Intervention de Olivier Lluansi

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 11 avril 2019 : 1ère réunion
Audition de M. Olivier Lluansi délégué aux territoires d'industrie auprès du ministre de l'économie et des finances et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales : « quelle approche pour accélérer le développement des territoires d'industrie ? »

Olivier Lluansi, délégué aux territoires d'industrie :

Je vous remercie de votre intérêt pour cette initiative récente annoncée par le Premier ministre le 22 novembre dernier. Je donnerai tout d'abord quelques éléments clés et structurants de la désindustrialisation de notre pays. Elle démarre en 1975, date à laquelle environ un tiers de l'emploi en France est industriel, contre 10 % aujourd'hui. Nous n'avons pas toujours conscience que cette décroissance a été aussi rapide que celle de l'emploi agricole, qui a commencé vingt-cinq ans auparavant, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. L'extrême violence du phénomène a été amortie en France par notre système de protection sociale, mais il y aura sans doute un effet retard de déstructuration des territoires qui accueillaient des industries. Quelques cartes très éloquentes ont été publiées par le Commissariat général à l'Égalité des territoires (CGET).

Dans les années 1960, la politique agricole commune a été mise en place pour accompagner la modernisation de l'agriculture et assurer un niveau de revenu aux agriculteurs. Il n'y a pas eu l'équivalent, au niveau européen ou national, pour accompagner la désindustrialisation. Un certain nombre d'économistes montrent que les transferts sociaux en France ont permis globalement d'amortir cette transformation économique, mais de manière hétérogène, car ils n'étaient pas basés sur un critère de secteur.

Quand on reprend l'histoire de la politique industrielle française, on s'aperçoit que de 1975 au début des années 1990 notre société est devenue post-industrielle. Les seules actions en termes de politique publique ont consisté à accompagner cette désindustrialisation, qui a été considérée comme un fait inéluctable. Dans les années 1990 commencent à se manifester d'autres actions publiques. Étonnamment, elles ne sont pas issues des ministères de l'économie ou de l'industrie, mais des ministères chargés du développement territorial. À cette époque, notre pays a déjà perdu la moitié de ses emplois industriels. La déstructuration des territoires liée à la désindustrialisation commence réellement à se faire sentir alors que les politiques macroéconomiques restent post-industrielles. En gros, on considère qu'en France, l'industrie c'est fini...

Or, à la fin des années 1990, l'Allemagne a fait un calcul très différent, considérant que, dans un monde qui se globalisait, son industrie pouvait être le moteur de l'économie grâce à l'export. On parle souvent du Mittelstand. Mon regard sur le sujet est nuancé. Certes, le Mittelstand est important, mais l'Allemagne a aussi fait le choix des grands groupes, comme pour l'industrie automobile. En tout état de cause, le critère de choix allemand est celui d'une industrie capable d'exporter pour arriver à un solde de commerce extérieur impressionnant : 250 milliards d'euros !

La France, elle, est restée sur une logique post-industrielle et ne relance pas à cette époque sa machine économique industrielle, contrairement à l'Allemagne. La prise de conscience s'est faite en 2009, année des États généraux de l'industrie qui se sont tenus sous l'autorité du ministre Christian Estrosi. Depuis dix ans, nous reconstituons peu à peu une politique industrielle dans différents blocs. Le premier bloc s'est appuyé sur notre histoire industrielle et les grands plans pompidoliens. Les filières ont été réactivées. La politique de filière a tout de même survécu, avec une belle continuité pendant trois mandats présidentiels successifs. S'y sont ajoutées des politiques en faveur de l'industrie et des réflexions sur le rapport compétitivité-coût, même si les industriels considèrent que nous n'allons pas jusqu'au bout. Le programme « Territoires d'industrie » complète ce dispositif par une dimension territoriale devenue de plus en plus importante.

