Intervention de Franck Riester

Réunion du 28 mai 2019 à 14h30
Avenir du cinéma français — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Franck Riester :

Je suis ravi de vous retrouver pour évoquer un sujet d’actualité, après ce très beau Festival de Cannes, qui a une nouvelle fois mis en avant le cinéma, en particulier le cinéma français. Je tiens à vous remercier de votre invitation à débattre de l’avenir du cinéma français. Cher Jean-Pierre Leleux, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de ce débat, au nom du groupe Les Républicains. Je salue surtout votre sens du calendrier !

L’avenir du cinéma français, c’est le cinéma de Mati Diop, tantôt social et réaliste, tantôt onirique et mystique, un cinéma qui mélange les genres et surprend constamment ; c’est le cinéma ardent, percutant, furieusement authentique de Ladj Ly, dont l’empathie nous emmène au-delà des apparences, des clichés, des idées reçues sur nos quartiers ; c’est le cinéma résolument féministe de Céline Sciamma, qui chemine au plus près de l’émotion pour scruter l’étincelle qui déclenche la passion.

Mati Diop, Ladj Ly, Céline Sciamma : tous les trois ont été récompensés samedi soir au Festival de Cannes. Cela me porte à croire que l’avenir du cinéma français est déjà là. Il est fait de leurs visages et de leurs noms. Il est fait de leur talent, de leur jeunesse, de leur audace folle, de leurs films merveilleux. Il est fait de ces voix qu’ils portent jusqu’à nous, et des regards qu’ils posent sur le monde : des regards singuliers, qu’ils nous font partager et qui changent un peu les nôtres.

En tant que ministère des artistes, le ministère de la culture a une responsabilité : la responsabilité d’aider les cinéastes de demain à émerger, de leur permettre de s’exprimer, de créer, de se révéler, de rayonner.

Le cinéma français nous a rappelé à quel point il est capable de rayonner. Il a rayonné à Cannes ; je viens de l’évoquer. En plus des trois films français présents au palmarès, deux autres sont des coproductions françaises. C’est sans précédent dans l’histoire du Festival de Cannes.

Le cinéma français a rayonné aussi dans nos salles. En 2018, les films français y ont représenté plus de 40 % des entrées. À titre de comparaison, la part de marché du cinéma national est de 24 % en Allemagne, de 18 % en Espagne ou de 12 % au Royaume-Uni. C’est un succès d’autant plus significatif que la fréquentation de nos salles de cinéma s’est maintenue à plus de 200 millions d’entrées, pour la dixième année consécutive, soit quasiment le double du nombre annuel d’entrées en Allemagne.

Ces chiffres sont éloquents : la France est une nation de cinéphiles. Ainsi, 65 % de nos concitoyens se rendent au cinéma au moins une fois par an, ce qui en fait la sortie culturelle la plus populaire. Et ils s’y rendent partout sur le territoire : une salle sur deux se trouve dans une commune de moins de 10 000 habitants ; c’est d’ailleurs dans les plus petites agglomérations que la fréquentation a tout particulièrement progressé au cours des dernières années.

Le cinéma français rayonne également sur l’économie du pays. Grâce à la réforme des trois crédits d’impôt dédiés à la production cinématographique et audiovisuelle, la France est redevenue attractive pour les tournages. Le taux de délocalisation des dépenses des films français a été divisé par deux. Plus de 500 millions d’euros de dépenses de tournage supplémentaires ont été effectuées dans notre pays chaque année. Enfin, 15 000 emplois ont été créés. Aujourd’hui, la filière du cinéma et de l’audiovisuel représente 0, 8 % du PIB et 340 000 emplois.

Ces chiffres, ces succès, ce rayonnement du cinéma français ne viennent pas de nulle part. Ils sont le fruit d’une politique publique volontariste engagée par la France voilà soixante-dix ans et patiemment poursuivie depuis, une politique en faveur du cinéma qui a doté la France d’un modèle unique au monde, appréhendant et incluant tous les maillons de la filière : auteurs, producteurs, distributeurs, ainsi que l’ensemble des diffuseurs, qu’il s’agisse des salles de cinéma, des éditeurs de vidéos, des chaînes de télévision, des fournisseurs d’accès à internet, des plateformes de téléchargement à l’acte ou par abonnement.

