Intervention de Dominique Vérien

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 28 mai 2019 à 14h45
Examen et adoption du rapport de la mission commune d'information

Photo de Dominique VérienDominique Vérien, rapporteure :

J'évoquerai les orientations retenues concernant, d'une part, la prise en charge des victimes, d'autre part, la prévention du passage à l'acte et le traitement des auteurs afin d'éviter le risque de récidive.

Nous avons souhaité consacrer une partie du rapport à l'accompagnement des victimes, car lorsque la prévention a échoué, la société a le devoir d'accompagner la victime dans sa reconstruction et son parcours de résilience.

Nous réaffirmons d'abord les positions prises l'année dernière par Marie Mercier sur l'utilité des dispositifs aidant à la reconstruction des victimes, indépendamment du procès pénal. C'est le cas de la justice restaurative, qui fournit un cadre où la victime est reconnue, peut exprimer sa souffrance et en retirer un apaisement. Nous rappelons aussi les possibilités d'action en réparation civile qui peuvent permettre à la victime de recevoir une indemnisation pour le préjudice qu'elle a subi.

Mais la reconstruction de la victime passe avant tout par une prise en charge thérapeutique, qu'elle soit médicale ou psychologique, afin de prévenir le développement de troubles, voire de pathologies, conséquences à long terme des violences subies.

Cette prise en charge s'organise dans le cadre plus général de la psychiatrie des mineurs, qui dépasse le champ de notre mission. Nous avons cependant tenu à rappeler la situation critique de la psychiatrie des mineurs, qui ne permet pas d'offrir une réponse satisfaisante à toutes les victimes. Les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles sont très sollicités : le nombre de patients a augmenté de 14 % en dix ans, sans que les moyens suivent.

Depuis la loi du 17 juin 1998, la prise en charge médicale des mineurs victimes de violences sexuelles est intégralement remboursée par l'assurance maladie, mais ce dispositif est trop peu connu. Nous proposons donc qu'un important effort de communication soit conduit par les professionnels pour informer les victimes de leurs droits.

Nous avons également constaté, au gré de nos auditions, qu'une prise en charge exclusivement médicale des victimes n'était pas toujours la solution la plus adaptée. Nous proposons donc que la prise en charge intégrale des soins soit étendue aux consultations psychologiques. Cette extension du panier de soins permettra aussi de compenser, d'une certaine manière, la pénurie de psychiatres.

Dans ce contexte sinistré, il convient cependant de saluer l'ouverture, en début d'année de dix centres dédiés aux victimes de psychotraumatismes. Ils ont vocation à proposer aux victimes une approche globale par des consultations, des psychothérapies individuelles ou de groupe et des actions d'éducation thérapeutique. Il est trop tôt pour juger de l'apport de ces centres, qui feront l'objet d'une évaluation dans un délai de trois ans. On ne peut cependant que regretter leur nombre limité et leur répartition territoriale : les régions Bretagne, Normandie et Pays de la Loire ne disposent ainsi d'aucun centre de prise en charge du psychotraumatisme. Il nous paraît souhaitable qu'à terme, une centaine de centres dédiés aux psychotraumatismes soit créée, afin d'assurer une couverture territoriale plus équilibrée.

S'agissant maintenant de la prise en charge des auteurs, je rappelle que des dispositifs spécifiques encadrent le suivi des auteurs d'infractions sexuelles, que ce soit en prison ou en milieu ouvert.

En milieu carcéral, la prise en charge des auteurs est fondée sur le principe de l'incitation aux soins. Les détenus qui acceptent de suivre les soins qui leur sont proposés, ce qui est le plus souvent le cas, bénéficient d'une prise en charge spécifique, qui peut être réalisée au sein de l'un des vingt-deux établissements pénitentiaires spécialisés dans l'accueil de ces condamnés. Ces établissements spécialisés disposent d'équipes soignantes renforcées et du concours d'équipes mobiles. Toutefois, la totalité des auteurs d'infractions sexuelles n'est pas incarcérée dans ces établissements spécialisés, compte tenu des autres critères qui président au choix du lieu de détention, notamment l'objectif de maintien des liens familiaux. Ceux qui sont détenus dans les établissements pénitentiaires non spécialisés sont pris en charge dans le cadre plus général de l'offre de soins en milieu carcéral. Des thérapies de groupes spécifiques aux violences sexuelles peuvent notamment leur être proposées.

L'efficacité de la prise en charge thérapeutique des détenus reste cependant limitée, principalement pour deux raisons. La première est que la majorité des auteurs se plie aux traitements dans une posture passive et utilitaire, notamment pour bénéficier d'un aménagement de peine. La seconde raison est liée à la discontinuité de la prise en charge, due aux transfèrements des détenus et à l'inégale disponibilité des professionnels de santé selon les territoires. Rappelons que les établissements pénitentiaires sont souvent localisés dans des zones rurales, ce qui complique leur accessibilité pour les intervenants extérieurs. Dans l'Yonne, par exemple, un prisonnier doit attendre dix-huit mois avant toute prise en charge médicale.

