Intervention de Jean-Raphaël Alventosa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 mai 2019 à 8h30
Audition de M. Jean-Raphaël Alventosa médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques

Jean-Raphaël Alventosa, médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques :

Je vous remercie de m'entendre sur la mission de médiation qui m'a été confiée le 4 août 2018 par le Président de la République. Je vous présenterai également quelques éléments de réflexion, alors que j'entame, avec les trente-quatre listes des élections européennes et plusieurs banques, une concertation qui me conduira à vous présenter un rapport à la fin du mois de septembre, conformément aux termes de la loi.

Depuis ma nomination, j'ai engagé diverses actions auprès des acteurs concernés : les responsables financiers des principaux partis politiques, les présidents ou directeurs des affaires publiques de six grands groupes bancaires, la Fédération bancaire française, la Banque de France, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, l'Autorité des normes comptables, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Tracfin et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Je dois également répondre à de nombreuses sollicitations des médias.

Mon principal constat est que les partis politiques et les banques se connaissent bien, mais se rencontrent rarement.

Ma prise de contact avec les partis, à tout le moins ceux éligibles à l'aide publique, a été facile et directe, principalement grâce au suivi ancien du ministère de l'intérieur et aux fichiers de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Dès le début de la campagne pour les élections européennes, j'ai pu échanger avec douze partis. La relation avec quelques formations émergentes s'est faite naturellement avec la médiatisation progressive de mon activité et les renvois auxquels procède la CNCCFP ou la Banque de France.

Trois griefs récurrents sont faits par les partis politiques aux établissements bancaires : l'absence de formalisation et de motivation des refus que les banques opposent aux demandes d'ouverture de compte ou de prêt bancaire ; la difficulté à comprendre les circuits de décision des banques, organisées selon des principes différents, alors que la durée des campagnes est désormais réduite ; enfin, la multiplication des garanties demandées aux partis et aux candidats. J'ai pu toutefois constater, de manière quelquefois surprenante, un certain amateurisme des demandes adressées aux banques : les dossiers sont parfois incomplets et donc rejetés.

Le lien avec les banques a été plus complexe à tisser. Pour des raisons liées, sans doute, à des questions d'organisation, de procédures, de calendrier, de sensibilité du dossier, les banques n'apparaissent pas vraiment demanderesses.

Trois difficultés existent pour les banques : les procédures internes d'analyse sont rigoureuses, en particulier avec l'intervention des services de contrôle du risque et de la conformité ; le principe de subsidiarité est systématiquement utilisé et ne facilite pas le repérage des personnels décisionnaires, notamment en cas de recours ou de contestation ; enfin, toutes les banques n'abordent pas le secteur de la politique dans les mêmes dispositions.

Pour autant, entre les mutuelles, les coopératives, les banques populaires, les caisses d'épargne et agricoles, plus des deux tiers du système bancaire acceptent de financer les candidats et les partis : le « mur des banques » n'existe donc pas. La Société générale et La Banque Postale se démarquent cependant par une réticence plus grande à travailler avec les partis, pour des raisons historiques ou systémiques, ce qui a pour effet d'alourdir les sollicitations auxquelles font face les autres établissements.

Une difficulté non négligeable de ma mission a consisté à convaincre mes interlocuteurs que je pouvais agir sans disposer de pouvoirs de coercition : le médiateur n'est pas un « Médiator » ; il ne peut ordonner à une banque de prêter, ni obliger un parti à lancer un plan social pour améliorer son bilan comptable ou réduire ses dépenses.

Les partis éligibles à l'aide publique sont invités chaque mois à la médiation, dans le cadre de réunions d'information générale. Des contacts ou des échanges approfondis ont eu lieu avec six à sept d'entre eux à l'occasion des élections européennes. Des rencontres plus circonscrites sont également organisées avec les partis demandeurs ou sollicités.

