J'ajouterai, au sujet de l'autonomie européenne, qu'elle n'est pas menacée... du moins pas là où l'on regarde. Nous avons le lanceur, il faut continuer à le développer. Nous avons la base spatiale, il faut continuer aussi. Restent la gestion du trafic spatial et l'autonomie de surveillance : le CNES, l'Onera, ArianeGroup investissent, nous disposons du réseau de surveillance optique Geo Tracker et de télescopes pour surveiller les objets. Néanmoins nous sommes très dépendants des données fournies par les Américains. Ce doit être une préoccupation constante que d'investir dans l'autonomie, dans ces deux domaines, pour conserver notre liberté d'action dans l'espace.
Les lanceurs Vega C et Ariane 6 ont été décidés au même moment par l'ASE. Ils sont complémentaires avant d'être concurrents, Vega intervenant en orbite basse pour des objets de 500 kilos à 2 tonnes, Ariane 6 plaçant en moyenne orbite ou en orbite géostationnaire - voire pour l'exploration - des engins de plus de 2 tonnes. Du fait des bouleversements actuels, tenant à la typologie des satellites à lancer et aux différentes orbites sur lesquelles les lancer, une optimisation est parfois nécessaire : le lancement de plusieurs satellites en combinaison sur plusieurs orbites peut être vu comme une concurrence. Quant à la coopération avec Avio, les boosters sont les mêmes pour Ariane 6 et pour le premier étage de Vega. Ils représentent près de 50 % du chiffre d'affaires de l'entreprise italienne, c'est une motivation pour coopérer !
L'adoption de la résolution du 17 avril permet le lancement de la production de Vega C et Ariane 6, avec une allocation policy qui va dans le sens d'une préférence européenne. La Commission européenne sera le premier client d'Ariane 6, et ce lancement institutionnel prouve la volonté de l'Europe en ce domaine.
Sommes-nous en retard par rapport à SpaceX ? Faut-il anticiper et prévoir un autre lanceur ? Lorsque nous avons conçu Ariane 6, nous n'avions pas la brique technologique pour fabriquer un lanceur réutilisable - SpaceX, lui, a bénéficié d'un moteur développé par la NASA dans le cadre de ses programmes sur la réutilisation. Prometheus, collaboration franco-allemande devenue projet européen, développe un moteur qui permet une modulation de la poussée à la hausse pour décoller, à la baisse pour atterrir. Bientôt, nous disposerons de cette technologie. Prometheus nous a également conduits à développer des nouveautés sur les chambres de combustion ou l'additive layer manufacturing. Lorsque nous disposerons de toutes les briques technologiques, dans un ou deux ans, nous aurons toute latitude pour choisir, selon les besoins institutionnels et l'état du marché, entre une évolution d'Ariane ou un nouveau lanceur à coût plus compétitif, et réutilisable - en deçà de dix lancements, la remise en état coûte trop cher. Nous ne sommes pas en retard, nous mettons les bouchées doubles. Cela exige de renforcer l'investissement public. SpaceX bénéficie de financements publics bien supérieurs aux nôtres, sous la forme d'un soutien, non au développement, mais à l'exploitation, par les tarifs de lancement. Mais pour la compétitivité prix, nous avons un véritable couteau suisse : toutes missions, toutes orbites...
La suppression d'emplois, ou plutôt la diminution des effectifs, est liée à la fin du développement d'Ariane 6, qui avait nécessité l'embauche de jeunes talents lors du pic d'ingénierie. Mais il y aura un basculement vers le militaire et la dissuasion, et par chance la pyramide des âges nous permet de réduire les effectifs sans plan social. L'enjeu est d'éviter la perte de compétences. Les programmes civils étant les plus concernés, les sites du nord de la France seront plus touchés que les sites de développement du M51.3.
Les États européens doivent continuer d'investir pour accroître la compétitivité, car le marché mondial ne fait pas de cadeaux : les prix ont été divisés par deux en cinq ans, cela ne s'était jamais vu dans une industrie mécanique...
Eutelsat est le premier client commercial à avoir signé pour deux lancements (l'un sur Ariane 6, l'autre sur Ariane 5) et trois options. OneWeb a signé après, mais son lancement aura lieu avant.
Nous travaillons aux synergies entre les technologies militaires et civiles avec la direction générale de l'armement. Il est évident que je ne peux pas vous dire que nous allons continuer à exploiter des synergies dans le domaine de la propulsion solide. En revanche, il existe des synergies fondamentales au niveau de la façon de bâtir un lanceur. La crédibilité de la dissuasion dépend aussi des capacités à pouvoir lancer régulièrement des objets dans l'espace, sur l'orbite que l'on veut. Il y aura, enfin, de nouvelles opportunités de synergies avec la réutilisation. ,.