Intervention de Michelle Meunier

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 28 mai 2019 à 14h45
Examen et adoption du rapport de la mission commune d'information

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteure :

La deuxième partie de notre rapport présente les mesures qui pourraient être mises en oeuvre dans les différentes structures qui accueillent des mineurs afin de mieux protéger les enfants et les adolescents contre le risque de violence sexuelle. Certes, le risque zéro n'existe pas, mais nous devons nous donner pour objectif de le réduire au minimum. Nos travaux nous ont permis d'identifier trois leviers sur lesquels il est possible d'agir.

Le premier consiste à vérifier les antécédents judiciaires des professionnels et des bénévoles pour éviter que des prédateurs sexuels soient placés au contact des mineurs ; il est possible de passer les recrutements au crible du casier judiciaire et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (FIJAISV) ; de procéder aux mêmes contrôles pour le personnel en place ; et d'organiser une information de l'employeur par l'autorité judiciaire si un de ses agents est condamné, comme le prévoit la loi dite de Villefontaine.

Le deuxième levier d'action concerne la formation, initiale et continue, des professionnels placés au contact des mineurs ainsi que celle du personnel d'encadrement : formation à la prévention, à la détection, au signalement et au traitement des violences sexuelles.

Enfin, il est indispensable que, dans chaque organisation, la direction et l'encadrement tiennent un discours clair et organisent des procédures de signalement et de remontées d'informations, afin que la libération de la parole l'emporte sur la peur du scandale.

Concernant la vérification des antécédents judiciaires, nous avons constaté que le contrôle du FIJAISV était loin d'être systématique. Créé en 2004, ce fichier contient l'identité et l'adresse du domicile des auteurs d'infractions sexuelles sur mineurs. Il contient davantage d'informations que le casier judiciaire puisqu'y figurent l'ensemble des condamnations, même non encore définitives, rendues à l'encontre d'un majeur comme d'un mineur, ainsi que certaines mises en examen.

Ce fichier gagnerait à être beaucoup plus utilisé. Sa consultation est obligatoire pour certains recrutements mais pas pour d'autres, sans que l'on discerne la logique d'ensemble : c'est une sédimentation historique qui explique ces différences de pratiques. Nous pensons également qu'il serait intéressant d'y faire figurer, sauf décision contraire de la juridiction, les mises en examen assorties d'un placement sous contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence sous surveillance électronique, ainsi que les condamnations pour consultation habituelle d'images pédopornographiques. Si la consommation de ces images constitue, chez certaines personnes, une forme de dérivatif qui leur évitera de passer à l'acte, elle constitue chez d'autres la première étape d'un parcours criminel. Nous pensons que, dans ce domaine, le principe de précaution doit l'emporter.

Nous nous sommes attachés au cours de nos travaux à évaluer les politiques de lutte contre les infractions sexuelles mises en oeuvre par les différentes institutions qui accueillent des mineurs.

L'Éducation nationale et les accueils collectifs de mineurs, c'est-à-dire les colonies de vacances, les camps de scouts et les centres aérés, procèdent à des contrôles approfondis sur les antécédents judiciaires de leur personnel, avec une consultation systématique du FIJAISV.

L'administration de la jeunesse et des sports a développé une téléprocédure automatisée qui facilite la consultation du FIJAISV par les employeurs, avant d'embaucher un salarié qui travaillera dans un accueil collectif de mineurs. D'autres organisations gagneraient à s'inspirer de cette téléprocédure afin de passer rapidement au crible du fichier les individus placés au contact des mineurs sans créer une charge de travail excessive pour nos administrations.

Nous avons perçu, tant à l'Éducation nationale que du côté des accueils collectifs de mineurs, une réelle attention portée au problème des violences sexuelles sur mineurs. Au sein de l'Éducation nationale, des mesures conservatoires sont mises en oeuvre en cas de doute sur un enseignant et le conseil de discipline se réunit sous la présidence du recteur d'académie. Des contacts réguliers sont noués avec l'autorité judicaire et des référents sont mis en place, pour être informé sans délai de toute affaire qui mettrait en cause un enseignant. De leur côté, les professionnels employés dans un accueil collectif de mineurs peuvent faire l'objet d'une mesure administrative de suspension prise en urgence en cas de signalement, même en l'absence d'ouverture d'une procédure pénale.

