Merci beaucoup pour la richesse de ces différentes interventions et pour les enseignements que nous avons pu en tirer.
Pour clore cette matinée d'audition, nous allons convenir que les questions des internautes qui n'auront pas eu de réponse dans ce cadre seront instruites, en lien avec vous, et les réponses seront mises en ligne sur les pages internet de l'Office sur les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Je vais maintenant vous livrer mes conclusions provisoires sur cette matinée. Certains thèmes de travail sont récurrents dans les travaux de l'Office, tels que la stratégie de recherche, la sécurité nucléaire, la politique énergétique ou les questions de bâtiment, d'autres sont moins fréquents, comme celui d'aujourd'hui, qui était d'une très grande richesse et qui mérite pleinement notre attention. Il reviendra certainement dans nos travaux futurs, sous une autre configuration peut-être. Avec l'accord immédiat de Gérard Longuet, j'ai proposé d'inscrire ce sujet à notre ordre du jour car il est pleinement dans la société et dans la décision politique et il s'insère tout à fait dans notre démarche d'analyse de thématiques complexes.
Ce que nous avons entendu ce matin nous a montré que le sujet était encore plus complexe qu'on ne pourrait le penser d'ailleurs.
Il y a d'abord la question de l'échelle des temps, avec l'urgence « impérieuse », le temps des diagnostics, celui de la construction et celui de la mise en place du projet. Il y a aussi la très grande technicité de certains problèmes évoqués, le regard international des médias, souvent très pressés, qui ne facilite pas la prise de position sereine, enfin des sujets urgents de sécurité et de santé. Nous avons vu qu'il y avait des pénuries possibles de pierres mais, contrairement à ce que l'on a dit, pas de bois.
Et puis, nous nous sommes aperçus que ce sujet faisait pleinement résonance avec des thèmes déjà abordés par l'Office parlementaire, par exemple le Synchrotron, évoqué récemment dans une note scientifique. Certains membres de l'Office ont aussi des intérêts particuliers pour ces grands équipements, comme la sénatrice Laure Darcos et moi-même, en raison de leur lieu d'implantation, ou comme le sénateur Pierre Ouzoulias, en raison de sa spécialité qui l'a conduit à travailler sur le Synchrotron SOLEIL dans le passé.
Cette audition renforce ma conviction selon laquelle tout projet de loi un peu complexe devrait être précédé d'une étude d'impact scientifique et technique à niveau. J'ai moi-même déposé une proposition de loi organique en ce sens. Heureusement, cette audition intervient juste avant l'examen du texte par le Sénat, ce qui permettra, s'il y a lieu, de proposer des corrections et de prendre en compte ces enjeux scientifiques et technologiques.
Toutes les sciences se sont invitées dans ce sujet, qu'elles soient humaines ou exactes, dans les questions d'analyse et de diagnostic, comme dans les questions de reconstruction.
Nous avons vu que certains sujets traditionnels, comme les pierres, peuvent être entièrement revisités, tant il y a de manières d'analyser celles-ci, notamment en lien avec la modification de leurs propriétés, ce qui nécessite beaucoup de ressources humaines et de moyens.
Nous avons parlé des arbres avec l'exposé de M. Thibaut, du métal avec l'exposé de M. L'Héritier. Il est très impressionnant de voir tout ce qu'on peut tirer du métal et les nombreuses formes qu'il prend dans un édifice comme la cathédrale Notre-Dame de Paris. Nous avons parlé de matériaux plus récents et revisités, comme le béton avec M. Malier, de techniques du futur, comme le Synchrotron de M. Bertrand, et vu les usages du numérique avec M. De Luca. Nous avons également évoqué des questions mécaniques, chimiques, de climat, de santé, de matériaux.
Et puis non seulement les sciences interviennent dans le temps de la décision mais aussi viennent en interactions fortes les unes avec les autres.
Nous avons eu l'occasion dans ces débats d'avoir des confrontations intéressantes et originales, comme le dialogue entre Pierre Ouzoulias et Yves Combeau, particulièrement émouvant, et c'est la première fois dans mon expérience de l'Office que nous abordons le terrain des croyances, des convictions et des spiritualités. Je suis très heureux de ce dialogue syncrétique, si l'on peut dire, en lien avec les sciences et technologies.
