Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de ce débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains. Il est en effet important de pouvoir discuter de l’enseignement professionnel devant la représentation nationale.
Je vous suis donc très reconnaissant de ce moment, qui m’offre l’occasion de répondre à certaines de vos questions, monsieur Piednoir, et plus généralement d’exposer la logique de cette réforme.
Oui, un grand enjeu éducatif et social nous attend avec la réforme de l’enseignement professionnel. J’en prends toute la mesure, puisque j’affirme régulièrement qu’il s’agit de ma deuxième grande priorité en tant que ministre de l’éducation nationale, la première étant l’école primaire. Je la place même devant les enjeux immenses de l’actuelle réforme du baccalauréat général et technologique, ainsi que de la transformation du lycée général et technologique qui en résulte, réforme dans laquelle nous sommes engagés aujourd’hui.
En la tenant pour une priorité essentielle, je veux signifier que l’enseignement professionnel n’est pas marginal dans notre système et n’est pas la dernière de nos préoccupations. Il est au contraire au cœur de notre volonté de progrès, non seulement en raison de l’enjeu social que vous avez rappelé, mais aussi parce qu’il y va de l’avenir de notre pays.
Il s’agit non pas seulement d’améliorer grandement le parcours d’élèves socialement défavorisés et constituant une partie des décrocheurs scolaires de notre pays, mais aussi de préparer aux métiers du futur ceux qui suivent ce parcours.
C’est sous ce second angle que je voudrais aborder la question de l’enseignement professionnel, car une sorte d’inversion d’image pourrait en résulter.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que vous étiez relativement pessimiste quant à notre capacité de changer cette image. Je le regrette, car de tels propos font partie de l’image que nous donnons de l’enseignement professionnel.
Or cette espèce de fatalisme et de pessimisme qui caractérise en permanence les commentaires sur l’enseignement professionnel fait beaucoup de tort à ce dernier. J’ai été à la fois très intéressé par certaines de vos interpellations, mais aussi quelque peu étonné des axes que vous formez avec d’autres formes de contestation, qui, traditionnellement, n’ont pas toujours permis de faire progresser l’enseignement professionnel.
Or les réformes que nous proposons offrent la possibilité d’effectuer un renversement.
Tout d’abord, et je vous remercie de l’avoir souligné, nous mettons en avant une logique de campus et de réseaux. C’est un premier axe de réflexion qui résulte des travaux du rapport Calvez-Marcon, qui a permis d’engager cette réforme.
Je le rappelle, cette réforme a été préparée non seulement par une députée, mais aussi par un chef cuisinier, lui-même issu de la filière professionnelle et de l’apprentissage. Nous avons beaucoup gagné à ce travail préparatoire, qui a permis la consultation de nombreux professeurs de l’enseignement professionnel et de professionnels de différents secteurs.
Le premier axe de cette réforme valorise donc la notion de campus, autrement dit la notion d’excellence. J’ai parlé de « Harvard du pro » pendant la préparation de la réforme. Je persiste et signe : cette formule trouvera une incarnation au cours des prochaines semaines lorsque nous présenterons les premiers projets de campus conçus avec des régions.
Nous partirons de lycées professionnels existants ou parfois de projet ex nihilo, avec pour ambition de montrer qu’il peut y avoir des lieux qui font envie, avec des internats, des équipements sportifs, et une articulation d’institutions différentes, qu’il s’agisse du lycée professionnel lui-même, mais aussi du CFA, des incubateurs d’entreprises, des laboratoires, des établissements d’enseignement supérieur, etc.
Bref des lieux où les élèves auront envie d’aller dès la fin de la troisième, non parce qu’ils ont un mauvais bulletin scolaire, mais parce qu’ils ont envie d’apprendre autrement et de se diriger vers des métiers d’avenir.
Le fonctionnement en campus va de pair avec le fonctionnement en réseau. Tout lycée professionnel de France, dans le futur, se trouvera désormais à la fois dans un réseau géographique et dans un réseau thématique.
Le réseau géographique repose sur l’idée de pouvoir offrir des formations variées dans un certain périmètre. Nous voulons en finir avec la logique du « lycée mobylette », autrement dit du lycée où l’on va parce qu’il est le plus proche de son domicile. Notre ambition est d’offrir un panel de possibilités à chaque élève de France voulant s’inscrire en lycée professionnel. C’est le sens du fonctionnement en réseaux géographiques.
Nous voulons aussi des réseaux thématiques : tous les lycées d’un même thème doivent être articulés avec des branches professionnelles et avec des domaines de recherche afin d’aller vers une plus grande modernité et une meilleure adaptation en temps réel.
Il a été question de l’automobile, secteur qui se développe considérablement d’un point de vue technique. Il importe, à mon sens, que tous les lycées professionnels de l’automobile soient reliés en réseau, pour qu’ils puissent bénéficier des acquis de la recherche, des avancées de l’industrie et de toutes les possibilités d’emplois offertes aux jeunes. Cette notion de réseau est donc essentielle.
Le deuxième axe de la réforme, c’est le lien avec les grandes thématiques d’avenir. J’en signalerai deux.
