Le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé présenté par la ministre des solidarités et de la santé a été transmis au Sénat le 26 mars dernier. Je vous remercie de la confiance que vous m'avez accordée en m'en confiant le rapport pour avis, dans le prolongement de ma fonction de coprésident du groupe de travail de la commission sur les déserts médicaux. Le texte comportait initialement vingt-trois articles, constitués de mesures techniques et de nombreuses demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances sur des sujets importants comme les hôpitaux de proximité, l'exercice coordonné ou encore les agences régionales de santé (ARS). Après son examen par les députés, il en compte désormais soixante-treize, mais son ambition demeure limitée.
Dans le cadre de mes travaux, au cours desquels j'ai effectué de nombreuses consultations représentant environ vingt-cinq heures d'auditions, je me suis particulièrement intéressé à une vingtaine d'articles ayant des conséquences pour l'organisation territoriale du système de soins avec quatre points d'attention : la réforme des études de médecine et le développement des stages pratiques pour les étudiants ; l'adaptation du système de soins à l'exigence de proximité et l'association des élus à la politique de santé ; les partages de compétences entre professionnels de santé, qui doivent permettre de libérer du temps médical dans tous les territoires ; enfin, le développement de la télémédecine et du télésoin.
À titre liminaire, je souhaiterais aborder la réforme du système de santé, les inégalités territoriales en matière d'accès aux soins et les négociations conventionnelles en cours entre les médecins et l'assurance maladie.
Je constate d'abord que le rythme d'adoption des lois relatives à la santé tend à s'accélérer : il semblerait que le Parlement ait désormais à connaître d'un tel texte tous les trois ans, contre dix à quinze ans auparavant. Les plans gouvernementaux se succèdent - « pacte territoire santé » sous la précédente législature, « plan de renforcement de l'accès territorial aux soins », stratégie de transformation du système de santé et plan « Ma Santé 2022 » -, mais les mêmes constats demeurent : le système de soins français est très axé sur l'hôpital et cloisonné, avec des modes de régulation peu souples qui ne permettent pas de corriger les inégalités sociales et territoriales de santé, ni de répondre de façon pérenne aux enjeux liés au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques.
Les délais d'attente pour consulter un médecin sont en constante augmentation et les urgences des hôpitaux sont engorgées à défaut de solution de proximité. De 1996 à 2014, la fréquentation des urgences a doublé, passant de dix à vingt millions de passages annuels. À cela s'ajoutent l'épuisement des professionnels de santé et des phénomènes de non-recours aux soins. Nul besoin d'être médecin ou professionnel de santé pour se rendre compte qu'il y a urgence à réformer le système.
Le contexte actuel doit nous alerter : il n'y a jamais eu autant de médecins en France, mais ils n'ont jamais été aussi mal répartis et le temps médical continue de diminuer ! Ces dernières années, je relève que la progression des effectifs est d'abord largement due au recours aux médecins retraités avec la possibilité d'un cumul emploi/retraite. Le nombre de médecins retraités inscrits à l'ordre a quasiment doublé entre 2008 et 2018, tandis que celui des médecins actifs a progressé de 1 % seulement en dix ans. De même, le recours aux médecins étrangers est en forte hausse ; l'exemple de l'hôpital de Nevers est révélateur, avec 55 % des 143 praticiens nés et diplômés à l'étranger. Par ailleurs, en tendance, les effectifs de médecins vont reculer jusqu'en 2030, alors que la population française augmente. D'ici à 2025, un médecin généraliste sur quatre aura cessé d'exercer. La densité médicale va donc continuer à baisser.
Les politiques de santé visant à réduire les inégalités d'accès aux soins courants ont toutes échoué. Depuis plus de dix ans, même si l'État a parfois fait illusion, le problème des déserts médicaux n'a connu aucune amélioration concrète.
Les constats et propositions formulés par le Président Maurey dans son rapport d'information de 2013 restent d'actualité. Les inégalités territoriales se creusent : les écarts de densité médicale entre les départements varient de un à cinq toutes spécialités confondues. Je pense notamment à l'Ain, à la Mayenne, à la Nièvre ou encore à l'Eure, très mal dotés. Ces inégalités ne se limitent plus à la classique opposition entre la France du Nord et la France méridionale : elles se retrouvent à toutes les échelles géographiques selon une configuration centre/périphérie.
