Intervention de Adrien Taquet

Réunion du 29 mai 2019 à 14h30
Le cannabis un enjeu majeur de santé publique — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Adrien Taquet :

Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la tenue de ce débat, nous permettant d’aborder la question de l’usage thérapeutique du cannabis, qu’il faut clairement distinguer de la consommation de cannabis dite récréative, de son usage en tant que drogue, avec des effets délétères bien répertoriés sur la santé, mais aussi sur l’insertion sociale, en particulier des jeunes.

Cette question mérite d’être posée, et je vous remercie également de l’aborder sans polémique.

Plusieurs orateurs ont évoqué le cannabis récréatif. Nous pourrions en débattre, mais ce n’est pas le sujet du jour. La distinction liminaire que j’ai faite, et que vous avez été nombreux à faire, est néanmoins capitale, car elle renvoie à la double caractéristique du cannabis.

Ce produit est potentiellement nocif. Il peut entraîner des complications aiguës qui sont connues – augmentation ou diminution du rythme cardiaque, nausées, cas de psychose cannabique – et des complications chroniques, telles que les troubles de la mémoire, du sommeil, de la concentration, des formes de désocialisation, ou encore une augmentation du risque de cancers. Mais c’est également un produit doté de propriétés thérapeutiques.

Cela a été rappelé à plusieurs reprises, une modification de la réglementation sur le cannabis est intervenue en juin 2013.

Elle prévoit déjà que des médicaments contenant du cannabis puissent être utilisés, uniquement s’ils possèdent une autorisation de mise sur le marché délivrée en France ou par l’Union européenne. Ces spécialités pharmaceutiques à base de cannabinoïdes ont notamment passé une procédure rigoureuse, incluant, comme pour tout autre médicament, une appréciation du rapport entre bénéfices et risques.

Si vous le permettez, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout de même revenir, dans un premier temps, sur les enjeux majeurs de santé publique liés au cannabis en tant que drogue, avant de me concentrer sur le cœur de notre débat.

Les niveaux d’usage de cannabis en France placent notre pays en tête des pays européens pour ce qui concerne la consommation régulière, surtout chez les jeunes.

Quelques chiffres doivent nous inciter à réfléchir.

On estime que 1, 4 million de personnes consomment régulièrement – au moins dix fois par mois – du cannabis et que 700 000 personnes en consomment tous les jours, l’âge minimal de cet échantillon de population s’établissant à 11 ans.

Parmi les usagers actuels de cannabis, 20 % sont identifiés comme à risque élevé d’abus ou de dépendance.

Aujourd’hui, 80 % des consultations jeunes consommateurs, structures dédiées à l’écoute des jeunes de 11 à 25 ans et de leurs parents, concernent des usages répétés et problématiques de cannabis.

Ces quelques chiffres et observations appellent une réponse sanitaire adaptée à chaque public.

S’agissant du cannabis à usage thérapeutique, vous avez été nombreux à rappeler que, au sein de l’Union européenne, vingt et un pays sur vingt-huit l’autorisent.

Cette dynamique est allée crescendo au cours des dernières années : en 2013, la République tchèque et l’Italie ont adopté des dispositions législatives et réglementaires pour autoriser la protection et la réalisation de préparations magistrales à base de cannabis ; en 2015, ce fut le tour de la Hongrie ; en 2017, l’Allemagne, l’Irlande, ou encore la Slovénie leur ont emboîté le pas.

Actuellement, le cannabis thérapeutique recouvre des formes et des circuits de production, de prescription et de contrôle très variés selon les pays.

Ces exemples, comme certains d’entre vous l’ont appelé de leurs vœux, nous guideront pour établir les modalités d’un usage thérapeutique du cannabis dans notre pays adapté aux besoins de notre population.

Permettre un tel usage est aussi une priorité de la ministre des solidarités et de la santé, conformément aux déclarations que cette dernière a faites et à celles du Premier ministre qui ont suivi. Des travaux ont été engagés en ce sens.

Ainsi, la ministre a saisi l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, afin de disposer d’un état des lieux, notamment des spécialités pharmaceutiques contenant des extraits de la plante de cannabis, ainsi qu’un bilan des connaissances relatives aux effets et aux risques thérapeutiques liés à l’usage de la plante elle-même.

L’ANSM a constitué, en septembre 2018, un comité scientifique spécialisé temporaire chargé d’évaluer la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition, en France, du cannabis thérapeutique en tant que plante.

Le comité a exclu d’emblée la voie d’administration fumée, compte tenu des risques pour la santé, et, je le confirme, il y a peu de chance que cette voie d’administration soit retenue.

J’en profite, à deux jours de la Journée mondiale sans tabac, pour saluer les résultats que nous avons obtenus dans ce domaine : en deux ans, ce sont 1, 6 million de nos concitoyens qui ont arrêté la cigarette. Comprenez qu’il serait contradictoire, en termes de politique publique, de combattre le tabac tout en promouvant la voie d’administration fumée !

En décembre 2018, le comité scientifique précédemment cité a estimé pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique pour les patients concernés par certaines situations cliniques précises et limitées : douleurs réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, situations palliatives, soins de support en oncologie et spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Les travaux de ce comité se poursuivront jusqu’en juin prochain, pour définir le cadre de l’expérimentation et ses modalités de mise en œuvre, c’est-à-dire les prescripteurs autorisés, le circuit de distribution et de délivrance, les modalités d’administration et les formes pharmaceutiques, les dosages et concentrations en principes actifs dispensés. Je peux donc vous assurer, madame la sénatrice Laurence Cohen, que cette expérimentation aura bien lieu.

Il appartiendra ensuite au Gouvernement de se prononcer, en s’appuyant sur ces travaux, sur les indications et les modalités d’usage thérapeutique du cannabis, ainsi que de déterminer, le cas échéant, le circuit de distribution.

En parallèle, nous maintiendrons les interdits et continuerons, surtout, à renforcer nos politiques de prévention, qui constituent le cœur de notre action en la matière.

La prévention des addictions est présente dans le plan national de santé publique. Le principal levier repose sur le milieu scolaire avec, je le rappelle, plusieurs dispositifs : le développement des compétences psychosociales dès l’âge scolaire ; les actions d’information et de sensibilisation en milieu scolaire, notamment par les pairs, les « ambassadeurs de santé » ; le déploiement d’un service sanitaire visant à former une nouvelle génération de professionnels de santé, rompue à la pratique de la prévention, et à les faire intervenir en milieu scolaire.

Les consultations jeunes consommateurs, précédemment évoquées, sont aujourd’hui l’outil essentiel pour l’intervention précoce auprès des jeunes consommant des substances. Spécialisées dans les addictions, elles s’adressent aux jeunes – mineurs ou majeurs – et à leurs familles. Nous continuerons, bien évidemment, à les soutenir.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si nous sommes favorables à une expérimentation de l’usage thérapeutique du cannabis, nous attirons l’attention sur l’importance de la préparation et l’encadrement d’une telle ouverture. Nous partageons tous, je pense, cette même préoccupation, cette régulation constituant, je le rappelle encore, un enjeu majeur de santé publique, comme souligné dans le libellé même du débat.

Quant à la prévention de la consommation de drogues, lesquelles incluent le cannabis, elle est un axe prioritaire de l’action de la ministre des solidarités et de la santé, et vous pouvez compter sur l’ensemble du ministère pour mener une politique constante et volontariste en la matière.

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