Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 29 mai 2019 à 14h30
Le cannabis un enjeu majeur de santé publique — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos en vous contant l’histoire de deux amies proches qui ont été atteintes d’un cancer du sein et ont subi des chimiothérapies très lourdes.

L’une et l’autre – elles ne se connaissent pas d’ailleurs – m’ont confié que si elles n’avaient pas eu de quoi fumer un peu de cannabis tous les soirs, elles ne seraient pas parvenues à endurer la chimio. Ce qui leur a permis de supporter la douleur liée à la chimio – il n’y a pas que la douleur due à la maladie, il y a aussi la douleur provenant du traitement –, c’est de pouvoir fumer du cannabis.

Pour affronter leur cancer et les traitements, ces deux femmes d’une cinquantaine d’années, mères de famille, ont été obligées de devenir des délinquantes, mais aussi de transformer leurs enfants en délinquants. En effet, quand vous êtes une femme de cinquante ans vivant une vie « normale » et que vous apprenez que le cannabis peut vous soulager, vous savez que ce n’est pas à l’épicerie du coin que vous en trouverez.

Elles en ont donc parlé à leurs enfants parce que, comme tous les enfants de cet âge, ils connaissaient au moins une personne qui elle-même connaissait quelqu’un qui savait où se procurer du cannabis. Et ce sont leurs enfants qui sont allés leur chercher du cannabis.

La loi, telle qu’elle est aujourd’hui, transforme de bons citoyens voulant lutter contre la souffrance, ainsi que leurs familles, en délinquants. Il y a là quelque chose d’extrêmement choquant !

Mes amies m’ont raconté leur histoire alors que j’étais moi-même ministre. Elles m’ont demandé à l’époque si rien ne pouvait être fait pour elles. Je leur ai alors répondu : « Vous savez, en France, le débat sur le cannabis n’est pas simple ! »

Je sais que le Gouvernement n’est pas fermé sur cette question, qu’il est même ouvert. Je ne rappellerai pas les démarches qu’il a engagées et que mes collègues ont déjà rappelées. Je crois toutefois que le sujet mérite que nous nous intéressions quelques instants à notre rapport à la douleur, à cette histoire de la douleur dans notre culture et dans notre civilisation.

Sur le plan médical, la douleur a longtemps été considérée comme un signal utile, un signal d’alarme informant d’une agression contre l’organisme. Les médecins l’appréciaient, car elle faisait partie des signaux cliniques et aidait à progresser dans le diagnostic.

Ensuite, qu’on le veuille ou non, nous sommes le produit d’une histoire marquée par le stoïcisme : résister à la douleur est courageux. Ne pas y résister est beaucoup moins honorable.

Enfin, nous sommes le produit d’une civilisation dans laquelle il y a une sorte de fatalité à la douleur. On adresse même une injonction aux femmes : « tu enfanteras dans la douleur ! »

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