Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier ma collègue Esther Benbassa d’avoir lancé ce débat au nom de notre groupe.
Le cannabis déclenche des débats passionnés, parfois au gré des faits divers, ce qui nous éloigne le plus souvent d’une analyse sérieuse et fondée sur des données scientifiques objectives. Les progrès de la médecine et de la recherche conduisent pourtant à faire évoluer les mentalités et, donc, les législations un peu partout dans le monde.
Mais je veux le rappeler : le sujet dont nous discutons aujourd’hui est celui du cannabis thérapeutique, qui n’a rien à voir avec le cannabis dit récréatif.
Quelle est la situation dans notre pays ?
Le 10 septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a mis en place un comité scientifique spécialisé temporaire, présidé par le professeur Nicolas Authier, pour juger de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique.
Le 13 décembre 2018, ce comité a reconnu la pertinence médicale du cannabis thérapeutique et validé son utilisation dans plusieurs cas précis : douleurs réfractaires aux autres thérapies, médicamenteuses ou non – il ne s’agit pas de prescrire le cannabis n’importe comment –, formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, soins de support en oncologie, situations palliatives et spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. Aussi, les troubles évoqués par Chantal Deseyne ne concernent absolument pas le cannabis thérapeutique.
Ce comité a également conclu qu’il était crucial de financer et de poursuivre la recherche, ainsi que de faire évoluer la législation en veillant au mode d’administration. Ce dernier point est extrêmement important.
Le 13 février 2019, le Parlement européen s’est lui aussi prononcé en faveur d’une proposition de résolution sur le cannabis thérapeutique, invitant à soutenir la recherche et à établir des normes dans l’intérêt des patients.
Le gouvernement français lui-même n’est pas resté étranger à ce débat. Les déclarations dans les médias de la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, sont sans équivoque. Dès le mois de mai 2018, elle a ainsi affirmé sur Public Sénat que l’idée était de « ne pas fermer la porte à un produit qui pourrait aider certains de nos concitoyens pour des maladies sur lesquelles nous n’avons pas beaucoup de propositions de médicaments à faire. » Plus récemment, le Premier ministre, M. Édouard Philippe, a quant à lui trouvé « absurde de ne pas se poser la question » de la légalisation du cannabis thérapeutique.
Aujourd’hui, le cannabis thérapeutique est légal dans une trentaine de pays comme le Canada, les Pays-Bas, Israël, une partie des États-Unis, et vingt et un pays de l’Union européenne. Il est donc d’ores et déjà possible de tirer des conclusions sur son utilisation et de s’appuyer sur des données scientifiques pour prouver ses vertus.
Il me semble par conséquent très important, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement s’appuie, non seulement sur les avis et recommandations du comité scientifique et du Parlement européen, mais également sur les expériences menées à l’étranger, pour agir rapidement. Il importe notamment de déterminer les modalités d’usage du cannabis thérapeutique et la filière de production : importation ou constitution d’une filière nationale publique ?
Il est impératif d’avancer sur ces questions pour répondre de manière adéquate à la souffrance de nombreux patients pour lesquels l’auto-culture ou l’utilisation illégale de produits issus du marché noir, avec tous les risques que l’automédication peut comporter, est le seul recours.
Il faut se montrer plus audacieux en donnant des pouvoirs décisionnels aux fédérations d’addictologie, aux patients et aux différents experts. Il faudrait également oser poser la question du remboursement par la sécurité sociale.
Monsieur le secrétaire d’État, il semblerait que des expérimentations encadrées du cannabis puissent être menées d’ici à la fin de l’année : pouvez-vous nous le confirmer et nous en préciser les modalités ? En tout état de cause, il est fondamental que ces expérimentations soient larges, afin de prendre en considération plusieurs types de souffrance et de mieux répondre aux attentes des différentes personnes concernées.
Le 7 décembre 2018, une réunion du groupe CBD – cannabidiol – a eu lieu au Sénat sur l’initiative de l’association InterChanvre et de l’Union des transformateurs de chanvre. Deux enjeux majeurs ont été identifiés : d’une part, l’intérêt économique incontestable de la filière et, d’autre part, la sécurité alimentaire dans le cadre des compléments alimentaires, avec la volonté d’éviter toute promotion du cannabis illégal.
En effet, la France est le leader européen, le premier producteur de chanvre avec 17 000 hectares plantés, 1 400 producteurs et près de 1 800 emplois. Ce marché a donc un fort potentiel et trouvera des débouchés dans divers domaines, comme l’alimentation ou les cosmétiques. Notre pays pourrait par conséquent être pionnier dans ce domaine.
Les techniques de culture et d’extraction nécessitent des financements et une clarification de la réglementation, notamment pour ce qui concerne les méthodes visant à se débarrasser du THC. En effet, alors que la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildeca, explique que le CBD n’est pas interdit en tant que molécule, il l’est de fait régulièrement. D’où l’importance de le produire de manière synthétique pour qu’il ne présente plus aucune trace de THC et, donc, ne puisse plus être soumis à cette interdiction.
Enfin, il manque une législation européenne claire et harmonisée à ce sujet : les réglementations varient d’un pays à l’autre, ce qui rend difficiles les importations et les exportations, ainsi que la constitution d’un véritable marché européen.
Le cadre juridique actuel, très contraint, en particulier en ce qui concerne l’interdiction de l’utilisation de la fleur et de la feuille, nécessiterait un assouplissement et, par conséquent, une intervention du Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État.
Face à tous ces enjeux médicaux, sociaux et économiques, il me paraît crucial, comme à ma collègue Esther Benbassa et à l’ensemble des membres de notre groupe, de légaliser le cannabis thérapeutique en France et d’en finir avec une certaine hypocrisie, voire une certaine frilosité !