J'ai passé vingt ans de ma vie chez Canal Plus, je suis aujourd'hui chez TF1. Je n'ai commenté qu'une seule Coupe du monde chez TF1, ce qui représente quatre semaines dans mon parcours. Je suis arrivée au service des sports de Canal Plus en 1997. Il y avait alors six chaînes. Une femme, avant moi, avait eu « l'audace », dirais-je, de se mêler d'affaires du football. Cela ne s'était pas très bien passé. J'ai une pensée pour elle aujourd'hui, car elle nous a quittés. C'était une personne que j'appréciais au plus haut point. Je dis souvent qu'elle a beaucoup essuyé les plâtres pour nous.
J'ai rejoint Canal Plus à une époque un peu particulière pour la chaîne, où tout était permis, surtout le pire. Je crois que mes patrons ont voulu être prudents, voyant à quel point l'expérience que je viens d'évoquer s'était mal passée, du point de vue humain et médiatique. Mais j'ai réussi à faire respecter mon territoire. J'ai eu une chance formidable : j'ai été accueillie par des journalistes au sein d'une rédaction, en tant que journaliste. C'est la clé de tout. Il n'y a pas de football féminin, de même qu'il n'y a pas de journalisme féminin. Il n'y a pas de journalistes sportives ou sportifs mais seulement des journalistes- sauf s'ils font du sport par ailleurs, ce qui les regarde.
Nous pouvons avoir des spécialités mais ce n'est pas ce qui nous constitue ni ce qui nous définit. Ma crainte était plutôt liée au monde extérieur à la rédaction : comment les joueurs, les entraineurs, etc., allaient-ils m'accueillir (d'autant plus que je n'avais alors que 25 ans) ? J'avais aussi le sentiment de représenter quelque chose de non identifié dans un système extrêmement bien verrouillé, où régnait la testostérone. Paradoxalement, les joueurs, les entraîneurs, les clubs, ont été absolument formidables. Je faisais mon travail et ils faisaient le leur. En général, quand on se comporte ainsi, cela fonctionne plutôt bien.
Dans la rédaction, c'était différent, car certains considéraient que je « prenais la place » d'un homme. Ils ont mis un temps fou à comprendre que je ne voulais pas leur place, mais que je voulais ma place. Je milite pour que les femmes aient leur place, ce qui ne veut pas dire qu'elles prennent la place des hommes. C'est une différence sémantique qui n'est pas neutre. Je suis restée dix-neuf ans chez Canal Plus : si cela avait été une souffrance, je serais partie faire autre chose ! Lorsqu'on m'a rappelée à la télévision, on m'a rappelée pour le football. C'était l'année dernière, à TF1, pour la Coupe du monde que nous avons vécue tous ensemble.
Mon expérience n'a donc pas été particulièrement compliquée. C'est la place qu'occupent les femmes à la télévision qui est compliquée aujourd'hui, car elles sont désormais nombreuses. La question porte sur la place où elles sont assises : elles sont rarement cheffes de table, rarement rédactrices en chef ou directrices de rédaction. D'ailleurs, vous avez auditionné un certain nombre de patrons ou anciens patrons de rédactions. Ce sont tous des hommes. Nous, les femmes, sommes souvent à côté des hommes. Il peut arriver que nous appréciions cette position. Mais souvent, nous méritons d'être en tête de table et de piloter seules des émissions.
J'ai mis dix ans à avoir mon émission à Canal Plus. Je suis arrivée en 1995 à Canal Plus et en 1997 au service des sports. Je suis revenue au service des sports après en être partie pour faire de « l'information générale ». C'est en 2008 que j'ai dirigé une émission seule. Ça s'appelait L'équipe du dimanche, émission que je regrette beaucoup en tant que téléspectatrice et amatrice de football européen. Durant ces dix ans, je me suis constituée, nourrie, construite. J'ai acquis de l'expérience. On ne peut pas jeter « dans le grand bain » des journalistes, hommes ou femmes, trop tôt. Aujourd'hui, très vite, de jeunes journalistes dirigent des émissions, sans nécessairement avoir l'expérience requise. Le direct, c'est compliqué, et le sport est sans doute ce qu'il y a de plus difficile à commenter. C'est comme entrer sur une scène de théâtre et ne connaître que sa première réplique, sans avoir la moindre idée de ce qui va se passer. Vous devez vous habituer, vous adapter, observer, anticiper, accompagner les émotions, le tout de manière extrêmement intuitive, en ayant parfaitement travaillé le fond, car vous ne savez pas à quel moment vous aurez besoin de telle information, de telle ou telle référence, etc.
Cela n'a pas été facile, mais ce ne fut pas si difficile non plus. En tout cas, avoir été à cet endroit-là, à ce moment-là, fut un des plus beaux cadeaux de ma vie. Lorsque je suis partie de Canal Plus, en 2014, pour rejoindre le cabinet de François Hollande, de nombreuses jeunes filles journalistes m'ont dit « merci, parce qu'avec vous, on s'est dit ``alors c'est possible'' ». Il est important que les femmes aient des modèles dans la société. Être la première pour rester la seule n'a aucun intérêt. J'espère que ces jeunes femmes vont donner, sur les terrains de France, durant un mois, envie à des jeunes filles de faire la même chose. J'aimerais que ces jeunes filles se disent : « Je n'ai plus envie de ressembler à Mbappé, à Cristiano Ronaldo ou à Messi. Je veux ressembler à Eugénie Le Sommer, à Laurène Martin, à Alex Morgan... ». Mon rêve ultime, c'est évidemment que la France remporte cette compétition, qu'il y ait une grande fête sur les Champs-Élysées (qui dure un peu plus de douze minutes), que nous fassions tous ensemble la fête avec nos filles, et que des petits garçons se baladent dans la rue avec un maillot marqué du nom de nos joueuses de l'équipe de France : « Wendy Renard », « Eugénie Le Sommer » ou « Amandine Henry »... Lorsque nous y serons parvenus, nous aurons gagné !