Il s’agit, tout d’abord, de la révolution écologique. Des établissements la prendront pleinement en compte, car elle est pourvoyeuse de métiers d’avenir. Je pense évidemment aux métiers qui ont trait à l’énergie et aux bâtiments, qui sont déjà en tension, puisqu’il existe des besoins en termes de recrutement.
Or il n’y a pas assez d’élèves formés. Ces métiers du bâtiment et de l’énergie, notamment, pourront trouver une nouvelle attractivité grâce aux nouvelles caractéristiques de l’industrie et de la construction ; d’où nos efforts en matière d’information et d’orientation pour attirer les jeunes vers ces métiers.
Il s’agit, ensuite, de la révolution numérique, qui caractérise bien sûr notre époque. Tous les campus professionnels doivent être numériques, et certains d’entre eux doivent être dédiés aux métiers numériques.
J’ai précisé qu’un élève de troisième doit pouvoir s’orienter par envie dans un lycée professionnel et non parce que son bulletin scolaire est faible. Il est évident que ce sera le cas demain si nous instaurons des campus numériques.
C’est cela aussi qui doit nous conduire à développer des parcours post-bac ambitieux pour les bacheliers professionnels. Ceux-ci pourront travailler après le bac, ce qui reste le désir de près de la moitié des élèves, mais ils pourront aussi poursuivre leurs études, comme dans cet internat d’excellence de Montceau-les-Mines, où l’un des étudiants en prépa bac pro est même allé jusqu’à Polytechnique. L’objectif n’est certes pas que tout le monde en fasse autant, mais c’est la preuve que l’enseignement professionnel ouvre la voie à toutes sortes de destins !
Nous sommes dans une logique de formation tout au long de la vie. Et c’est cette logique qui a un impact en amont sur ce qu’est le lycée professionnel.
Notre ambition, je vous l’accorde, monsieur le sénateur, est très forte, puisqu’il s’agit de changer à la fois le fond et l’image de l’enseignement professionnel pour le rendre attractif, voire pour le placer à la pointe de l’enseignement scolaire.
Notre troisième axe est la pédagogie. C’est elle qui doit montrer le chemin. Je souhaite que cette réforme puisse amener le reste de l’enseignement scolaire à considérer, d’ici à quelques années, certaines évolutions de l’enseignement professionnel comme intéressantes.
Je pense à l’esprit d’équipe. Je pense aussi à l’instauration d’une pédagogie d’équipe et de projets, qui sont des compétences fondamentales dans la vie professionnelle et qui pourront avoir un impact sur des modalités pédagogiques en dehors de l’enseignement professionnel. Je pense enfin à la mixité des publics, que vous avez critiquée à l’instant. Il me semble au contraire qu’il s’agit d’un grand atout, en ce qu’elle permet l’émulation et une approche très concrète.
Vous avez évoqué la co-intervention, thème éminemment pédagogique, et je vous en remercie, même s’il me semble que votre critique aurait pu être mieux fondée.
Comme vous l’avez souligné, la co-intervention existe déjà, et elle a fait la preuve de son intérêt pédagogique. En effet, le nombre d’heures que suit un élève n’est certainement pas un indicateur de bon fonctionnement d’un système. Si tel était le cas, le lycéen professionnel français serait aujourd’hui le meilleur lycéen du monde, car il bénéficie de 34 heures à 35 heures de cours hebdomadaires. Or il décroche, il ne suit pas, il assiste à des cours d’enseignement général dans des classes de 35 élèves.
Soit on fait semblant d’ignorer ces réalités et on formule des critiques assez faciles. Soit on les prend à bras-le-corps, en s’appuyant sur les pratiques pédagogiques qui fonctionnent.
C’est ce que j’ai fait, non pas en tirant cette solution de mon chapeau, mais à la suite d’un travail d’intelligence collective accompli notamment dans le cadre du rapport Calvez-Marcon. Cette co-intervention, qui enthousiasme beaucoup d’enseignants généraux des lycées professionnels, contrairement à ce que l’on prétend parfois, permettra de travailler en plus petits groupes et de façon inductive.
Après le tragique incendie de Notre-Dame-de-Paris, j’ai souvent cité l’exemple du cours de tailleur de pierre et du cours d’histoire des cathédrales. C’est ce type de démarche inductive, concrète, réalisée en petits groupes, qui permettra aux élèves de l’enseignement professionnel d’acquérir les compétences générales dont ils ont besoin et de bénéficier d’un enseignement qui fait sens.
Je n’aime pas le procès qui nous est fait selon lequel nous voudrions brader l’enseignement général des lycéens professionnels. C’est tout le contraire. Nous voulons simplement ne pas nous payer de mots, ni d’heures.
Pour autant, nous ne réalisons aucune économie avec cette réforme. Nous pourrions en faire, car il ne s’agit pas d’un gros mot, mais ce n’est pas le cas, puisqu’il y aura deux professeurs pour un groupe. L’objectif au cœur de cette réforme est donc non pas un objectif de gestion, mais est un objectif pédagogique fondamental. Bien des choses superficielles ont été dites sur ce sujet ; c’est pourquoi je tenais à les corriger.