Intervention de André Reichardt

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 mai 2019 à 8h30
Proposition de loi relative à l'accès effectif et direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de André ReichardtAndré Reichardt, rapporteur :

La commande publique constitue une part significative de l'activité économique nationale. En 2014, elle représentait 200 milliards d'euros de montants cumulés, soit 10 % du produit intérieur brut. Paradoxalement, la part des petites et moyennes entreprises (PME) y reste marginale, alors que celles-ci étaient au nombre de 3,8 millions en 2015, soit 99,9 % des entreprises, représentaient 48 % de l'emploi salarié et réalisaient 43 % de la valeur ajoutée. Cette dissymétrie s'explique par plusieurs antagonismes. D'une part, la fragilité de la trésorerie des PME s'accommode mal de la règle du paiement après service fait et des délais de paiement pratiqués par les acheteurs publics. D'autre part, les PME ne disposent pas des moyens humains adéquats en réponse à la complexité du droit applicable et des procédures.

Face à ce constat, des mesures ont été prises. À l'initiative de notre commission, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », a fait de l'allotissement des marchés publics un principe - l'acheteur qui n'allotit pas doit le justifier en droit et en fait - et a interdit les offres variables, afin que les PME puissent se battre à armes égales avec les entreprises de taille intermédiaire ou les grandes entreprises. Les avances qui leur sont versées dans le cadre des marchés passés par l'État ont été augmentées, passant de 5 % à 20 %, et les retenues de garanties diminuées pour préserver leur trésorerie. En outre, l'accès au droit a été favorisé avec la création récente du code de la commande publique et l'édition de nombreux guides pratiques. Les procédures de candidature ont aussi été facilitées par la généralisation de la dématérialisation depuis le 1er octobre 2018.

La présente proposition de loi entend se placer dans la continuité de la démarche de renforcement de la place des PME dans la commande publique. L'intention de ses auteurs ne peut qu'être approuvée, tant les PME peinent encore à trouver la place qui leur revient dans l'achat public, malgré les dispositions susmentionnées. Toutefois, les choix retenus ne paraissent pas de nature à apporter des améliorations effectives. Certaines des dispositions du texte créent des effets collatéraux défavorables pour les petits acheteurs publics sans toutefois améliorer réellement l'accès des PME aux marchés publics.

Ainsi, l'article 1er et la seconde partie de l'article 2 de la proposition de loi, relatifs à l'obligation d'allotir, introduisent des dispositifs sans réelle portée normative. Les PME ne disposent pas de personnels exclusivement consacrés à suivre les évolutions du droit. Dans leur intérêt, le législateur doit donc s'efforcer de n'apporter que des modifications strictement et évidemment nécessaires, ce qui n'est manifestement pas le cas ici.

La première partie de l'article 2 de la proposition de loi précise que, pour ne pas être obligé d'allotir un marché, un acheteur doit non seulement ne pas pouvoir coordonner l'allotissement lui-même, mais également ne pas pouvoir le faire coordonner par un tiers. Le droit en vigueur atteint un point d'équilibre satisfaisant pour l'acheteur comme pour les PME qui souhaiteraient soumissionner. Depuis la modification opérée par la loi « Sapin 2 », l'allotissement a été érigé en principe, mais une soupape de sécurité a été conservée pour les acheteurs ne pouvant assurer eux-mêmes les missions d'organisation, de pilotage et de coordination (OPC). Les dispositions proposées auraient pour conséquence de supprimer cette soupape, alors qu'un acheteur peut toujours confier la coordination d'un marché à un tiers s'il n'est pas capable de l'opérer lui-même, dès lors qu'il le rémunère. Cette mesure n'est donc pas satisfaisante : elle pénaliserait les petits acheteurs qui peuvent actuellement recourir à des marchés globaux lorsqu'ils ne sont pas en mesure de coordonner des marchés allotis. Il s'agit majoritairement de collectivités territoriales dont les marchés bénéficient souvent aux PME.

L'article 3 encadre les cas dans lesquels une entreprise titulaire d'un marché peut changer de sous-traitant en cours d'exécution. L'objectif est louable, mais la mesure inopérante. En premier lieu, la rédaction proposée ferait obstacle à un changement de sous-traitant en l'absence de toute défaillance, malgré l'éventuel accord de l'acheteur, de l'entreprise titulaire et du sous-traitant. En second lieu, ce mécanisme serait facilement contournable par l'entreprise titulaire, puisqu'il lui suffirait de ne pas présenter ses sous-traitants au stade de la candidature. Cette disposition pourrait s'avérer défavorable aux PME en décourageant les grandes entreprises de leur confier des contrats de sous-traitance.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi prévoit qu'il soit tenu compte de la couverture numérique pour la mise en oeuvre de la dématérialisation des échanges. Ce souhait semble satisfait par la possibilité déjà accordée aux entreprises de faire parvenir une copie de sauvegarde de leur candidature à l'acheteur afin, notamment, de se prémunir des défaillances ou des insuffisances de réseau Internet. De plus, le plan du Gouvernement en matière de couverture numérique des territoires lancé à Cahors en décembre 2017 devrait conduire à la généralisation d'une couverture mobile de qualité dès l'année prochaine et du très haut débit pour tous en 2022.

Pour l'ensemble de ces raisons, et malgré mon intérêt pour le thème qu'elle aborde, je suis contraint de donner un avis défavorable à l'adoption de cette proposition de loi. Il me semblerait, en revanche, opportun qu'au sein de notre commission un groupe de travail réfléchisse aux moyens d'améliorer l'accès effectif des PME à la commande publique. Leurs représentants ont rappelé, lors des auditions, combien les délais de soumissionnement et de paiement par les acheteurs publics, ainsi que le montant des avances, méritaient d'être améliorés malgré les efforts déjà réalisés.

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