Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 29 mai 2019 à 14h30
La lutte contre la fraude à la tva transfrontalière — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Gérald Darmanin :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe du RDSE, notamment le président Requier et M. Yvon Collin, qui s’est exprimé pour son groupe, d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat, un débat heureux tant les enjeux qui y sont associés en matière de finances publiques le justifient amplement.

Je le dis devant le président de la commission des finances et les sénateurs, l’examen du prochain projet de loi de finances nous donnera l’occasion de parler non seulement de la fiscalité locale, mais aussi de la lutte contre la fraude, en particulier d’un « paquet TVA ».

Le débat d’aujourd’hui, la série de questions-réponses et les échanges que nous avons eus dans le cadre des travaux du Sénat, singulièrement les vôtres, ainsi que les interpellations que M. le rapporteur général a faites au cours des deux dernières années nous permettent de prendre langue en vue d’inscrire des mesures dans le projet de loi de finances. Nous ne devons pas uniquement être dans le constat : il nous faut accompagner effectivement les mesures que vous proposez et celles que demande la Commission européenne.

La fraude à la TVA est un phénomène ancien, dangereux pour les recettes de l’État et, il faut bien le dire, protéiforme.

Ce phénomène est dangereux, tout d’abord, pour les recettes.

Vous le savez, l’impôt a été créé dans les années cinquante. Force est de constater que le problème se pose avec d’autant plus d’acuité avec l’instauration du marché unique – vous l’avez relevé vous-même, monsieur le sénateur – et l’augmentation du volume des importations intracommunautaires, réalisée notamment par le commerce électronique et les plateformes numériques, car la fraude est naturellement plus facile dans le cadre d’échanges communautaires, ainsi que vous l’avez rappelé.

Ce phénomène est dangereux, ensuite, pour les recettes de l’État.

Bien qu’elles soient difficilement chiffrables, les pertes de recettes fiscales douanières liées à la manipulation des flux ou à la dissimulation des recettes sont très importantes. De fait, avec un peu plus de 160 milliards d’euros, la TVA constitue la première ressource de l’État et la moitié des ressources fiscales nettes ; elle est d’ailleurs le deuxième prélèvement obligatoire après les cotisations sociales, devant la CSG, la contribution sociale généralisée, et, bien sûr, l’impôt sur le revenu, ainsi que l’impôt sur les sociétés.

Dans son étude annuelle sur le sujet, la Commission européenne a estimé que le manque à gagner de TVA pour la France représentait approximativement 20 milliards d’euros, soit presque 12 % des recettes potentielles que notre pays pourrait compter.

Pour l’Union européenne, le manque à gagner atteindrait plus de 150 milliards d’euros, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, soit près de 13 % des recettes des vingt-sept États membres. Nous pouvons nous réjouir dans notre malheur d’avoir à peu près le même manque à gagner que la plupart des pays européens.

Le phénomène est protéiforme, enfin. Pour schématiser, il y a deux grandes familles de fraudes à la TVA.

Il existe une fraude sophistiquée, s’appuyant sur des réseaux complexes, de grande ampleur, parfois proches du crime organisé, comme vous l’avez indiqué, où évoluent de grands délinquants, et qui soustrait par la technique bien connue du carrousel des sommes très importantes aux caisses de l’État.

À l’inverse, ne l’oublions pas, il existe également une fraude diffuse, plus quotidienne, reposant certes sur de petits montants individuels – cela n’en reste pas moins de la fraude –, mais qui représentent des sommes très importantes lorsqu’on les met bout à bout.

En tout état de cause, une chose est sûre : une politique de lutte contre la fraude digne de ce nom, que le Sénat et l’Assemblée nationale souhaitent, tout comme le Gouvernement, ne peut se désintéresser de la fraude à la TVA, cette taxe étant, je le rappelle, notre première recette fiscale. Bien au contraire, ce doit être la préoccupation première. À cet égard, je le répète, je remercie le groupe du RDSE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de vos travaux.

La fraude à la TVA est un sujet moins en vue dans le débat public que l’évasion fiscale internationale – moins d’émissions télévisées et moins de titres de journaux y sont consacrés – et l’optimisation agressive des grandes entreprises, un sujet certes important, il faut le relever, et médiatique – les gouvernements successifs ont essayé de faire des choses –, mais qui est peut-être moins important en termes de masses financières. L’audit en cours de la Cour des comptes nous le confirmera peut-être lors de l’examen du projet de loi de finances dont nous aurons à débattre.

Quoi qu’il en soit, traiter un sujet ne signifie pas ne pas traiter l’autre : il importe de s’y employer en même temps, monsieur le sénateur, et je remercie encore une fois le Sénat de s’être intéressé à cette question au travers des travaux de fond conduits par la commission des finances.

Le Gouvernement est pleinement mobilisé, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’échelle européenne, au niveau national et en lien avec le législateur pour changer les choses, dès le projet de loi de finances pour 2020.

Face aux phénomènes que nous avons évoqués, ni nous, membres du Gouvernement, ni les parlementaires que vous êtes, ni l’Union européenne ne restons les bras croisés.

Au niveau communautaire, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, la Commission européenne est très active sur ces sujets depuis quelques années. Depuis 2015, les services électroniques – musique, logiciels, films – sont imposables dans l’État du consommateur en vertu du principe dit « de destination ».

