Intervention de Stéphane Piednoir

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 28 mai 2019 à 15:5
Présentation du rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques « les scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 »

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir, rapporteur :

Parallèlement à la réalisation des scénarios, nous avons procédé à de nombreuses auditions, dont celle du 29 novembre 2018 consacrée aux infrastructures de recharge des véhicules électriques, ainsi qu'à deux déplacements. Cette démarche nous a permis d'approfondir les conditions nécessaires au développement des véhicules décarbonés, et d'identifier des recommandations pratiques.

Nous proposons d'abord de réaffirmer la neutralité technologique, afin de rétablir la confiance quant aux intentions des pouvoirs publics. Plusieurs interlocuteurs ont ainsi évoqué le désarroi des particuliers comme des professionnels depuis l'affaire Volkswagen, dite du dieselgate. Le principe de neutralité technologique est garant de la liberté des industriels de trouver les meilleures solutions, et de celle de leurs clients d'adopter celles qui répondent le mieux à leurs besoins. Ainsi, il serait dommageable de condamner par avance le moteur thermique qui va continuer à jouer un rôle, dans une période de transition, aux côtés des véhicules électriques à batterie, notamment dans les véhicules hybrides rechargeables. De fait, les marchés les plus dynamiques, en dehors de la Chine, connaîtront probablement des difficultés à passer aisément aux véhicules électriques. Alimenté en biogaz, le moteur thermique peut d'ailleurs se révéler plus vertueux. La neutralité technologique permet aussi une transition progressive, limitant les impacts sur le tissu industriel et les emplois.

Il convient également d'éviter la dépendance vis-à-vis des batteries asiatiques. Les batteries lithium-ion représentent 35 % à 50 % de la valeur des véhicules électriques. Le marché est dominé par les pays asiatiques : le Japon, la Corée du Sud et la Chine, laquelle détient 60 % du marché mondial. Les constructeurs chinois ont déjà annoncé leur intention de produire des batteries en Europe, si ce n'est déjà fait. La domination des entreprises asiatiques place les constructeurs européens dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de pays eux-mêmes exportateurs d'automobiles. Conscientes des risques, la Commission européenne, l'Allemagne et la France travaillent à constituer un ou plusieurs consortiums industriels européens pour reconquérir la maîtrise de la filière, sorte d'« Airbus des batteries ». Pour y parvenir, il faudra profiter du remplacement prochain de l'électrolyte liquide des batteries lithium-ion par un électrolyte solide, même si, bien entendu, les entreprises asiatiques ne resteront pas passives. Il apparaît également utile, pour protéger le marché européen d'une concurrence trop intense, de définir des critères de qualité environnementale pour les batteries, par exemple sur leur empreinte CO2, leur recyclage et l'approvisionnement responsable en matières premières.

Il semble, en outre, indispensable de préparer le recyclage et la seconde vie des batteries lithium-ion. Il s'agit d'une perspective à moyen terme, car la montée en puissance sera progressive et décalée d'une dizaine d'années par rapport à la vente des véhicules. Les batteries recyclées pourraient devenir une source d'approvisionnement en lithium et en cobalt. Comme pour les batteries neuves, il faut définir dès à présent des critères exigeants, par exemple en termes de performance du recyclage, pour protéger cette industrie naissante. La réglementation européenne, qui date de plus de dix ans, prévoit un seuil par défaut fixé à 50 % de taux de recyclage, alors que les entreprises françaises savent déjà recycler ces batteries à plus de 70 %. Il convient également de préparer un statut spécifique des entreprises de recyclage, doté d'une règlementation adéquate.

Nous recommandons, par ailleurs, d'assurer le déploiement des infrastructures, afin d'assurer, sur l'ensemble du territoire, un accès aisé à un point de charge : au domicile, sur le lieu de travail, ou dans l'espace public. En France, le nombre total de points de recharge s'élevait à près de 240 000 à la fin de l'année 2018, dont environ 26 000 accessibles au public, plus de 85 000 chez les particuliers et plus de 125 000 en entreprise, avec une progression de près de 40 % en un an.

En théorie, 65 % des logements pourraient être équipés d'un point de recharge, mais cela peut s'avérer compliqué dans les bâtiments résidentiels collectifs. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II, a créé un « droit à la prise », mais, en pratique, les délais sont longs et le processus complexe pour un propriétaire ou un locataire qui veut installer à ses frais un point de charge individuel. Il est possible d'améliorer l'exercice du droit à la prise en demandant aux copropriétés de décider des modalités de raccordement en amont. Ainsi, la réponse pourra être plus rapide : un délai maximum de deux mois nous semble, dans ces conditions, suffisant.