Dans ce cadre, j'ai diffusé aux formations politiques des fiches techniques et de procédure, notamment un dossier indicatif de demande de prêt, élaboré après consultation de la Fédération bancaire française. J'ai également indiqué, lorsque je le pouvais, les « bonnes adresses » à saisir afin d'améliorer les échanges avec les banques. J'ai enfin expliqué les conditions de recevabilité des dossiers bancaires. Il existe une demi-douzaine de conditions à remplir : le respect des formes, le seuil des sondages, le risque de crédit, le risque d'annulation du compte, les efforts de gestion du parti sur son bilan et son patrimoine, le risque de non-conformité et les problèmes de réputation, d'image, de notoriété - le capital social du parti en quelque sorte. Ces conditions d'analyse jouent de manière différenciée selon les listes ou les partis, bien entendu.

La médiation a obtenu des banques, avec des variations dans le degré d'enthousiasme, l'identification des acteurs pertinents pouvant être saisis utilement par la clientèle politique et par le médiateur. Les banques rechignent cependant à une diffusion large de cette information aux partis, parce qu'elles redoutent une centralisation des demandes et une remontée des dossiers à des niveaux de décision inadéquats. Il serait pourtant insoluble que le médiateur soit le seul recours hiérarchique pour tous les refus de 35 000 agences bancaires...

La médiation a saisi, par plusieurs courriers, chaque groupe bancaire pour s'étonner de la qualité moyenne de la réception de certains candidats aux élections et pour s'interroger sur une organisation trop peu transparente et opérationnelle pour une clientèle sensible et pressée.

Une seule médiation officielle a été menée, concernant le Rassemblement national. Pour les autres grands partis, les médiations ont été informelles mais immédiates, car les mandataires et les trésoriers sont entrés rapidement en négociation avec les banquiers ; je n'ai eu qu'à veiller au déroulement des échanges.

Les échanges avec le Rassemblement national sont fréquents et constructifs, même si ce parti n'a pas obtenu gain de cause. La médiation l'a invité à présenter un dossier en bonne et due forme et a installé un dialogue soutenu avec toutes les banques saisies par le parti soit au titre de sa demande initiale, soit au titre des saisines sur ma recommandation.

Le Rassemblement national souffre de ne pas « cocher » toutes les cases de la recevabilité, alors même que ses sondages sont excellents et qu'il dispose, a priori, de garanties : les critères de conformité, de santé financière du mouvement et, même s'ils ne sont pas explicites, de notoriété, d'image ou de réputation lui nuisent encore. Cela pourrait changer dans les prochaines années.

En matière de financement de la vie politique, les résultats ne sont pas excellents, mais ils ne sont pas mauvais. Pour l'ouverture de comptes bancaires, le bilan est tout à fait acceptable. Deux partis, Debout la France et Europe Écologie-Les Verts, ont fait état de difficultés, qui restent encore à vérifier ; la liste de M. Asselineau peut-être également. Mais il faut bien distinguer le traitement médiatique de la réalité des dossiers, dont l'examen prend du temps. L'inégal traitement dans les médias, redouté par les banques, ne facilite pas une approche sereine.

Le médiateur et la Banque de France ont eu à connaître sept demandes d'ouverture de compte, dont trois seulement étaient faites dans le cadre des élections européennes : Allons Enfants, Alliance Jaune et Évolution citoyenne. Les autres demandes ont été abandonnées rapidement. Quand ils ont été connus, les problèmes ont été réglés immédiatement, souvent en 24 heures.

Pour les élections municipales, il faudra que les candidats puissent accéder rapidement au médiateur et à la Banque de France. Il ne devrait pas y avoir de difficulté majeure pour l'ouverture des comptes.

Pour les crédits, le bilan est un peu plus contrasté. Plusieurs formations politiques ont fait état, le plus souvent devant les médias, de difficultés à obtenir un financement bancaire, mais très peu ont saisi finalement le médiateur, compte tenu de leur dossier réel.

