Intervention de Loïc Bertrand

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 23 mai 2019 à 9h40
Sciences et technologies en appui de la restauration de notre-dame de paris — Tables rondes

Loïc Bertrand, CNRS, Université Paris-Saclay :

directeur d'IPANEMA, CNRS, Université Paris-Saclay. - Je tiens tout d'abord à remercier l'Office parlementaire de son invitation à présenter l'apport à la reconstruction de Notre-Dame de dispositifs comme le synchrotron SOLEIL et l'infrastructure européenne consacrée aux sciences du patrimoine (E-RIHS), en cours de constitution, ainsi que le dispositif exceptionnel de soutien à la recherche que nous mettons en place avec la région Île-de-France à la suite de la tragédie du 15 avril dernier.

Tout d'abord, permettez-moi de définir en quelques mots ce qu'est un synchrotron. Il s'agit d'une source de lumière intense, notamment dans la gamme des rayons X, sur un grand instrument. La France en héberge deux, SOLEIL - installation nationale avec un anneau de 100 m de diamètre - sur le Plateau de Saclay et l'ESRF - installation internationale - à Grenoble. Le synchrotron SOLEIL accueille chaque année plusieurs milliers de scientifiques, toutes disciplines scientifiques confondues, qui conduisent des expériences sur ses trente lignes de caractérisation.

Les deux synchrotrons mentionnés précédemment possèdent une expertise dans le domaine des matériaux du patrimoine, sans équivalent au plan international. En 2007, l'État français et la région Île-de-France décidaient de se doter du laboratoire IPANEMA, seul centre au monde dédié au patrimoine sur grand instrument, que j'ai eu l'honneur de construire et de diriger depuis sa création. IPANEMA héberge des scientifiques du monde entier qui viennent travailler sur les lignes de SOLEIL et d'autres sources de lumière. SOLEIL a ainsi accueilli plus de 200 projets de recherche dans le champ du patrimoine depuis son ouverture.

Comme nous le montrent de nombreuses publications, le synchrotron SOLEIL pourra contribuer à des recherches consacrées à la cathédrale Notre-Dame. Dans le domaine de l'étude de l'histoire des matériaux, par exemple, le synchrotron SOLEIL peut apporter des informations importantes sur les techniques artistiques, la pierre, le bois, les vitraux, les objets mobiliers. Des méthodes d'imagerie 3D comme la microtomographie de rayons X peuvent être appliquées à de petits échantillons pour en déterminer la composition et les propriétés. Des méthodes d'imagerie 2D comme la fluorescence X par balayage ou la photoluminescence UV fournissent des cartographies à haute résolution de sections entières de matériaux chimiquement complexes et altérés pour en comprendre le mode de fabrication et l'état d'altération. En ce qui concerne le diagnostic des matériaux et le développement de nouveaux traitements de restauration, le synchrotron SOLEIL permet l'étude de la diffusion de nouveaux produits proposés pour les traitements dans des matrices poreuses. La prévention des risques constitue un autre domaine de recherche prometteur, à travers par exemple l'étude de la réponse des matériaux à l'échauffement ou sous contrainte mécanique.

Pour autant, une utilisation efficace de SOLEIL pour les travaux de rénovation de la cathédrale nécessite la réalisation de trois conditions.

D'abord, il faut mettre en place des méthodes. Depuis une vingtaine d'année, le développement sans précédent de l'imagerie, à la fois 2D et 3D, et de la spectro-imagerie permet de mieux décrire la complexité de matériaux du patrimoine hétérogènes. Contrairement aux apparences, un instrument comme SOLEIL n'est pas « donné » une fois pour toute, il est en adaptation permanente. La confrontation aux problématiques réelles est une source essentielle de créativité et d'inspiration.

