Intervention de Thierry Breton

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 28 mai 2019 à 15h00
Audition de M. Thierry Breton

Thierry Breton :

Sur la souveraineté, lorsque j'étais ministre en charge de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, j'avais recensé les technologies clés sur lesquelles le droit de regard, voire plus si nécessaire, de l'État devait s'exercer en cas de rachat d'une entreprise. Depuis, ces listes ont été élargies, y compris par Bruno Le Maire. Des moyens existent et il nous est parfaitement possible d'assumer nos obligations de souveraineté dans le cadre d'un système de régulation transparent et approuvé par la collectivité nationale. L'État peut ainsi faire respecter ce cadre, sans pour autant devoir être actionnaire ! Lorsque nous avons nationalisé, à contre-courant de l'histoire, en 1981 nos entreprises, nous pensions, à tort, que l'État reprenait sa souveraineté en main. C'est faux ! L'actionnariat est fondamentalement distinct de la souveraineté ! Cependant, une régulation et des règles claires, lisibles et pérennes, de manière à favoriser l'investissement des entreprises, sont importantes. C'est donc aux États qu'incombe la définition de ce qui ressort de leur souveraineté, dans un contexte davantage marqué par la parcellisation du monde que par la mondialisation à outrance.

L'Europe doit également se doter de ses propres moyens pour lancer, en contrepartie, une véritable politique industrielle. À l'heure de la désignation du futur président de la Commission européenne, il importe de rappeler l'échec des tentatives européennes de créer des géants européens pour des motifs juridiques. ATOS, dont 12 % du capital appartiennent à Siemens et les sièges se trouvent à Paris et Munich, représente une réelle coopération franco-allemande. Accueillant 33 000 ingénieurs de Siemens, ATOS s'avère, en quelque sorte, un « petit Airbus des technologies de l'information », avec un nombre d'ailleurs plus important de salariés que celui-ci ! Au nom de principes concurrentiels qui n'ont plus de sens aujourd'hui et qui relèvent d'une politique de marché tournée vers le consommateur, on a interdit la création de champions industriels européens ! L'Europe doit, à l'inverse, favoriser les rapprochements des grands groupes européens afin de mobiliser des investissements dans des secteurs particulièrement voraces en capitaux et garantir l'émergence d'une politique industrielle sur laquelle doit désormais s'aligner la politique de la concurrence. Personne n'a le droit d'être naïf dans cet espace informationnel ! Nous disposons des atouts pour y parvenir. Puisque nous doublons tous les dix-huit mois le nombre de données, il est tout à fait possible de rattraper notre retard. Nous sommes ainsi au début d'une histoire et il appartient aux législateurs que vous êtes de nous accompagner dans l'organisation de cet espace informationnel.

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