Un seul parti, le Rassemblement national, l'a véritablement fait ; il a servi de « cas d'école » pour vérifier les critères de recevabilité sur le marché bancaire.

J'ai échangé avec toutes les banques concernées par les situations dont j'ai été informé. Certaines se sont résolues, soit que le parti ait obtenu gain de cause - tel est le cas pour le Parti socialiste et Les Républicains - soit que sa demande de crédit ait été acceptée, de manière plus ou moins importante - à l'exemple d'Europe écologie-Les Verts et La France insoumise.

Plusieurs partis ont renoncé à un soutien bancaire, soit qu'ils aient été suffisamment dotés, comme La République en marche, soit que les sondages aient été faibles - Génération.s, le Parti communiste français, l'Union des démocrates et indépendants, Les Patriotes, etc.

Assez logiquement, comme par le passé, et à mon invitation, plusieurs mouvements - dont le Rassemblement national et la France insoumise - se sont lancés dans des campagnes d'appel aux dons, et ont utilisé la possibilité offerte par le législateur de contracter des emprunts militants auprès des particuliers, qui s'est révélé fructueuse - les collectes ont parfois permis de dépasser le besoin de financement initial.

Selon mon premier diagnostic, la situation ne semble pas pathologique, mais elle est facilement médiatisée. Je cherche ce que pourrait être mon diagnostic pour fin septembre, en tenant compte de la sensibilité et de la complexité du dossier. Ce diagnostic pourrait être double : sur le plan technique, il n'y a pas à regretter la banque de la démocratie, car il n'y a pas eu de défaillance sensible, ni avérée, du secteur bancaire. Pourtant, au niveau politique, une majorité de partis et de banques réclament un guichet public.

Techniquement, la banque de la démocratie, unique souci de certains candidats et de certains médias, ne semble pas s'imposer ; le problème du financement des candidatures ne paraît pas suffisamment grave pour envisager le montage d'un dispositif « exceptionnel », compliqué, public et sans doute coûteux.

Différents calculs seront présentés pour évaluer le taux d'échec ou le taux de réussite des demandes de crédits - par rapport au nombre de listes, par rapport aux listes ayant obtenu au moins 6 % des suffrages, au nombre de partis siégeant au Parlement... Il serait arithmétiquement absurde de mettre dans le même panier un parti à plus de 20 % des voix et des listes sans audience réelle.

Cependant, les partis souhaitent se débarrasser de la confrontation avec les banques et inversement, pour des raisons assez évidentes : il s'agit de la complexité des procédures bancaires sur les personnes politiquement exposées d'un côté, et de la fragilité de certains partis politiques au regard de sondages ou d'affaires judiciaires de l'autre.

Le rapport de la médiation rappellera que même une banque de la démocratie ne pourrait pas ignorer les lois et règlements et les directives européennes, applicables au risque de crédit et au risque de non-conformité. Par ailleurs, les conditions de distribution des crédits entre les partis seraient également fort délicates à établir.

Il n'est pas non plus nécessaire d'imposer aux banques une obligation légale de prêter, comme le suggère la récente proposition de loi d'un de vos collègues : il n'y a pas de droit au crédit, car les banques ne disposent pas des dépôts de leurs clients sans conditions.

Que faire pour les élections municipales de 2020 ? La campagne, qui démarrera dès la rentrée, pourrait être plus compliquée avec de très nombreux acteurs, bien plus amateurs que lors des européennes.

En 2014, 21 000 listes, représentant près d'un million de candidatures, ont été présentées dans les 10 000 communes de plus de 1 000 habitants, et ce chiffre pourrait augmenter avec les listes « émergentes ». Si 20 % de ces listes recourent à un emprunt, en extrapolant des chiffres anciens corroborés par les élections européennes, soit 4 200, et que 30 % d'entre elles restent sans crédit bancaire - autre extrapolation -, 1 260 listes pourraient saisir le médiateur...