Pour permettre au cinéma français de briller demain davantage encore, il faut défendre ce modèle. Pour cela, il faut l’adapter aux grands enjeux d’aujourd’hui et de demain. J’en vois trois.

Le premier enjeu est celui de l’égalité et de la diversité. Dans le cinéma, comme dans trop d’autres domaines, nous sommes encore loin de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes toutefois sur la bonne voie. Cette année, treize réalisatrices ont été sélectionnées au Festival de Cannes, toutes sélections confondues. C’est un record. Ce n’est pas suffisant et beaucoup reste à faire, mais nous progressons, notamment grâce à la mise en place par le Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, d’une mesure forte : un « bonus parité » pour l’attribution de ses aides, chère Frédérique Bredin. Un quart des films soutenus depuis le début de cette année ont pu en bénéficier. Il faut aller encore plus loin sur la question de l’égalité, comme sur celle de la représentation de la diversité. Trop souvent, les écrans ne montrent qu’une partie de notre société ; trop souvent, ils occultent sa diversité. Or, pour que le cinéma parle à tous, il faut qu’il parle de tous. C’est pourquoi le CNC organisera de nouvelles assises à la rentrée prochaine, sur le thème de la diversité. J’en suis convaincu, pour continuer à attirer le public dans les salles, le cinéma doit s’emparer encore davantage de ces questions.

Le deuxième enjeu est celui de la régulation des géants du numérique. Ce n’est pas parce que ce sont des géants qu’ils peuvent échapper à toute régulation. Ils nous disent en être conscients, mais tous ne le démontrent pas… Cependant, certains sont même demandeurs : Facebook s’est montré prêt à coopérer avec la France sur le sujet des contenus haineux et de la violence en ligne lors de la rencontre entre le Président de la République et Mark Zuckerberg.

Mais ils doivent également coopérer sur d’autres sujets et contribuer, comme les autres acteurs, au financement de la création, à la diversité culturelle et au respect des droits des auteurs. Il nous faut donc intégrer les acteurs du numérique à notre modèle de financement de la création audiovisuelle et cinématographique.

Cela passe d’abord par un rééquilibrage du poids de la fiscalité et de la réglementation entre les diffuseurs « historiques » du cinéma et les nouveaux entrants que sont les plateformes numériques. C’est un enjeu d’équité, de neutralité technologique et économique et de simplification. En matière fiscale, un premier pas a été franchi avec la mise en place, en 2018, d’un prélèvement de 2 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de diffusion, qu’elles soient gratuites ou payantes. Mais nous souhaitons aller plus loin, ce qui contribuera à consolider les ressources du CNC dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

L’intégration des nouveaux acteurs à notre modèle passera aussi par le projet de loi qui transposera la directive « services des médias audiovisuels », ou SMA. Il s’agira d’une loi ambitieuse.

Elle sera ambitieuse en matière d’obligations de diffusion : la directive SMA prévoit que les plateformes proposent au moins 30 % d’œuvres européennes. Non seulement c’est un minimum, mais nous ferons en sorte que les œuvres européennes soient mises en valeur dans les recommandations personnalisées.

La loi sera ambitieuse aussi en matière d’obligations d’investissement.

Enfin, elle le sera pour garantir l’indépendance de nos entreprises de production par rapport aux plateformes. L’arrivée de ces nouveaux financeurs, riche en potentialités, ne doit pas transformer notre filière en une simple activité de sous-traitance.

La transposition de la directive doit également permettre d’inscrire dans la loi les règles de transparence sur les données d’exploitation des œuvres qui s’appliqueront à tous les diffuseurs, plateformes comprises. C’est indispensable pour s’assurer du respect du droit d’auteur et des droits voisins. Plus généralement, cette transparence est la base de la relation de confiance entre tous les acteurs de la chaîne de valeur.

La loi offrira enfin l’occasion de renforcer la lutte contre les sites pirates, notamment de piratage « en flux » et de téléchargement direct.

Le dernier enjeu de l’adaptation de notre politique est le nécessaire renforcement des entreprises de production et de distribution, parce que pérenniser l’exception culturelle, ce n’est pas seulement aider à la création des œuvres.

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