Selon les chiffres du ministère de la santé, 9 % de la population vit dans un désert de médecins généralistes, soit près de six millions de personnes. Il s'agit en particulier de territoires ruraux qui ont, par ailleurs, des difficultés à développer leur attractivité. Pour les médecins spécialistes, les écarts de densité sont encore plus importants et vont de un à huit, voire de un à vingt-quatre pour les pédiatres. Selon une enquête de l'UFC-Que choisir réalisée fin 2016, environ vingt et un millions de Français ont un accès restreint aux pédiatres et dix-neuf millions aux gynécologues.
Les conséquences de cette situation sont potentiellement dévastatrices, même s'il est difficile de faire un raisonnement toutes choses égales par ailleurs : des géographes tels Olivier Lacoste et Emmanuel Vigneron s'intéressent depuis longtemps aux répercussions de la désertification médicale sur l'état de santé des populations. La France est très mal classée en Europe en matière de mortalité précoce, c'est-à-dire de mortalité survenant avant l'âge de soixante-cinq ans. Les travaux d'Emmanuel Vigneron montrent ainsi une sous-mortalité nette en Île-de-France, dans le Centre-Ouest et dans l'ensemble méridional du pays. A contrario, une zone de surmortalité existe dans certains départements du Centre et de l'Est, en Bretagne et dans le Nord. Au total, plus de 60 % des cantons regroupant la moitié de la population métropolitaine ont connu une évolution moins favorable que la moyenne du pays. Il s'agit avant tout d'un scandale démocratique, car ces citoyens contribuent de la même façon aux ressources de la sécurité sociale, mais cela pourrait devenir un scandale sanitaire à terme.
Les négociations entre les médecins et l'assurance maladie dans le cadre du plan « Ma Santé 2022 » présenté par le Président de la République en septembre 2018 prévoient la création de 4 000 postes d'assistants médicaux assortie d'une prise en charge pérenne de leur coût - 36 000 euros la première année, 27 000 euros la seconde, puis 21 000 euros les années suivantes - et d'un engagement des médecins d'accroître le nombre de patients dont ils sont le médecin traitant de 5 % à 20 %.
Par ailleurs, la croissance des dépenses d'assurance maladie a été fixée à 2,5 % par la dernière loi de financement de la sécurité sociale, ce qui représente un total de 200 milliards d'euros pour 2019. Les moyens consacrés à « Ma Santé 2022 » devraient par ailleurs atteindre 3,5 milliards d'euros d'ici à 2022.
Nous partagerons tous l'objectif de faire de la santé une priorité. À cet égard, il est essentiel de s'attaquer aux inégalités territoriales : la Cour des comptes estime leur coût entre 900 millions d'euros et 3 milliards d'euros par an pour le système de santé. Le rapport du comité « Action publique 2022 », remis en juin 2018 au Président de la République, avançait même le chiffre de 5 milliards d'euros d'économies potentielles face aux inefficiences dans la répartition et l'allocation des soins. Rien ne sert d'augmenter les dépenses, si l'on ne corrige pas les effets pervers du système ! Or il existe une corrélation positive entre la densité des médecins et les dépenses de santé et de médicament par habitant : selon la Cour des comptes, en 2015, la dépense de soins ambulatoires allait de 944 euros par habitant en Mayenne à 1 829 euros dans les Bouches-du-Rhône, sans que l'état sanitaire de la population présente des écarts aussi notables.
Certaines mesures du projet de loi apparaissent certes positives, mais globalement il semble très insuffisant pour répondre aux enjeux.
Un premier bloc vise à réformer en profondeur l'organisation de la formation initiale des professionnels de santé, c'est notamment l'objet des articles 1er, 2 et 2 bis.
Le numerus clausus, instauré en France en 1971 pour maîtriser l'évolution des dépenses de santé, serait remplacé par un système dans lequel les capacités d'accueil des formations à l'université en 2ème et 3ème cycle seront déterminées de façon pluriannuelle en lien avec les besoins de santé des territoires. Reste à éclaircir la question des moyens dont disposeront les universités.
De même, s'agissant des stages en zones sous-denses, aucune obligation n'est prévue, compte tenu du manque de maîtres de stages et de moyens pour accueillir les étudiants.
