Merci et bonjour à tous. Je ne me suis jamais dit que ma vie serait pleine et accomplie le jour où je serais présidente d'un club. On me l'a proposé. J'ai accepté, car à bien y réfléchir, ce choix s'imposait : s'il y avait une part de hasard dans l'équation, une évidence et une nécessité en faisaient également partie. Le contexte s'y prêtait et les conditions étaient réunies.
Nous savons quelle est la place de la femme dans la société. La situation du club était également particulière. Nous avons tous l'image d'un président de club ayant souvent la figure d'un notable, personne emblématique à la vision assez paternaliste, voire patriarcale et pratiquant un management assez pyramidal.
Notre club ne fonctionnait pas du tout ainsi et faisait une grande place au collectif. Je l'ai constaté par moi-même. Mon prédécesseur avait un style de management beaucoup moins descendant et beaucoup plus participatif. C'est le collectif qui était à la base de tout et structurait le club. Ce n'est pas une question de personne, mais de principe. Une fois celui-ci institué, les choses sont beaucoup plus faciles.
Au début, je me suis dit que cette fonction n'était « pas pour moi ». Je m'en suis un peu voulu de penser cela, mais j'ai pensé aux responsabilités que cela supposait, au temps que cela exigeait et je me suis demandé si j'allais y arriver. J'ai alors considéré que c'était peut-être l'occasion de « renvoyer l'ascenseur » vers toutes les personnes qui avaient travaillé à un moment donné pour moi. Je me suis souvenue d'un stage que j'avais fait, dix ans plus tôt, à la fédération, avec Élisabeth Bougeard-Tournon ici présente, et que je salue, sur la place des femmes dans le football. Il m'est apparu qu'il n'y avait jamais vraiment de hasard dans la vie et j'ai accepté le poste de façon définitive le jour où j'ai réalisé que présider ne signifiait pas « avoir du pouvoir sur les gens » mais « avoir du pouvoir pour faire avancer les choses ». Peut-être aussi était-ce l'image que je renvoyais en tant que joueuse, celle d'une fille qui se mettait au service du collectif.
Si la question est de savoir s'il est plus difficile de s'imposer en tant que joueuse, en tant que présidente ou en tant que commentatrice sportive, je crois que ce qui compte, c'est d'être reconnue comme étant utile au collectif. Dès lors, la question ne se pose plus. Ce n'est pas tant une question de compétence que de capacité à mettre cette compétence au service de quelque chose de plus grand.
Chacun a un rôle, une fonction. Encore faut-il s'inscrire au service du collectif. C'est ce qui s'est produit en ce qui me concerne et je crois que c'est ce qui se produit dans nombre de clubs amateurs.
Il m'a été demandé, avant cette réunion, quelles étaient, à mes yeux, en tant que présidente d'un club amateur, les mesures à mettre en place de façon urgente pour la professionnalisation du football. Je crois qu'il sera fondamental de raisonner sur l'ensemble de la filière. Cette Coupe du monde va donner un formidable coup de projecteur sur le football féminin, ce qui va lui apporter la reconnaissance qu'il mérite, et dont il a besoin. Ce ne doit pas être un aboutissement, mais un point de départ, un moyen pour aller plus loin. C'est ce que me semble précisément désigner la notion d'héritage : comment faire pour aller plus loin ? Cela supposera d'investir de façon massive dans la formation d'éducateurs, d'éducatrices, de formateurs, d'arbitres, de dirigeants et de joueurs.
Quelle est la trajectoire que nous proposons à ces communautés ? Au sein des clubs, notre responsabilité est de faire naître cette volonté. Lorsqu'une petite fille de huit ans me dit que son rêve est de devenir footballeuse, exactement comme le dirait un petit garçon du même âge, je me dis que nous avons gagné. Lorsqu'un petit garçon me dit qu'une joueuse contre laquelle il joue a fait une faute, je me dis aussi que nous avons gagné. Quand une joueuse est considérée comme une joueuse et non comme une fille qui fait du foot, la gamine a gagné, le foot a gagné, la société a gagné. Demain, c'est la société qui en bénéficiera. C'est à ces âges que l'on casse les préjugés dans lesquels on enferme les femmes, ou dans lesquels elles s'enferment parfois toutes seules.
