Intervention de Yvon Collin

Réunion du 29 mai 2019 à 14h30
La lutte contre la fraude à la tva transfrontalière — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au sein de l’Union européenne, la souveraineté fiscale des États, confortée par la règle de l’unanimité, conduit le plus souvent au chacun pour soi.

Le projet de taxe dit « Gafa » – pour Google, Apple, Facebook et Amazon –, dont nous avons débattu la semaine dernière, est l’illustration la plus récente d’une divergence d’approches entre plusieurs pays européens. Je note toutefois avec satisfaction que la Commission européenne a ouvert, en janvier dernier, le débat sur l’idée d’une transition progressive vers la majorité qualifiée en matière fiscale, ce dont nous nous félicitons.

En attendant, cette absence de convergence entre les politiques fiscales permet soit une concurrence déloyale entre les États membres, soit la mise en œuvre de systèmes d’évasion fiscale.

Aussi, le RDSE a souhaité inscrire à l’ordre du jour de nos travaux la question de la fraude transfrontalière à la TVA, un fléau qui crée un manque à gagner colossal pour les administrations publiques.

En effet, chaque année, la Commission européenne déplore l’ampleur des pertes. Dans son dernier rapport, ce sont près de 147 milliards d’euros qui ont été captés en 2016 par la fraude à la TVA, dont 20 milliards d’euros pour la France. La seule fraude à la TVA transfrontalière s’élèverait à 50 milliards d’euros, soit presque un tiers du budget de l’Union européenne.

Bien que l’écart de TVA ait diminué depuis quelques années, les résultats varient d’un pays à l’autre. La Suède et la Croatie ne perdent que, si j’ose dire, 1 % de leurs recettes théoriques, tandis que l’Italie et la Grèce en perdent respectivement 25 % et 30 %. La France se situe dans une position médiane, avec un écart de TVA resté stable à 12 %, mais le montant de la fraude a tendance à augmenter en valeur absolue.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, s’agissant en particulier de la fraude à la TVA transfrontalière, celle-ci s’appuie principalement sur le système dit « carrousel », une technique assez futée qui implique plusieurs entreprises d’une même chaîne commerciale présente dans au moins deux États membres de l’Union, réalisant entre elles des acquisitions intracommunautaires et des livraisons intracommunautaires et/ou des importations et des exportations.

Finalement, la fraude repose sur le non-reversement à l’État de la TVA par celui qui l’a collectée, un intermédiaire qui disparaît le plus souvent, rendant ainsi impossible le recouvrement de cette taxe. Exploitant les failles des circuits de collecte de la TVA transfrontalière, de véritables sociétés-écrans, encore appelées « sociétés taxis », se sont créées, dont certaines financeraient des activités criminelles, voire terroristes.

Quand on ne cherche pas à récupérer la totalité de la somme à des fins malveillantes, il peut s’agir de commercialiser, en bout de chaîne, des produits à des prix bien sûr nettement inférieurs aux prix du marché officiel, les gains des maillons intermédiaires étant financés par le Trésor du fait du non-reversement de la TVA. Ces pratiques affectent ainsi le fonctionnement normal du marché et créent des distorsions de concurrence pour les opérateurs respectueux de leurs obligations fiscales.

Il est donc urgent, monsieur le ministre, d’agir sur ce front, d’autant que la fraude au carrousel, que je viens d’évoquer, n’est ni nouvelle ni isolée.

On peut également citer les fausses factures liées à la vente de véhicules prétendument d’occasion, qui créent artificiellement de la TVA déductible, ou encore la fraude au régime 42 – celle-ci profite d’une suspension de TVA le temps que la marchandise circule. Cet ensemble d’escroqueries a été mis en place dès le lendemain de la création du marché unique.

Mes chers collègues, d’où vient cette vulnérabilité ?

À l’évidence, l’existence de vingt-huit régimes de TVA différents favorise bien entendu cette situation. N’est-il pas incohérent d’avoir un marché unique sous-tendu par une TVA encore assise sur des frontières ? On ouvre la porte à des fraudes et on complique la vie des entreprises sérieuses au travers de règles de facturation transfrontalières pas toujours simples, je le concède.

Rappelons aussi que le régime actuel de TVA pour les échanges entre les États membres de l’Union européenne date de 1993 et qu’il n’a jamais été corrigé en profondeur. Depuis lors, les échanges commerciaux se sont intensifiés, l’Europe s’est élargie et les communications électroniques se sont accélérées, ouvrant un peu plus le terrain de jeu des fraudeurs.

Dans ces conditions, il n’est pas inutile de rappeler à l’Union européenne ses responsabilités dans ce chantier, et ce d’autant plus que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales est devenue une priorité pour nombre d’États membres.

Bien entendu – nous le savons pour avoir déjà avoir formulé des propositions en la matière –, la Commission européenne est mobilisée depuis 2016 sur la question de la TVA. À la fin de 2017, elle avait présenté un programme de réforme des règles de l’Union européenne en matière de TVA, qui, selon ses estimations, pourrait réduire de 80 % le montant de la fraude – c’était une bonne proposition.

L’idée générale, que la majorité de mes collègues du RDSE partage, est de mettre rapidement en place un espace de TVA unique à l’échelle de l’Union européenne.

Nous approuvons aussi les quelques mesures techniques simples qui seraient de nature à écarter la fraude : le prélèvement de la TVA directement sur les échanges transfrontaliers entre entreprises, la mise en place d’un guichet unique en ligne permettant à la fois le paiement par les entreprises dans leur langue d’origine et le reversement de la TVA d’un État vers l’État du consommateur final.

Le 22 juin 2018, le Conseil avait approuvé des mesures visant à accroître la coopération administrative, afin de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA, notamment par une amélioration de l’échange d’informations ou encore le renforcement du réseau Eurofisc – c’est un début. Mais où en sommes-nous de cette collaboration entre les États membres ?

Nous en sommes bien conscients, je l’ai évoqué en introduction, la règle de l’unanimité ralentit, pour ne pas dire empêche, la mise en œuvre rapide d’une politique fiscale cohérente à l’échelle de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, partout en Europe, les citoyens réclament davantage de justice fiscale et que les gouvernements s’emploient à alléger les impôts sur les ménages, l’Union européenne doit se montrer plus volontaire pour édicter des règles de nature à mieux lutter contre la fraude et pour convaincre de l’intérêt d’une convergence plus forte entre les politiques fiscales.

Tout cela ne dispense pas bien entendu chacun des États membres d’améliorer leurs dispositifs nationaux. À cet égard, vous pourrez sans doute, monsieur le ministre, nous apporter des éclairages utiles, et peut-être faire des annonces, pour enrichir ce débat.

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