Quelle est la logique du programme « Territoires d'industrie » ? Premier point, c'est une politique qui se veut ascendante : on part des projets des territoires. J'ai recueilli, sur une trentaine de territoires pilotes, environ 300 projets. C'est la foire aux projets, mais c'est normal, l'idée étant de partir des projets des territoires. Ces derniers sont en effet les mieux placés pour diagnostiquer leurs besoins et définir les projets qui leur permettront de promouvoir leur développement économique par l'industrie. Nous avons, pour les trente territoires préfigurateurs, une dizaine de projets portés par un binôme : un élu et un industriel. Le pilotage est ensuite confié aux conseils régionaux. C'est un autre élément novateur de l'initiative lancée par le Premier ministre le 22 novembre dernier. Le pilotage régional sera complètement officiel à la fin du mois. Parfois, les comités de pilotage régionaux sont axés sur l'industrie, parfois ils sont couplés avec d'autres initiatives régionales. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, le président de région a souhaité associer ce dispositif à la dynamique de contractualisation territoriale. Il a donc opté, dans le cadre du programme « Territoires d'industrie », pour la gouvernance territoire. En région Pays de la Loire, le choix est différent : c'est davantage l'industrie qui a été prise en compte puisque le programme « Territoires d'industrie » est repris par le bureau « Industrie du futur », qui pilote pour le conseil régional la politique de réindustrialisation ou de transformation de l'industrie.

Dernier point du principe : l'État met à la disposition des territoires des ressources - moyens financiers ou accompagnements méthodologiques en ingénierie - chiffrées à 1,3 milliard d'euros. Je le dis tout net : il n'existe pas d'enveloppe nouvelle. Certains parlent de recyclage. Trois éléments expliquent néanmoins l'appétence des territoires pour ces dispositifs. Tout d'abord, nombre de dispositifs nationaux sont méconnus des territoires. Faire en sorte qu'ils soient connus constitue une véritable valeur ajoutée. Par ailleurs, l'éclairage politique permet de mobiliser toute une série d'opérateurs sur le sujet. C'est une opportunité dont il faut se saisir, car les priorités peuvent évoluer dans le temps. Enfin, nous constatons dans les territoires des projets qui font sens, mais ne satisfont pas exactement tous les critères des dispositifs nationaux. J'ai reçu pour mandat de faire en sorte que les opérateurs - Banque des territoires, Bpifrance, Pôle emploi - puissent se montrer plus souples sans pour autant dénaturer leurs dispositifs.

Je citerai quelques éléments de réalisation. Au départ, 124 territoires d'industrie ont été labellisés par le Premier ministre. Les périmètres de ces territoires ont été revus sous l'autorité des conseils régionaux. Nous en sommes aujourd'hui à 136, car nous avions omis certains territoires. Les conseils régionaux ont ainsi procédé à de nouvelles labellisations. Il a fallu aussi parfois lisser le périmètre et associer certaines EPCI aux territoires. Enfin, il a fallu également regrouper des territoires sur différentes régions et différents départements. Bref, nous avons été ambitieux et innovants. Certaines fois, cela a pu donner lieu à de très belles histoires, je pense par exemple à Pau-Tarbes. D'autres fois, cela n'a pas fonctionné et nous avons été confrontés à des scissions de territoires d'industrie.

Ce qui fait la richesse d'un territoire en termes de développement économique ou d'industrie, ce ne sont ni les infrastructures ni les statistiques sur l'emploi industriel, mais le pilotage. Autrement dit, ce qui compte, ce sont les femmes et les hommes qui prennent en main le destin d'un territoire et coalisent les différentes forces pour porter un projet.

Ce sont vingt-neuf territoires exactement qui ont voulu être préfigurateurs. Vingt-deux d'entre eux sont allés au bout de la démarche au cours d'un laps de temps serré, et ont été capables de monter un certain nombre de projets structurants. Ils ont été invités à Matignon par le Premier ministre pour présenter leur savoir-faire industriel, ce qui a été une grande joie pour moi. Sept territoires ont signé un protocole. Une demi-douzaine de signatures sont quasiment prêtes et une autre demi-douzaine de signatures sont attendues pour la fin du mois d'avril. Voilà donc l'état des lieux : 300 actions, 129 qualifiées de prioritaires et 51 accords de principe des opérateurs de l'État à ces actions.

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