C'est sans doute du côté de la formation des enseignants que des marges de progression existent puisqu'ils ne sont pas tous sensibilisés à la détection des signes qui peuvent laisser présumer qu'un enfant est victime de violences sexuelles, ni à l'écoute de l'enfant victime. Or un enfant qui s'exprime et qui n'est pas entendu risque de ne plus prendre la parole par la suite. Dans les accueils collectifs, les animateurs titulaires du BAFA sont sensibilisés à cette question, tandis que le personnel de direction reçoit une formation plus approfondie.

Si l'on considère maintenant les services gérés par les collectivités territoriales, certains contrôles pourraient être significativement renforcés. Les maires, les présidents de conseil départementaux ou régionaux peuvent être destinataires des informations contenues dans le FIJAISV, via les préfectures, mais cette faculté est manifestement peu connue et rarement utilisée. Ainsi, les collectivités se contentent-elles habituellement de contrôler le bulletin n° 2 du casier judiciaire. C'est le cas pour la procédure d'agrément des assistantes maternelles, pour le recrutement des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) qui interviennent dans les écoles ou encore pour le recrutement des professeurs dans les conservatoires municipaux.

La généralisation de la consultation du FIJAISV nous semble devoir s'imposer : rien ne justifie qu'elle soit systématique pour un enseignant de l'Éducation nationale mais pas pour une assistante maternelle ou un enseignant d'une école de musique, de danse ou de théâtre.

S'il faut établir un ordre de priorité, nous recommandons d'opérer rapidement ces contrôles dans les établissements et services qui accueillent des mineurs handicapés. Le plus souvent, ces établissements contrôlent uniquement le bulletin n° 3 du casier judiciaire, qui contient beaucoup moins d'informations que le FIJAISV puisqu'il répertorie seulement les condamnations les plus graves, c'est-à-dire punies d'au moins deux ans de prison ferme. Et nous n'avons pas perçu de la part des trois grandes associations qui fédèrent les établissements et services pour handicapés, l'APF France Handicap, l'Unapei et l'Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), une réelle prise en compte du problème des violences sexuelles sur mineurs à hauteur de l'enjeu, alors que nous avons recueilli plusieurs témoignages, notamment celui du Dr Muriel Salmona, qui ont insisté sur la très grande vulnérabilité de ce public.

L'univers du sport est un autre secteur à risques, en raison de la proximité physique entre les entraîneurs et les jeunes sportifs, de la promiscuité des vestiaires ou des déplacements loin du domicile familial dus à la participation à des compétitions. Dans ce secteur, la rigueur des contrôles exercés sur les éducateurs sportifs professionnels contraste avec l'absence de vérification opérée sur les bénévoles. Il y a là une faille majeure dans le dispositif si nous voulons sécuriser l'accueil des jeunes qui exercent une activité physique et sportive. La Fédération française de football a pris conscience de cette lacune puisqu'elle a annoncé le lancement d'une expérimentation, en partenariat avec le ministère des sports, pour passer au crible du FIJAISV ses 400 000 bénévoles. Il s'agit là d'un premier pas dans la bonne direction avant une généralisation de ce contrôle.

J'ajoute que le sport de haut niveau, tout comme la pratique d'une activité artistique, peuvent favoriser la mise en place de mécanismes d'emprise : parfois, l'élève est persuadé qu'il doit continuer à travailler avec tel entraîneur ou tel professeur de musique parce qu'il favorisera sa réussite au prochain concours ou sa sélection pour la prochaine compétition. L'élève se trouve alors dans une situation de fragilité qui nécessite une vigilance particulière des instances de direction mais aussi de l'entourage de l'enfant ou de l'adolescent.