D'autres articles incitent, directement ou indirectement, les médecins à s'installer en zone sous-dense, dont la définition sera d'ailleurs affinée par profession et par spécialité comme le prévoit l'article 5 bis. Je pense par exemple à l'article 4 sur la sécurisation du contrat d'engagement de service public (CESP) ou encore à l'article 5 concernant l'ouverture du recours au médecin adjoint dans les zones sous-denses, à laquelle je suis naturellement favorable.
Sur ce premier bloc, je vous proposerai six amendements : quatre relatifs aux stages et deux favorisant l'installation en zones sous-denses.
Un deuxième bloc adapte le système de soins à l'exigence de proximité et renforce l'association des élus à la mise en oeuvre de la politique de santé.
C'est l'objet de plusieurs mesures que je qualifierais de « cosmétiques », notamment les articles 7 A, 7 B et 7 E ou d'autres mesures plus importantes comme l'article 7 sur les communautés territoriales professionnelles de santé, l'article 7 septies qui doit permettre de faciliter l'accès à un médecin traitant, l'article 8 sur les hôpitaux de proximité, l'article 10 concernant les groupements hospitaliers de territoire (GHT), l'article 15 sur l'abrogation du pacte territoire-santé ou encore l'article 19 sur la réforme, par voie d'ordonnances, des agences régionales de santé (ARS), de l'exercice coordonné et qui porte également création d'une ARS à Mayotte et à La Réunion. Les articles 7 D, 10 ter et l'article 19 bis A renforcent la présence des parlementaires au conseil territorial de santé, comme au conseil de surveillance de certains hôpitaux et des ARS.
Sur ces dispositions, je vous proposerai plusieurs amendements, dont trois visant à supprimer des articles sans portée normative, qui ne répondent pas aux exigences de clarté de la loi. Un amendement à l'article 7 doit permettre d'alléger les contraintes administratives pesant sur les professionnels de santé lors de la conception du projet territorial de santé.
J'ai souhaité renvoyer à la négociation conventionnelle plusieurs points essentiels pour assurer la permanence des soins dans tous les territoires avec trois amendements visant à réguler l'installation des médecins au regard du principe constitutionnel d'égal accès aux soins. La régulation n'a jamais été expérimentée pour les médecins, alors que de nombreuses professions font déjà l'objet de telles mesures, comme le conventionnement sélectif.
Je vous proposerai également plusieurs amendements aux articles 8 et 10 pour garantir l'autonomie des hôpitaux de proximité dans les GHT et leur rôle de premier recours dans la gradation des soins à la suite d'inquiétudes formulées par les représentants des hôpitaux locaux et par les élus.
Un troisième bloc de mesures renforce le partage des tâches entre les professionnels de santé et accompagne le développement du numérique, outil essentiel pour lutter contre la désertification médicale et rapprocher l'offre de soins des patients.
C'est notamment l'objet des articles 7 bis pour les infirmiers, 7 quater, 7 quinquies et 7 sexies B pour les pharmaciens, de l'article 7 sexies A pour les sages-femmes et de l'article 7 sexies C pour les orthoptistes. Par ailleurs, l'article 19 ter réforme les protocoles de coopération entre professionnels à l'échelle nationale et locale pour développer les transferts d'actes et libérer du temps médical. L'article 12 prévoit l'ouverture d'un espace numérique de santé pour tous les citoyens d'ici à 2022. Enfin, l'article 13 étend aux professionnels paramédicaux et aux pharmaciens la faculté de réaliser des actes par le biais des technologies numériques via la reconnaissance du télésoin.
Mes amendements sur ce dernier bloc consistent à renforcer les partages de compétences au bénéfice des pharmaciens, des sages-femmes et des opticiens-lunetiers. Par ailleurs, le tournant numérique dans le secteur de la santé ne sera réussi que s'il intègre la réalité des territoires : c'est pourquoi je vous proposerai de faire du numérique un recours pour les assurés résidant dans des zones sous-denses et exposés à une autre fracture que nous connaissons bien : la fracture numérique.
J'ai fait le choix, mes chers collègues, de proposer des mesures resserrées et pragmatiques au service d'un meilleur aménagement sanitaire et social du territoire. D'aucuns estimeront que ce projet de loi manque d'ambition. Il est vrai que l'on peut fortement douter de sa capacité à améliorer concrètement le quotidien de nos concitoyens qui éprouvent des difficultés à accéder à des soins de qualité dans des délais raisonnables. La régulation de l'offre médicale constitue une nécessité, car elle représente le maillon manquant de la politique d'incitation qui s'avère aujourd'hui inefficace.