Intervention de André-Hubert Roussel

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 mai 2019 à 9h30
Politique des lanceurs spatiaux — Audition en commun avec la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées de Mm. André-Hubert Roussel président exécutif d'arianegroup et jean-yves le gall président du centre national d'études spatiales

André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup :

Le 24 décembre prochain, nous célébrerons le quarantième anniversaire du premier vol d'Ariane, qui est l'un des plus beaux succès industriels européens. Car, en quarante années, nous avons assuré aux Européens un accès autonome et souverain à l'espace, avec un leadership sur le marché commercial. L'impératif de compétitivité aujourd'hui, sans précédent, nous a conduits à développer Ariane 6, pour le lancement de satellites institutionnels comme pour des opérations commerciales au prix du marché.

Je dirige ArianeGroup depuis le 1er janvier dernier. Le groupe franco-allemand compte 9 000 salariés : Airbus et Safran ont voulu créer une structure unique pour les lancements. Néanmoins c'est une entreprise duale, dont l'activité se partage entre les systèmes d'armes M51 de la force océanique de dissuasion française et les lanceurs spatiaux commerciaux. C'est un partenariat public-privé. La coopération est assurée au sein de l'ASE, avec une contribution française très importante. Nous sommes un leader sur le marché ouvert mondial. C'est ainsi que l'on peut maintenir une filière autonome.

Il importe de continuer à développer ce modèle, challengé par la forte concurrence américaine - SpaceX marque un retour américain sur le marché commercial. L'Europe des lanceurs hélas, tout comme l'Europe politique, est tiraillée par des interrogations, des tensions, voire des forces centrifuges, avec une tentation de renationaliser tel ou tel élément de la politique spatiale. Le CNES et ArianeGroup livrent donc ensemble bataille, sur plusieurs fronts, et d'abord sur le front budgétaire : certes il ne s'agit pas de rivaliser avec le budget américain qui représente 50 milliards d'euros si l'on inclut les investissements du département américain de la défense, contre 10 milliards côté européen. Mais nous avons su être efficaces dans le passé avec une industrie spatiale de premier plan au niveau mondial, et qui reste malgré tout un leader.

Il y a aussi une bataille commerciale à gagner face à SpaceX notamment, dans une conjoncture de décroissance du marché mondial, sur fond d'incertitude quant au profil futur du marché, satellites géostationnaires ou constellations, même si elles tardent à venir.

La bataille technologique est fondamentale pour que l'accès à l'espace demeure aussi performant dans l'avenir. Le new space signifie une baisse du prix de l'accès à l'espace. L'échéance ministérielle de fin d'année sera importante à cet égard : il ne faudra pas s'arrêter à Ariane 6, conçu comme évolutif. Ariane a toujours été à la pointe de la technologie. Les investissements d'aujourd'hui préparent les lanceurs de demain.

On observe une suractivité mondiale de lancements : 119 l'an dernier, mais seulement 10 prises de commande pour des lancements sur des satellites géostationnaires ou des constellations. Les marchés américain et chinois sont inaccessibles aux lanceurs européens, or ils représentent les deux-tiers du marché mondial. Il y a eu 39 lancements chinois (dont seulement deux commerciaux), 34 américains (pour plus de la moitié, institutionnels). L'Europe est le seul marché ouvert, elle arrive en quatrième position avec 11 tirs réussis, dont 4 lancements doubles. Mais Arianespace reste leader, par rapport à SpaceX, sur le marché géostationnaire, avec des commandes pour 5 lancements et 3 options, contre 1 et 1 pour notre concurrent.

Le plan de compétitivité décidé par ArianeGroup comprend une diminution des effectifs de 2 300 postes sur les quatre années à venir, afin de faire face à la baisse des prix du marché et augmenter la productivité et la compétitivité. En 2019, l'activité opérationnelle reste soutenue mais la croissance envisagée ne sera pas atteinte ; les perspectives américaines sont un peu plus faibles que prévu. L'urgence, pour rester dans la course, est de faire d'Ariane 6 un succès, avec un prix d'accès à l'espace inférieur de moitié à celui pratiqué sur Ariane 5. Quant à la compétitivité hors prix, le lanceur sera flexible, toutes missions dans toutes orbites, pour les clients institutionnels ou commerciaux.

L'Europe doit poser un cadre protecteur pour ses technologies, son industrie, ses entreprises, ses emplois : la balle est dans le camp des politiques. Sur la préférence européenne, des avancées significatives se sont produites ; la Commission européenne souhaite faire voter un nouveau règlement européen et porte une ambition spatiale renouvelée, avec 16 milliards d'euros sur la prochaine législature. L'article 5 du règlement en cours d'adoption par l'Union européenne ouvre la voie à une préférence européenne et une garantie de lancement des missions européennes sur Ariane ou Vega, autrement dit une sorte de « buy european » act, sur le modèle américain. Après la résolution de Madrid, celle du 17 avril dernier comprend des engagements de commandes institutionnelles, et avant cela, une garantie donnée par les États, indispensable pour démarrer la production. Les commandes institutionnelles se concrétisent.

Ariane 6 entre dans la dernière phase de sa construction, il doit voler avant fin 2020, conformément au contrat signé avec l'ASE. Dès la phase de production, des économies ont été acquises, sur le développement (plus rapide, moins de six ans) et sur les coûts, grâce aux technologies de fabrication innovantes, 3D, traitement laser de surface, et surtout une intégration à l'horizontale, permettant à nos collaborateurs d'avoir une visibilité sur le lanceur en permanence et d'organiser une chaîne de production de la même façon que dans l'aéronautique ou l'automobile. Nous sommes aujourd'hui à un an ou dix-huit mois du premier vol, et beaucoup d'éléments sont déjà réalisés : moteur Vinci pour l'étage supérieur qualifié, évolution du moteur Vulcain qualifiée également, progrès vers la qualification des boosters P120 développés avec l'italien Avio, qui équiperont aussi les Vega C. Je mentionnerai enfin une autre grande innovation parfois oubliée : l'auxiliary power unit, quatrième moteur dans l'étage supérieur, pour renforcer la capacité à placer des constellations successivement sur différents plans d'orbite.

Quelques grandes étapes sont encore devant nous : les essais sur l'étage supérieur vont se poursuivre à Lampoldshausen en Allemagne. Le CNES bâtit le pas de tir à Kourou pour que nous procédions aux essais combinés : nous acheminerons un lanceur complet sur un pas de tir complet pour vérifier tous les interfaçages, le remplissage des réservoirs en hydrogène et oxygène liquides, et toutes les séquences avant le lancement.

Le premier client commercial, pour le premier vol, sera la constellation OneWeb ; il y aura, parmi les clients suivants, l'Union européenne, pour lancer Galileo, ainsi que des clients commerciaux et institutionnels, je pense au satellite CSO-3.

Nous devons continuer à développer les technologies, notamment le moteur Prometheus. Vous avez posé la question de la réutilisation. Pour garantir aux clients une mise en orbite au meilleur coût, un moteur low cost est développé dans le cadre de ce programme, avec des simplifications ; nous travaillerons à la réutilisation si les cadences de lancement la rendaient économiquement viable. La réutilisation fait partie des projets importants qui seront présentés à la ministérielle. Pour réutiliser, il faut savoir revenir. Le CNES et ArianeGroup ont mis en place ArianeWorks pour travailler à un premier étage réutilisable. Callisto est un modèle réduit qui nous permettra d'être prêts si l'implantation d'un tel moteur s'avère nécessaire dans l'avenir. Nous travaillerons aussi sur les matériaux composites pour alléger le lanceur... donc son coût.

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