Par ailleurs, l'utilisation de SOLEIL exige des moyens. Je coordonne depuis 2017 le domaine d'intérêt majeur (DIM) Matériaux anciens et patrimoniaux de la région Île-de-France. Ce DIM regroupe 95 laboratoires, 23 entreprises et partenaires de valorisation et 731 scientifiques du domaine des matériaux anciens et patrimoniaux. Il s'agit du plus important réseau régional au monde consacré à la discipline ; il regroupe tous les acteurs franciliens. Aujourd'hui, le DIM a décidé de lancer, avec la région Île-de-France, un appel à projets ambitieux qui soutiendra des programmes de recherche régionaux en coordination avec le CNRS et les équipes du ministère de la culture, en apportant des post-doctorants et en finançant des équipements, y compris les bases de données évoquées précédemment. Nous travaillons notamment à ce que le secteur de la conservation-restauration du patrimoine soit pleinement associé aux recherches. Nous avons ici besoin de votre soutien, notamment pour que ces financements ne couvrent pas uniquement les frais en équipement mais également les coûts en personnel nécessaire à ces travaux.

Enfin, il nous faut du temps pour développer et faire vivre l'interdisciplinarité. Face à une telle tragédie, il faut « se dépêcher de penser ». Néanmoins, si un doctorat dans notre domaine dure généralement quatre années, c'est que ce délai est nécessaire pour s'approprier les données d'un problème complexe, les partager, trouver des solutions, souvent en identifiant au passage que le premier problème était en fait mal posé. Des structures de médiation et d'échange comme IPANEMA et le DIM sont des clés dans ce processus qui nécessite une co-création constante. Au-delà des opérations de sauvegarde, il faut soutenir également les structures qui encouragent à la fois l'agilité et l'interdisciplinarité, qui sont les clés d'une recherche exigeante et de qualité, mêlant recherche fondamentale et recherche appliquée.

En conclusion, je souhaiterais évoquer trois chantiers nécessaires.

Nous avons une force particulière en France et en Europe dans le champ de la recherche sur le patrimoine. Il faut y investir massivement afin d'éviter que d'autres pays, voire d'autres continents, nous dépassent technologiquement. La mise en place du cluster « Patrimoine » dans le cadre du futur programme-cadre européen de recherche doit être encore plus soutenue afin que ce programme soit pleinement financé comme les autres thématiques de recherche. Par ailleurs, l'interdisciplinarité doit être accrue. La position d'États membres comme la France est importante alors que ces négociations sont en cours, y compris pour que la dimension « sciences des matériaux » du patrimoine soit pleinement présente aux côtés des activités sciences humaines et sociales de ce futur cluster.

À la suite de l'incendie de la cathédrale Notre-Dame, nous avons reçu de nombreux messages d'Europe et du monde entier. Une infrastructure européenne des sciences du patrimoine est en train d'être mise en place, qui coordonnera des plateformes de recherche avancée dans le domaine du patrimoine. Aidez-nous à construire une véritable force de recherche coordonnée entre pays européens pour l'étude des patrimoines culturel et naturel. Donnons-nous des cadres pérennes et solides pour nous concerter, travailler en commun et surtout empêcher que de telles catastrophes puissent se reproduire à l'avenir.

Vous l'avez rappelé en ouverture, M. le Président, deux mois jour pour jour avant ce terrible incendie, 1 500 scientifiques et membres du public étaient réunis pour quatre jours d'échange à quelques centaines de mètres de Notre-Dame, dans le cadre de la Rencontre mondiale Patrimoines, sciences et technologies - événement qu'IPANEMA a co-organisé avec l'Académie des sciences et le CNRS, à l'Institut de France. Dans ce cadre, une Déclaration solennelle a été adoptée soulignant l'« ampleur des dégradations, souvent irréversibles, des patrimoines mondiaux ». Cette déclaration faisait quatre propositions phares pour la recherche sur le patrimoine qu'il me paraît important de rappeler : inscrire l'étude des patrimoines dans les missions des organismes ; simplifier le recrutement interdisciplinaire ; mieux soutenir les laboratoires ; agir dans l'espace public.

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