Merci pour votre accueil. L'histoire de ma vie se confond en quelque sorte avec celle du football féminin, dont mon parcours reflète les évolutions. J'ai commencé à jouer à l'âge de cinq ans, avec mes six frères. Lorsque j'ai voulu m'inscrire dans un club, on m'a répondu qu'on ne prenait pas les filles. Quand on est enfant, on se dit simplement que c'est comme ça... Ce n'est qu'après des années que j'ai intégré, en 1983, un club de Poissy qui entraînait des jeunes filles. Il y en avait soixante-dix, c'était aussi l'époque du premier match international dans les Yvelines, France-Norvège. Je me suis dit en le voyant que c'était ce que je voulais vivre. J'ai intégré l'équipe de France, ce qui m'a permis de jouer aux États-Unis, où j'ai découvert que les choses étaient bien différentes : ce pays comptait quatre millions de licenciées, contre 20 000 chez nous à cette époque. J'ai joué pendant dix ans au sein de l'équipe de France, avec quarante sélections internationales et trois victoires en championnat de France.
J'ai passé mon diplôme d'entraîneur et suis devenue professeure d'EPS, car il n'était pas possible de vivre du football. J'ai été manager de la section féminine du PSG pendant deux ans : ce club a eu la volonté de faire advenir des joueuses professionnelles, mais l'a perdue en 2010. Je l'ai donc quitté, et Noël Le Graët m'a alors sollicitée pour être élue avec lui au poste de secrétaire générale. C'était la première fois dans notre fédération qu'un poste à responsabilité était proposé à une femme. Auparavant, Marilou Durringer était la seule représentante du football féminin sur les vingt-cinq membres du conseil fédéral. Noël Le Graët a voulu mettre une femme à un poste important. Dans la foulée, il a nommé Florence Hardouin directrice générale de notre fédération.
Pour nous, le défi était de montrer que nous étions physiquement présentes dans le paysage du football qui, historiquement, n'avait guère donné de visibilité aux femmes. Pourtant, en 1917, quand les hommes étaient au front, les femmes ont repris leurs loisirs et se sont emparées du football. Dans les années 1920, elles y avaient un succès phénoménal, avec plus de 20 000 spectateurs dans les stades, notamment pour le premier match France-Angleterre. Mais quand les hommes sont revenus du front, les choses ont repris leur cours, et le football féminin a été interdit, d'abord en Angleterre puis en France, où il a été complètement exclu par le régime de Pétain. Il n'a réapparu qu'en 1970.
Aussi n'étions-nous pas présentes dans les mentalités lorsque j'ai été élue en 2011. Noël Le Graët a trois filles et est convaincu de la nécessité de développer la place des femmes dans la société, dans les entreprises et dans le sport. Pour nous, le principal défi était l'implication des femmes. Nous avons donc lancé un premier plan de féminisation qui nous a fait passer de 50 000 licenciées en 2011 à 180 000 en 2016 et, dans la même période, de 25 000 à 40 000 dirigeantes, de 2 000 à 3 000 éducatrices et de 600 à 800 arbitres. Avec notre deuxième mandat, nous voulions permettre aux femmes d'accéder aux postes à responsabilité - passer, en quelque sorte, de la féminisation à la mixité. L'idée est de mettre des hommes et des femmes dans les mêmes structures - entreprises, société, sport - car nos clubs ont besoin de cette harmonie et de cet équilibre. Hommes et femmes apportent des choses différentes et, ensemble, font bouger les lignes. Nous avons porté de 3 000 à 6 000 le nombre de clubs ayant au moins une équipe féminine et le nombre d'inscrites par an est passé de 1 000 avant 2011 à 10 000 après 2011, pour atteindre 15 000 depuis 2018. Le défi était de faire tomber les barrières culturelles.
Elles sont tombées, notamment avec la médiatisation, elle-même rendue possible par le fait que nos joueuses ont progressé, grâce aux moyens conséquents mis en place par notre fédération, sous l'égide d'Aimé Jacquet, qui a permis à des joueuses d'intégrer le pôle France à Clairefontaine comme les garçons. Celles-ci ont ensuite intégré l'Olympique lyonnais et Montpellier, qui étaient des clubs offrant des conditions nettement supérieures à la moyenne, ce qui a permis d'élever leur niveau. Résultat : lors de la Coupe du monde de 2011, pour la première fois de notre histoire, nous avons franchi les demi-finales. Du coup, les médias se sont emparés du sujet. Beaucoup ont pensé que c'était pour compenser la crise des Bleus en Afrique du Sud. Pour moi, je crois surtout que c'était parce que le niveau de jeu avait progressé. En Allemagne, les stades étaient pleins !
On me demande souvent si je suis vice-présidente de la Fédération française de football féminin. Non, je suis vice-présidente de la Fédération française de football : il n'y a pas un football féminin et un football masculin mais un football tout court !
En matière de gouvernance, il était important d'accompagner les femmes vers les postes à responsabilité. La loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes de Najat Vallaud-Belkacem a rendu la parité obligatoire dans les instances fédérales mais, comme les pratiquantes représentent moins de 25 % du total, c'est la proportion de 25 % qui prévaut au comité exécutif. J'espère que pendant la prochaine olympiade, tous nos comités locaux seront obligés de la respecter aussi. Déjà, nos comités régionaux et départementaux intègrent de plus en plus de femmes. Notre devoir était aussi de fournir un réservoir de femmes clairement identifiées, pour qu'on ne puisse pas dire qu'on n'en trouvait pas. Nous devions les repérer, les valoriser et les accompagner. C'est ce que nous avons fait avec le club des Cent femmes, afin de faciliter leur accès aux responsabilités.
