il faudra également veiller à ce que le choix retenu soit suffisamment documenté.
Même si le chantier de Notre-Dame, par son ampleur exceptionnelle, doit constituer une priorité, il faut prendre garde à ce que les moyens qui y seront consacrés et le calendrier qui sera défini n'aient pas pour conséquence d'assécher ou de fragiliser des opérations en cours ou à venir, en y attirant, sur une courte période, investissements financiers, artisans et matériaux. Le temps des bâtisseurs doit s'articuler avec le temps long du patrimoine - une expression chère à Jean-Pierre Leleux - et l'ensemble des besoins en matière de restauration sur le territoire, sauf à prendre le risque de déstabiliser toute une filière.
Nous devons mettre à profit ce drame autant que faire se peut. S'il doit bien y avoir un « avant » et un « après » selon les mots du ministre, c'est moins l'esthétique d'une nouvelle flèche dont il s'agit que la manière dont nous percevons notre patrimoine et dont nous le protégeons.
L'émotion suscitée par l'incendie qui a ravagé la cathédrale a confirmé, une fois encore, l'intérêt particulièrement vif des Français pour leur patrimoine. Plusieurs projets sont actuellement évoqués autour de la reconstruction de Notre-Dame destinés à transformer ce chantier en une véritable vitrine.
Le lancement d'un plan « Chantiers de France » pour relancer auprès des jeunes l'attractivité des métiers du patrimoine qui connaissent aujourd'hui une crise des vocations est une excellente initiative. Il sera important de voir de quelle manière le chantier de Notre-Dame pourra être partiellement ouvert au public pour véritablement promouvoir ces métiers auprès du grand public et valoriser leurs savoir-faire.
L'idée de créer un centre d'interprétation qui pourrait s'installer sur le parvis ou dans une partie des locaux de l'Hôtel-Dieu a également été évoquée. L'objectif serait de montrer au public ce qu'est Notre-Dame, exposer des oeuvres de la cathédrale et fournir des éléments autour de l'incendie pour éveiller les consciences.
La tragédie de Notre-Dame nous invite nécessairement à lancer une réflexion de fond sur les mesures de protection des monuments historiques face aux incendies, en particulier lorsque sont entrepris des chantiers de restauration, qui constituent des facteurs d'aggravation des risques encourus. À la suite du sinistre, le ministre de la culture a demandé un audit complet des 87 cathédrales qui appartiennent à l'État et de tous les monuments importants, notamment les principaux sites culturels et les grands musées.
La question des moyens que l'État et les collectivités territoriales allouent au patrimoine est une nouvelle fois posée. Le ministre de la culture s'est engagé à défendre un budget plus important pour le patrimoine, notamment pour ce qui concerne la sécurisation des sites en travaux. Il sera important que nous examinions avec attention la traduction de ces annonces dans le prochain budget pour la culture, celui de 2020.
En conclusion, je voudrais livrer à votre méditation un extrait du très beau texte de Victor Hugo Notre-Dame de Paris, tiré de l'édition originale de 1832 : « Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d'une ride, on trouve toujours une cicatrice, ce que je traduirais volontiers ainsi : le temps est aveugle, l'Homme est stupide. Si nous avions le loisir d'examiner une à une les diverses traces de destruction imprimées à l'antique église, la part du temps serait la moindre, la pire celle des hommes, surtout des hommes de l'art. » Il n'y a, je crois, rien à ajouter, pas d'amendement à proposer...