Cette situation fragilise aussi la préparation de la sortie de prison : la situation géographique des établissements pénitentiaires complique les possibilités d'insertion professionnelle ; l'installation du condamné dans un autre ressort de juridiction à sa sortie peut rompre la continuité de la prise en charge par les professionnels de santé et de la justice.

Il est donc essentiel de renforcer la continuité de la prise en charge sanitaire des condamnés lors de leur sortie de détention, en assurant une meilleure coordination entre les intervenants en milieu carcéral et ceux qui sont chargés du suivi du condamné en milieu ouvert. Pour autant, il n'est pas nécessaire qu'ils restent dans le département où est implanté l'établissement pénitentiaire dans lequel ils étaient incarcérés.

En milieu ouvert, les auteurs peuvent être condamnés à un suivi socio-judiciaire, qui impose au condamné de respecter des mesures d'assistance et de surveillance. Parmi ces mesures, figure l'injonction de soins, qui fait intervenir le juge de l'application des peines, un médecin coordonnateur et un médecin traitant.

La pénurie de psychiatres, que je viens d'évoquer, fragilise toutefois la prise en charge. Il faut saluer à cet égard le travail précieux réalisé par les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), présents dans chaque région, qui apportent un appui aux professionnels de santé, aux professionnels de la justice et aux travailleurs sociaux et qui mènent des actions de recherche et de formation.

Les juridictions ont tendance à ordonner systématiquement une injonction de soins dans le cadre du suivi socio-judiciaire. Pourtant, selon le profil de l'auteur, la prise en charge médicale n'est pas toujours la plus adaptée. De plus, s'il peut être mis fin de manière anticipée à l'injonction de soins, lorsqu'elle n'apparait plus nécessaire, cette faculté est en pratique très peu utilisée. Nous proposons donc de recentrer l'injonction de soins sur le public pour lequel des soins sont réellement appropriés et de ne pas hésiter à dissocier la durée du suivi socio-judiciaire de celle de l'injonction de soins.

S'il existe, comme nous venons de le voir, des dispositifs pour prévenir la récidive, la prévention du premier passage à l'acte est moins bien organisée. Elle est pourtant essentielle pour accompagner les personnes attirées sexuellement par les enfants et réduire le nombre de victimes.

Deux associations, que nous avons rencontrées, mènent des actions de prévention. L'association Une Vie, qui porte le projet PedoHelp, diffuse sur son site internet des messages de prévention en direction des personnes pédophiles, à qui elle propose de signer une « charte de non-passage à l'acte », afin qu'elles s'engagent symboliquement dans cette démarche. L'association l'Ange bleu propose quant à elle une permanence d'écoute et organise des groupes de paroles réunissant pédophiles et victimes, pour les aider à prendre conscience de la gravité des violences et des troubles ressentis par les uns et par les autres. Ces associations manquent toutefois de moyens et leurs actions, bien qu'utiles, ne peuvent pas à elles seules assurer une prévention satisfaisante sur l'ensemble du territoire.

C'est pourquoi nous proposons la création d'un dispositif d'écoute et d'accompagnement des personnes attirées sexuellement par les mineurs. Une douzaine de CRIAVS ont déjà mis en place un « réseau écoute et orientation » pour assurer l'écoute de ces personnes et les orienter vers des dispositifs de prise en charge. Nous proposons d'aller plus loin, en créant un dispositif inspiré du modèle allemand du Dunkelfeld. À l'origine, le Dunkelfeld, que l'on pourrait traduire par « zone d'ombre », est un service de l'hôpital de la Charité à Berlin. Il a depuis essaimé en une dizaine de centres qui proposent une écoute des personnes pédophiles, un diagnostic et un accompagnement thérapeutique visant à faire évoluer durablement leurs comportements pour éviter le passage à l'acte.

Sur ce modèle, nous proposons donc la création d'un dispositif national offrant, d'une part, une permanence d'écoute pour apporter une aide immédiate aux personnes, d'autre part, une prise en charge thérapeutique, encadrée par des professionnels spécialement formés. Un premier centre d'écoute et d'accompagnement, à dimension nationale, pourrait être ouvert, avant d'envisager, à moyen terme, l'ouverture d'autres structures sur le territoire.

Demandé par les CRIAVS et par plusieurs associations, le renforcement de la prévention du passage à l'acte est déterminant pour compléter nos dispositifs de lutte contre les agressions sexuelles et réduire ainsi le nombre de mineurs victimes.

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