La recharge doit également être facilitée sur le lieu de travail. L'un des freins concrets évoqués lors de l'audition du 29 novembre 2018 concerne l'obligation de payer des charges sociales et des impôts lorsqu'un salarié recharge son véhicule dans son entreprise. L'employeur doit alors mettre en place un système spécifique de comptage et de facturation. Lors de l'examen au Sénat de la loi d'orientation des mobilités, j'ai récemment déposé un amendement visant à lever cet obstacle, afin de permettre aux 35 % de personnes qui ne peuvent disposer d'un point de charge à domicile de pouvoir recharger leur véhicule électrique sur leur lieu de travail.

Il y a ensuite la question des bornes de recharge dans l'espace public, soit pour les personnes dépourvues de place de parking, soit pour les déplacements. Là aussi, nous avons identifié un obstacle majeur : l'absence de rentabilité, à ce stade, pour les acteurs privés. Le projet de loi d'orientation des mobilités comporte déjà des dispositions destinées à améliorer cette situation. Nous en proposons plusieurs autres, en commençant par une meilleure information des acteurs publics et privés sur les possibilités de raccordement et sur le trafic routier.

Enfin, il y a la question de l'impact de ces points de charge sur le réseau électrique. Après avoir entendu les acteurs du domaine, nous considérons qu'il n'y a pas de risque réel en termes de consommation d'électricité tout au long de l'année. Le problème existe néanmoins en termes d'appel de puissance, avec un risque réel d'aggraver les pointes de consommation.

Sur ce plan, il n'y a pas d'autre solution efficace à l'heure actuelle que le pilotage de la recharge. Aussi pensons-nous qu'il faut étendre l'obligation du pilotage aux points de recharge dans l'habitat collectif, en renforçant les aides.

Ces problèmes d'infrastructure se posent aussi, sous une autre forme, pour le gaz naturel véhicule (GNV) et l'hydrogène. Ces réseaux se développent déjà pour des utilisateurs professionnels. Il faut donc avant tout inciter les professionnels à utiliser ces nouvelles énergies, moins carbonées et moins polluantes. Aussi, nous pensons qu'il faut pérenniser ou étendre les dispositions relatives au suramortissement à l'achat des véhicules, tout en veillant à ce que le prix à la pompe soit attractif.

Autre exemple de préconisation : le maintien des aides à l'achat à un niveau suffisant.Le surcoût des véhicules électriques à l'achat reste un problème majeur pour le développement de ce marché. En Norvège, c'est avant tout un prix attractif pour les particuliers qui explique les ventes des véhicules électriques, bien avant les autres avantages tels que les exonérations de péage. Le Danemark en a aussi donné un exemple inverse, lorsqu'il a baissé ses aides à l'achat en 2015 et que les ventes de véhicules électriques se sont effondrées.

En France, un dispositif équivalent à celui de la Norvège est impossible, car celui-ci est basé sur la suppression de taxes déjà très lourdes, qui n'est possible que parce que ce pays n'est pas producteur de véhicules.

Il faut maintenir les aides existantes, notamment le bonus écologique, tant que les prix n'auront pas baissé. Même s'il est impossible de prédire cette baisse, les dernières annonces des constructeurs sont plutôt encourageantes ; ainsi la Volkswagen ID.3, équivalent de la Golf, est annoncée en dessous de 30 000 euros sans aide.

Une autre façon de convaincre les Français consiste à leur montrer que l'achat d'un véhicule électrique peut être intéressant sur le long terme, en termes tant financiers que de protection de l'environnement. C'est ce que permettent les calculs du coût total de la possession d'un véhicule et l'analyse de ses émissions tout au long de son cycle de vie, et non plus seulement en utilisation, comme actuellement.

Aussi, sur le modèle de l'étiquette-énergie pour les logements ou l'électroménager, nous proposons la création d'un label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession et ses émissions tout au long de sa vie, sur la base d'une utilisation moyenne.

Voilà quelques exemples de mesures concrètes qui pourraient faciliter le déploiement des véhicules à basses émissions, nous en proposons d'autres parfois assez techniques.

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