La Coupe du monde de 2011 nous a beaucoup aidés à rattraper notre retard. Notre objectif, pour celle de 2019, est d'arriver à 200 000 licenciées. Sur ce plan, la nation européenne la plus développée est l'Allemagne, avec 250 000 licenciées. Aux États-Unis, il y en a quatre millions, mais c'est un pays beaucoup plus grand... Cela dit, si nous ne comptons que 180 000 joueuses de football, les chiffres sont encore plus faibles dans d'autres disciplines : 200 000 basketteuses, certes, mais 70 000 danseuses ! Il est vrai que, sur un total de deux millions de licenciés, les 180 000 joueuses représentent une proportion encore assez faible. En fait, nous avons connu un envol spectaculaire et, après cette Coupe du monde, nous souhaitons que plus d'un club sur deux accueille des jeunes filles. Pour cela, nous avons prévu une enveloppe de 14 millions d'euros pour construire vestiaires et mini-terrains, acheter du matériel, des buts, des tenues et des chasubles, mais aussi pour renforcer l'encadrement.
Pour qu'elle soit le coup d'accélérateur que nous voulons, cette Coupe du monde doit être bien médiatisée. Je viens de rencontrer les équipes de Canal Plus et de TF1, qui sont, pour la première fois, les diffuseurs officiels. On m'a présenté leur dispositif : c'est exactement le même que pour la Coupe du monde des garçons. J'en suis très émue. Il est vrai qu'on attend un milliard de téléspectateurs, et que la Fifa veut en faire le plus grand événement de l'histoire des Coupes du monde féminines de football ...
À présent que les barrières culturelles sont tombées, quand un club décide d'ouvrir sa section féminine, il y a cinquante gamines qui viennent à ses journées portes ouvertes ! La fédération dispose de 300 cadres techniques très actif en régions dans le cadre de la mobilisation pour la Coupe du monde. Je suis très fière que, pour cet évènement, la mayonnaise ait pris ! Il nous faut remplir cinquante-deux matchs, jaugeant chacun 20 000 à 50 000 places. Pour l'Euro 2016, il fallait tirer au sort les billets. Cette fois, notre objectif a été d'associer la réussite sportive à la qualité organisationnelle. Nous voulons aussi que l'évènement rayonne sur tout le territoire. Il ne s'agit pas seulement de remplir les stades, il faut laisser un héritage tangible. Les villes-hôtes sont Le Havre, Valenciennes, Rennes, Paris, Reims, Grenoble, Lyon, Nice et Montpellier. Nous sommes allés dire à leurs élus que ce serait plus qu'un événement sportif, que cela devrait faire bouger les lignes de la société : ce Mondial sera le rendez-vous de la mixité.
Il doit en effet être un vecteur de nos politiques publiques de la mixité. À Reims, Arnaud Robinet favorise déjà l'inclusion et la mise en mouvement des sportifs dans les quartiers pour les amener vers les clubs. Laurent Degallaix a déclaré vouloir redonner aux Valenciennois leur fierté par l'organisation de cet événement. Et il en va ainsi dans chaque ville-hôte. Chacune a mobilisé sa population depuis deux ans. Nous avons fait de même avec nos 16 000 clubs, y compris les clubs professionnels : c'est toute la famille du foot qui doit participer. Résultat : plus de soixante-dix actions mobilisent entre 1 000 et 2 000 joueurs ou joueuses de tous âges, qui organisent des événements festifs sur tout le territoire.
Il est important que tout le monde puisse venir voir cette Coupe du monde. Pour la première fois, il y aura des billets à 9 euros - pour une Coupe du monde ! 750 000 billets ont déjà été vendus, et sept matches sont à guichet fermé, alors que nous sommes à un mois de la compétition. Dans une semaine, douze matches seront à guichets fermés. Il s'agit, évidemment, de la finale, des demi-finales, des matches de l'équipe de France, mais également d'un match Pays-Bas-Cameroun à Valenciennes, ou d'un match États-Unis-Suède au Havre. Plus de 30 % des achats de billets viennent des États-Unis. Les Hollandais, les Anglais et les Allemands viennent également en masse soutenir leurs équipes. Tout cela est nouveau. Et Corinne Diacre, la première femme à avoir obtenu le diplôme d'entraîneur professionnel, a annoncé la liste au JT de TF1 !
Pour notre part, nous sommes prêts. Plus de 250 salariés ont été recrutés par le comité local d'organisation, auxquels s'ajoutent plus de 1 500 volontaires. Cette Coupe du monde doit donner de la visibilité au sport féminin, qui n'est pas suffisamment médiatisé. Nous espérons faire bouger durablement les lignes.
Comme je ne pouvais pas vivre du football mais que j'étais passionnée de sport, j'ai choisi d'être professeure d'EPS. J'ai donc passé le Capes, puis l'agrégation, et j'ai obtenu mes diplômes d'entraîneur, notamment avec Didier Deschamps. J'ai deux filles, de 14 et 18 ans. J'ai perdu mon mari l'année dernière. Il était danseur, et m'a fait découvrir et aimer la danse - et je lui ai fait aimer le football. Ma fille de 14 ans fait du foot et veut être danseuse, ce qui montre bien que les barrières culturelles ont bougé.
Quand je suis arrivée à la Fédération, je pensais que ma mission serait de faire en sorte que toutes les jeunes filles puissent jouer au football et qu'on gagne des titres. En fait, je me suis rendu compte que mon travail était plus une mission de vie, presque un devoir, car le football a un pouvoir considérable dans notre société, tout comme le sport en général. Et il y a de la place pour tout le monde ! En intégrant les hommes et les femmes, on ne pourra que gagner en harmonie dans notre société.