Le combat de l'éducation et de l'émancipation a lieu là, à cet âge-là, dans les clubs, près du périphérique, avec des éducateurs qui sont à moitié formés (tant les formations sont coûteuses) et parfois des dirigeants qui n'en sont pas pour autant valorisés. Une fois que ces résultats sont obtenus à ce niveau-là, il faut se demander s'il existe une vraie volonté collective : le corps social veut-il profondément miser là-dessus ? Nous avons tous une responsabilité collective, et l'État a évidemment son mot à dire, car le niveau d'investissement des acteurs privés dépendra en partie de la volonté politique qui s'affichera. La Coupe du monde constitue une occasion de restaurer l'égalité entre les hommes et les femmes. Il faut faire naître ces trajectoires, et rendre les femmes autonomes dans le choix de leur trajectoire. Cela suppose qu'elles soient libres de la choisir, alors que les pesanteurs de la société font parfois obstacle. L'État a précisément la responsabilité de faire en sorte que les conditions soient réunies pour permettre ces trajectoires, c'est-à-dire créer un cadre de réussite pour celles qui le veulent.
L'objectif n'est pas que toutes les femmes deviennent des joueuses professionnelles, ni des éducatrices ou des entraîneurs. Il s'agit de faire en sorte que celles qui le veulent puissent le devenir. Autrement dit, comment donner des contours concrets à la volonté que nous aurons fait naître dans les clubs ?
Nous disposons du modèle du football masculin, dont l'expérience a montré que certaines choses fonctionnaient, d'autres non. Cette Coupe du monde pourrait constituer un vecteur d'exemplarité afin de viser l'équilibre entre les hommes et les femmes. Si le football démontre que cette égalité est possible, nous aurons tout gagné. Tel est l'objectif qui doit nous mobiliser collectivement. Nous partageons une responsabilité à cet égard. La Coupe du monde constitue en effet un vecteur de croissance économique et nous pourrons revenir sur ses retombées, car des choses très intéressantes ont été dites. C'est aussi un outil de développement sportif (en espérant que la France l'emporte, pour faire comme en 2018 !), d'égalité et de développement social.
La Coupe du monde aura naturellement des retombées économiques et des impacts sur les clubs. Nous devons nous demander comment ces retombées bénéficieront aux clubs et si ceux-ci seront en mesure d'accueillir un afflux très important de nouvelles pratiquantes, dans de bonnes conditions, comme l'a souligné Frédérique Jossinet. C'est un point essentiel. Il faudra déterminer le coût des mesures à prendre pour préparer cet accueil, sans méconnaitre, dans le même temps, le coût de l'inaction si nous ne faisons rien.
La Coupe du monde va, à l'évidence, susciter un vif engouement et un pic d'attrait pour le foot féminin. Il ne doit pas y avoir ensuite un pic de déceptions. Nous devons donc nous préparer et il appartient aux clubs de se mettre en ordre de bataille. Celle-ci n'est pas gagnée d'avance, puisque l'an dernier, les clubs sont parvenus à accueillir 10 % de licenciées supplémentaires. Dans le cas du football féminin, cette croissance sera peut-être de 20 %, 50 % ou même 100 %. Comment faire, alors même que nous traversons une crise du bénévolat au sein des clubs ?
Nous avons commencé à initier des actions, à notre niveau, avec le conseil de quartier, avec le centre d'animation qui se trouve à côté et avec le centre d'animation socioculturel. Ces actions ont nécessité des moyens et du temps. J'ai essayé de valoriser, en termes économiques, la contribution de mes bénévoles. Ils sont une vingtaine, présents chacun à raison de cinq à dix heures par semaine au club. Ils préparent le matériel, tiennent la buvette, accompagnent parfois les enfants, voire prennent en charge des séances d'entraînement. Cela paraît peu, mais c'est ce qui fait fonctionner le club. Pour vingt personnes, à raison de cinq à dix heures par semaine, quarante semaines par an, cela représente 50 000 euros, en prenant pour base un Smic hors charges. Le budget de mon club est de 250 000 euros.
Si demain, les clubs doivent absorber davantage de licenciés avec moins de moyens humains, comment ferons-nous ? Je ne peux pas augmenter le prix de la licence car le football est un produit populaire, qui doit rester accessible. Les clubs ont profondément envie d'agir et de faire bouger les choses mais ils ne peuvent tout faire. Nous ne pouvons pas pousser les murs ni augmenter indéfiniment le prix de la licence. Nous ne pouvons pas non plus dégager des marges importantes, car nous sommes une association, qui n'a pas de but lucratif. La base de la pyramide ne peut pas rester sur cet équilibre instable.