Dans les cas de restauration complexes, les conservations des monuments historiques peuvent faire appel à de multiples disciplines scientifiques qui viennent appuyer le maître d'oeuvre. Elles définissent aussi les études qu'il convient de réaliser en amont du projet, coordonnent les prestataires des études et intègrent leurs résultats aux diagnostics et propositions de restauration. De la qualité des études dépend donc celle du projet. Le travail de recherche s'accompagne d'une démarche indispensable de redistribution de la connaissance à la communauté scientifique et au grand public. J'illustrerai mon propos par les exemples de la cathédrale d'Autun, de l'abbaye de Cluny, de la basilique de Vézelay et de la chapelle Notre-Dame du Haut de Le Corbusier à Ronchamp.
Les sciences documentent et concourent à la définition du projet. Les recherches peuvent concerner l'histoire de l'édifice pour légitimer un choix de restauration, la connaissance des matériaux au moyen de l'archéologie du bâti et de l'origine des pathologies pour définir des protocoles de restauration. À Cluny, il fallait redonner à lire l'état roman détruit de l'abbaye. Le recours à l'archéologie du bâti a permis de découvrir l'implantation de la première église et de la salle capitulaire, disparues dans les maçonneries du dix-septième siècle. Les études réalisées en amont de la définition du projet ont donné lieu soit à des restitutions, soit à l'adaptation des circuits de visite et à la réalisation de supports de médiation.
Définir l'origine des pathologies et leur caractère évolutif ressort également du rôle des sciences au service des projets de restauration. Sur les portails de la basilique de Vézelay, en 2009, l'observation de fissures parcourant le tympan de la Pentecôte a conduit à une intervention en urgence accompagnée d'une campagne d'études et de travaux, pendant laquelle la conservation des monuments historiques a assisté la commune propriétaire. Le financement des travaux a été inscrit dans deux contrats de plan État-région successifs. La conservation a également mis en place un comité scientifique international chargé d'accompagner le projet de sa réflexion ; elle en assure le secrétariat. L'enjeu des études était d'identifier l'origine des fissures et de vérifier leur caractère évolutif. Les architectes en chef se sont entourés d'équipes pluridisciplinaires, associant notamment un historien de l'art chargé de travailler sur les archives, d'archéologues du bâti pour préciser le mode constructif de l'avant-nef, d'un bureau d'études structures chargé des descentes de charges, d'un restaurateur de sculptures afin de préciser les techniques de taille et d'un laboratoire d'analyse des matériaux pour identifier les matériaux exogènes, sources potentielles d'altération du monument. Après dix ans d'études, l'État a acquis sur ce chef-d'oeuvre du patrimoine mondial un niveau de connaissances exceptionnel. Les propositions d'intervention ont ensuite été présentées devant la commission nationale du patrimoine et de l'architecture afin d'assurer une parfaite collégialité de la décision, en application de la charte de Venise qui rappelle que les choix de restauration ne peuvent dépendre du seul auteur du projet. Les déformations du tympan, qui dataient en réalité de son montage, ont été stabilisées grâce à des interventions peu intrusives, alors qu'étaient envisagées, avant les études, des reprises structurelles lourdes.
La science peut aussi contribuer à définir les protocoles de restauration, comme à la chapelle de Le Corbusier à Ronchamp, confrontée à une fissuration du béton. Le projet dans un tel cas consiste à conserver le matériau d'origine, à refermer les fissures et à redonner au monument un état conforme à sa présentation d'origine. Deux ans de phase expérimentale ont été nécessaires pour tester plusieurs procédés et matériaux, avec l'appui du laboratoire de recherche des monuments historiques, et retenir le plus adapté.
Un chantier peut enfin représenter l'occasion d'approfondir la connaissance du monument. Lors de la restauration du portail du Jugement dernier de la cathédrale d'Autun, les échafaudages ont été ouverts aux chercheurs, aux archéologues, aux archivistes et aux historiens de l'art dont les observations ont été rassemblées dans un ouvrage coordonné par le service des monuments historiques. Il est ainsi plus aisé de mettre en oeuvre, pour des édifices exceptionnels et fragiles, une politique de conservation préventive. À Vézelay, par exemple, les maçonneries de l'avant-nef seront instrumentées après la restauration des portails pour surveiller, dans le temps long, les mouvements qui pourraient l'affecter. Les sciences et les technologies apparaissent donc souvent indispensables pour documenter le monument, au stade de la définition d'un projet de restauration comme en cours de chantier.