Pour faciliter les obligations déclaratives des prestataires, un outil de déclaration centralisé, appelé « mini-guichet unique », a été mis en place. Ce système a fait ses preuves, puisque la France a obtenu en 2018 – vous le constaterez lors de l’examen du projet de loi de règlement – plus de 600 millions d’euros de recettes supplémentaires au titre de la TVA. Ce sont autant de fraudes en moins.

Une nouvelle directive relative à la TVA a été adoptée le 5 décembre 2017 par le Conseil de l’Union européenne, pour application à compter du 1er janvier 2021, pour ce qui concerne le e-commerce ; je proposerai que nous y revenions dès l’examen du prochain projet de loi de finances.

Par ailleurs, le Conseil a été saisi en mai 2018 d’une nouvelle proposition de directive visant à instituer un régime définitif de TVA et mettant fin au régime en vigueur depuis le 1er janvier 1993 en matière de flux intracommunautaires de marchandises entre entreprises.

Si les mécanismes prévus dans cette proposition doivent permettre d’éradiquer les schémas de fraudes au carrousel, qui représentent des montants importants, les négociations au Conseil prendront malheureusement du temps, et nous n’en verrons pas les bienfaits tout de suite.

Sachez que le Gouvernement est très mobilisé. Je le sais, Pierre Moscovici l’était également sur ce sujet, nous en avons discuté à plusieurs reprises. Le Parlement européen, à peine élu, s’y intéressera, et la prochaine Commission européenne devra être particulièrement attentive. La France prendra sa part, en vue de faire avancer rapidement les négociations, en dépit de la règle de souveraineté des États que vous avez évoquée.

Toutefois, ce n’est pas parce que les règles de fiscalité doivent être prises à l’unanimité et que cela demande du temps à l’échelle européenne qu’il ne faut pas avancer au niveau national.

Chaque mois, nous organisons une task force de lutte contre les fraudes à la TVA, pilotée par la DGFiP, la Direction générale des finances publiques, qui, sous mon autorité, réunit les grands services que sont la DNRED, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, le SNDJ, le service national de douane judiciaire, la BNRDF, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, du ministère de l’intérieur, et le Service national des enquêtes de la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Nous prouvons ainsi que les contacts sont permanents entre l’administration fiscale, au niveau central et aux échelons déconcentrés, et les parquets et les services d’enquêtes concernés. De même, nous coordonnons l’ensemble des services qui concourent à la lutte contre la fraude à la TVA. Il s’agit d’un phénomène pluriel et épars.

Divers sont les secteurs concernés : le bâtiment, les véhicules d’occasion, que vous avez cités, les logiciels de caisse programmés – j’ai rectifié quelque peu les mesures importantes prises par l’ancien gouvernement pour lutter contre la fraude à la TVA, afin de ne pas trop embêter nos artisans –, les locations saisonnières, le transport de personnes, les ventes à distance, les logiciels de caisse programmés pour éluder du chiffre d’affaires.

Nombreux sont donc les secteurs dans lesquelles les administrations dont j’ai la charge interviennent et améliorent constamment leurs outils, afin de recouvrer les sommes dues et sanctionner les auteurs de fraude.

Il ne faut pas considérer que les administrations sont trop tatillonnes avec les entreprises – bien sûr, la majorité des entreprises françaises ne fraudent pas – ; elles doivent être présentes pour lutter contre la fraude, afin de rétablir la juste concurrence entre entreprises et de favoriser l’emploi. D’ailleurs, les PME elles-mêmes le demandent, me semble-t-il.

Le sujet nous occupant plus particulièrement aujourd’hui étant la fraude à la TVA transfrontalière, je me contenterai d’évoquer les actions menées spécifiquement contre ce type de fraude ; je ne serai pas long, madame la présidente, car je vois que j’ai consommé mon temps de parole de huit minutes. Je répondrai ensuite aux questions qui me seront posées.

S’agissant de la lutte contre les carrousels de TVA, mes services ont procédé à plus de 350 demandes de suspension de numéro de TVA intracommunautaire pour des sociétés impliquées dans des schémas de carrousels très importants. Nous avons procédé à des signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale : ceux qui ont été effectués par la DNEF, la Direction nationale d’enquêtes fiscales, ont visé plus de 213 personnes physiques ou morales et vingt-deux enquêtes sont en cours.

S’agissant du contrôle de la TVA intracommunautaire, l’ancien gouvernement a mis en place en 2015 un dispositif permettant aux prestataires de ne pas s’immatriculer à la TVA dans chaque État membre de consommation ; c’est un point très important. Nous étendrons ce dispositif à partir de 2021 ; la DGFiP réalisera, à titre de tests, un plan de contrôles coordonnés sur un échantillon d’entreprises actuellement enregistrées.

Enfin, s’agissant de la lutte contre la TVA à l’import dans le cadre du dispositif d’autoliquidation de la TVA, la DGFiP et les douanes travaillent actuellement à fiabiliser et automatiser le rapprochement des données. À mon arrivée au ministère, j’ai découvert que les douanes et la DGFiP, au sein du même ministère, ne travaillaient pas forcément ensemble en matière d’échange de données…

Nous allons lutter très fortement contre les fausses déclarations à la TVA. Le logiciel de data mining et les rapprochements juridiques permis par la dernière loi relative à la lutte contre la fraude y concourront.

Sur le plan législatif, enfin, …

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