Nous avons consacré une part importante de nos travaux aux infractions sexuelles commises dans un contexte religieux, ce qui était légitime au regard du nombre d'affaires qui ont touché, notamment, l'Église catholique, y compris pendant les six mois d'activité de notre mission. Le nombre d'affaires couvertes par la hiérarchie catholique nous conduit à qualifier les violences sexuelles sur mineurs de problème systémique au sein de l'Église. Cela ne signifie pas, bien évidemment, que tous les religieux sont concernés, mais nous pensons que le problème dépasse de simples dérives individuelles et qu'il met en cause l'organisation et le fonctionnement de l'institution.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer que le problème des infractions sexuelles sur mineurs n'ait pas été plus rapidement traité au sein de l'Église. Celle-ci dispose de sa propre hiérarchie, de ses propres tribunaux et de sa propre législation, le droit canon, ce qui a pu accentuer la tendance que l'on observe dans toutes les grandes organisations à gérer en interne les affaires d'agressions sur mineurs ; certains catholiques, surtout dans les milieux traditionnalistes, perçoivent l'Église comme une institution assiégée, en bute à l'hostilité du monde moderne, ce qui n'a pas favorisé la transparence sur ces affaires ; le poids de la figure du prêtre dans les communautés catholiques, l'absence de contre-pouvoirs face à la hiérarchie de l'Église et la peur du qu'en-dira-t-on n'ont pas favorisé la libération de la parole des victimes ; plusieurs de nos interlocuteurs ont également pointé la confusion entre le pardon et le travail de l'autorité judiciaire ; sans doute l'Église a-t-elle également sous-estimé, comme d'autres institutions, l'impact dévastateur à long terme de l'agression sexuelle subie par une jeune victime.

La règle du célibat des prêtres et le manque de mixité ont pu également être mis en cause. Toutefois, le fait que la grande majorité des abus sexuels se déroulent dans le cadre familial et soient le fait d'hommes mariés montre que la réalité est plus complexe. En vérité, toute situation d'emprise crée un contexte qui peut donner lieu à des abus et il ne fait pas de doute que certains prêtres peuvent exercer un réel ascendant sur les jeunes qu'ils encadrent.

Une question mérite cependant d'être posée : est-il possible que la carrière ecclésiastique soit choisie par des individus éprouvant une attirance pour les enfants parce que le voeu de célibat leur offrirait une forme de respectabilité et de protection face aux interrogations de leur entourage ? Peut-être la commission Sauvé réunira-t-elle des données statistiques de nature à apporter un éclairage sur cette question difficile.

Depuis plusieurs années, l'Église de France a adopté une série de mesures qui vont dans le bon sens : création de cellules pour l'écoute des victimes, signalements systématiques à l'autorité judiciaire, effort de formation auprès des séminaristes et des membres du clergé, volonté de transparence avec la commission Sauvé, réflexion sur une réparation accordée aux victimes.

Au mois de février, le pape François a convoqué à Rome les présidents des conférences épiscopales pour un sommet sur la protection de l'enfance qui a débouché sur l'adoption de deux séries de mesures : d'abord, un décret sur la prévention et la lutte contre les violences sur les mineurs et les personnes vulnérables au sein de la Cité du Vatican ; puis le 9 mai dernier le motu proprio Vos Estis Lux Mundi (« Vous êtes la lumière du monde »), qui oblige les prêtres et les religieux à signaler tout soupçon d'agression sexuelle ou de harcèlement ainsi que toute couverture de tels faits par la hiérarchie de l'Église.

Il faut reconnaître que ces mesures prises par l'Église de France et par l'Église universelle forment un ensemble complet et cohérent, même si l'on ne peut que regretter qu'elles aient été adoptées si tardivement. Tout l'enjeu est maintenant de les mettre en oeuvre sur le terrain, comme les associations de victimes nous l'ont à chaque fois rappelé.

En ce qui nous concerne, nous serons particulièrement vigilantes - et vigilants - quant aux efforts entrepris pour la formation des ministres du culte - cette recommandation vaut d'ailleurs pour l'ensemble des grandes religions -, ainsi que pour l'écoute et la reconnaissance des victimes et le signalement des affaires à la justice, les exigences du droit national devant naturellement l'emporter sur les règles internes à l'Église.

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