Après les élections européennes, il me semble possible d'améliorer les procédures de financement des partis et des élections. Plusieurs mesures sont envisageables. Le législateur pourrait d'abord réviser la prime majoritaire des partis victorieux aux élections ; ces deux dernières années, trois partis sont devenus alternativement riches et pauvres selon le cycle électoral. Actuellement, La République en Marche reçoit vingt millions d'euros par an, le Rassemblement national cinq millions d'euros. Les partis devenus pauvres ont alors du mal à donner des garanties suffisantes aux banques. Ce système, judicieux il y a quelques années, devrait être amendé pour plus de pondération.

Autre solution, le financement participatif est très à la mode, mais il nécessite, pour les partis, un mandataire financier pouvant encaisser ces recettes. Vous pourriez peut être assouplir cette législation - mais peut-être pas avant les élections municipales. Ces emprunts militants ont très bien fonctionné lors des élections européennes.

En plus d'un droit au compte bancaire, stricto sensu, qui doit être accompagné d'une autorisation pour obtenir une carte bancaire, il faudrait établir un droit au chéquier. Certains banquiers avancent la prochaine disparition des chéquiers et des cartes bancaires pour le refuser, mais avoir copié ce dispositif sur le droit au compte pour les particuliers les plus fragiles n'est pas bon. Allons plus loin pour les candidats et les partis politiques.

Je m'interroge, personnellement, sur la mutualisation - ou syndication - des prêts entre banques. Si plusieurs banques prêtent, on pourrait créer rapidement un prélèvement minimum abondant un fonds de garantie, lui-même pouvant être soutenu par l'État.

En outre, il faudrait informer au plus tôt les candidats concernant la médiation ; je suis souvent le dernier saisi, alors que tout existe : un guide rédigé par le ministère de l'intérieur, des informations de la CNCCFP et des informations de la part des banques. Malheureusement, il n'existe aucun enregistrement des souhaits de candidature avant le dépôt en préfecture.

Il n'y aurait que des avantages à ce que le monde bancaire diffuse de manière plus transparente sa politique de crédit aux candidats et partis politiques, organise les réseaux en établissant des priorités et hiérarchise en interne les recours. Certes, il y a des appétences différentes au risque, mais c'est un problème de management et de communication.

Il faudrait que les banques diffusent plus simplement, auprès des « béotiens », les conditions nécessaires pour obtenir un crédit. Les réseaux devraient également s'organiser en établissant des priorités, selon qu'il s'agit de listes de candidats d'une grande ou d'une petite commune : pourquoi perdre son temps à se rendre à l'agence de quartier, alors que les responsabilités sont prises à un autre niveau hiérarchique ? Il faudrait hiérarchiser les recours : le médiateur ne peut être le recours des 35 000 agences bancaires, sauf à être considéré comme la banque de la démocratie. Un premier recours hiérarchique devrait être organisé en interne, à un échelon supérieur. Si le dossier n'est pas recevable, le médiateur pourrait appeler un référent régional, unique décisionnaire commercial du réseau afin de mieux organiser les échanges.

Les échanges vont se poursuivre pendant l'été avec tous les acteurs concernés pour tenter d'asseoir un diagnostic, si possible consensuel.

J'ai exercé cette mission de médiation de manière totalement indépendante, dans des conditions assez lourdes et intenses, et avec peu de moyens. Il est difficile de calibrer les besoins, compte tenu du caractère novateur de la mission, et virtuel de nombreuses candidatures. Je dois vous rendre un rapport pour fin septembre, ainsi qu'aux ministres compétents. J'espère pouvoir vous confirmer alors que la création du médiateur n'a pas été inutile pour mieux comprendre et tenter de rapprocher les problématiques des uns et des autres, dans un domaine qui a déjà fait l'objet de nombreuses réflexions portées par au moins huit lois depuis 1988.

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