C'est aussi le sens de la tribune que j'ai publiée dans La Vie avec le frère Éric Salobir et Olivier de Châlus, et que Livio De Luca a eu l'obligeance de citer.
Père Yves Combeau, vous avez été particulièrement dynamique dans votre intervention, nous interpellant sur la nécessité de parler aussi du sens, de nous interroger sur l'efficacité et l'usage du bâtiment. Ce n'est pas tout de refaire Notre-Dame : qu'est-ce qu'on veut en faire ? Ce sujet doit être au coeur de la réflexion, des débats et de la décision.
Chemin faisant dans les débats, nous avons eu quelques morceaux d'anthologie, comme cette affirmation de la nécessité de « faire travailler les curés », ou une citation de Karl Lagerfeld. C'était là aussi une première dans les débats de l'Office, montrant que l'on peut aborder des sujets profonds et sérieux dans la bonne humeur.
Nous avons bien retenu qu'au-delà du temps de la réflexion et de la concertation, il faut aussi des moyens, des personnes disponibles et de la coordination entre autorités. Pour ce chantier de reconstruction, restitution, restauration, comme le disait M. Lagneau, il faut que la réponse soit au niveau de qualité de l'engagement observé de la part des uns et des autres, de l'enthousiasme du monde entier, de l'implication de tous les corps de métier et spécialités. Plus généralement dit, il faut que la réponse soit à la hauteur des enjeux.
Prendront part à cet effort l'État, les grands organismes de recherche, les fondations, les collectivités territoriales, comme on l'a bien vu dans l'exposé de M. Bertrand évoquant le rôle de la région. La science a donné sans compter et il est parfaitement légitime selon moi que l'on considère l'apport de la science comme faisant partie intégrante de l'effort de restauration. Dans le budget de reconstruction, il n'y aura pas que la reconstruction architecturale à prendre en considération, mais aussi l'effort de recherche fait en lien direct ou indirect avec ce très grand chantier. Ce travail de synergie sera un grand enjeu, y compris s'agissant des moyens.
Nous avons compris que les retombées seront considérables : au-delà de l'enjeu de reconstruire Notre-Dame, des savoirs et des pratiques pourront évoluer ; de nouvelles procédures, aussi bien techniques - mieux éviter un incendie, améliorer la surveillance et les modes d'alerte - que d'organisation humaine devront être envisagées. Dans cette perspective, le travail de M. Ybert pour rassembler les compétences et les diffuser sous forme de fiches opérationnelles constituera un ensemble de pratiques qui pourront faire école pour d'autres situations de crise dans le futur.
Bien sûr, les enjeux de médiation, de communication, de formation sont importants, comme l'a évoqué ma collègue députée Anne-Christine Lang. Je suis persuadé qu'il y a moyen de présenter le lieu et le chantier, peut-être en réalité virtuelle ou augmentée, et de créer un espace de culture scientifique dédié. Il doit être possible de faire en sorte que la durée d'immobilisation de Notre-Dame permette de voir le monument de façon différente, notamment par des regards croisés entre le passé et le futur.
Il y a également un besoin de toutes sortes de métiers techniques et d'en faire la publicité. Nous connaissons ce sujet à l'Office, je pense par exemple au besoin de soudeurs de haut niveau dans le domaine nucléaire.
J'ai coutume de dire qu'un exposé de vulgarisation scientifique est réussi quand il entremêle trois fils : l'histoire des humains, l'histoire des idées et des techniques et l'histoire des projets. Nous avons ici un exemple où les trois fils se sont entremêlés naturellement, de façon extrêmement forte. Avec Notre-Dame, on reconstitue les pratiques du passé, on s'interroge sur les pratiques du présent et du futur. Tant et tant de techniques sont présentes dans l'analyse et seront mises en oeuvre dans la reconstruction.
Ce projet de reconstruction est emblématique : je suis persuadé qu'on pourra dire plus tard que l'événement de l'incendie du 15 avril aura été refondateur d'un ensemble de savoirs et de pratiques. On sait qu'il a déjà un impact sur la coordination européenne du patrimoine, entre les ministres de la culture des différents pays. On pourra dire à l'avenir que l'événement aura été destructeur mais aussi créateur de compétences et de pratiques.
Cette audition publique, unique en son genre, a été un grand plaisir pour moi. Au nom de l'Office parlementaire, je vous remercie d'y avoir participé.
La séance est levée à 13 h 45.