Merci beaucoup, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de nous avoir fait confiance pour essayer de répondre à votre commande pour mieux cerner les attentes des citoyens européens. Il s'agit dans votre idée des citoyens de l'ensemble des pays de l'Union. En quatre semaines, le défi était difficile à relever. Nous l'avons fait d'abord à partir de l'étude exhaustive des enquêtes d'opinions réalisées au niveau européen et national ; ensuite nous avons interrogé nos correspondants en leur envoyant un questionnaire, puis par téléphone. Enfin nous avons consolidé les consultations officielles de la Commission européenne, consultations citoyennes et autres études sur les attentes des citoyens à l'égard de l'Union.
Nous avons ensuite travaillé cette abondance de sources au sein de la Fondation. Ce que nous vous remettons est donc une interprétation par nos experts de ce que nous avons constaté auprès de ces différentes sources. J'insiste sur ce point : il ne s'agit pas d'un relevé des enquêtes d'opinion, il y aurait plus compétent que nous. Dans un grand journal du soir, vous avez certainement vu une enquête IPSOS réalisée sur les attentes des Français. Nous avons essayé d'élargir le périmètre et les résultats sont en conséquence un peu différents.
Nous avons, dans cette étude que je vous résumerai, constaté trois grandes tendances apparemment contradictoires.
Tout d'abord, nous avons constaté dans les sondages et les études que le projet européen enregistre en ce moment un niveau record de soutien lorsque les citoyens sont interrogés sur ses fondements, sa pertinence et le bénéfice qu'en ont tiré les États membres. Jamais, depuis 1982, les eurobaromètres n'ont été aussi positifs sur le bénéfice de l'appartenance et la confiance dans l'Union européenne.
Pour autant, des inquiétudes très marquées apparaissent, qui portent autant sur le fonctionnement de l'Union européenne, son avenir que son environnement géopolitique.
Enfin, il y a une forte demande chez les Européens de politiques européennes plus efficaces sur des thématiques sur lesquelles je reviendrai.
Tout d'abord, un niveau record de soutien au projet européen. Selon l'Eurobaromètre, publié par le Parlement européen le 25 avril, 61 % des Européens estiment que l'appartenance de leur pays à l'Union européenne est « une bonne chose », contre 10 % qui estiment qu'elle est une « mauvaise chose » et 27 % de personnes qui ne s'expriment pas. 68 % pensent que leur pays a bénéficié de l'appartenance à l'Union, contre 23 % qui estiment qu'il n'en a pas bénéficié.
Question subsidiaire : en cas de référendum dans votre pays, voteriez-vous pour rester ou sortir de l'Union ? 68 % des personnes interrogées voteraient pour rester dans l'Union européenne et seulement 14 % pour la quitter. Le pourcentage en France est de 60 %. Deux États, l'Italie et la République Tchèque voteraient en majorité pour sortir.
Cette confiance dans l'Union européenne se retrouve dans la confiance dans l'euro qui atteint des niveaux historiques : 75 % des personnes interrogées membres de la zone euro se prononcent en faveur de l'union économique et monétaire, 67 % en Grèce, et 62 % déclarent soutenir l'euro, avec une opposition qui reste stable à 32 %. C'est un véritable plébiscite, dont on voit les effets partout, y compris sur les programmes des partis nationalistes nationaux qui ont abandonné la revendication de sortir de l'euro.
Cet attachement à l'Union européenne ne se traduit cependant pas par un intérêt pour les élections européennes. C'est quelque chose de surprenant. 35 % des répondants déclaraient qu'ils iront « très certainement » voter. Nous pensons qu'ils seront plus nombreux malgré la tendance de participation déclinante depuis 1979. Elle n'a été que trois fois supérieure à 50 % sur 8 scrutins.
Cette confiance dans l'Union peut être analysée à partir de plusieurs éléments. Certainement le Brexit, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, a eu un effet répulsif, y compris dans les États dirigés par des gouvernements eurosceptiques. En Pologne, en Hongrie, en Italie même, les citoyens manifestent encore leur confiance.
Parmi les motivations des citoyens, on retrouve un élément que nous pensions nous mêmes passé au second plan : la paix et la stabilité en Europe. Dans certains États et dans certaines études, l'inquiétude pointe que la paix entre les États membres de l'Union, les bonnes relations, la confiance puissent être menacées dans l'avenir.
En effet, c'est le deuxième élément, les citoyens expriment aussi des inquiétudes extrêmement fortes pour l'avenir de l'Union européenne. On constate ce même phénomène dans toutes les grandes démocraties de type occidental basées sur la représentation politique. Cela va de pair avec un rejet des partis et de la gouvernance traditionnels qui peut même aboutir à un début de remise en cause de la démocratie représentative elle-même. C'est en partie ce qu'on voit dans le mouvement des Gilets Jaunes. Pour autant, cette inquiétude ne s'étend pas jusqu'aux institutions européennes qui semblent à peu près épargnées par cette remise en cause. On peut invoquer à cela plusieurs explications. Ces dernières sont plus lointaines, elles sont moins directement en phase avec la gouvernance publique quotidienne. Les études réalisées sont globales et, sans être orientées, incitent toutefois plutôt à une indifférence positive. Les institutions communes enregistrent donc des scores d'approbation supérieurs à ceux des institutions nationales et cela dure depuis longtemps.
Parmi les inquiétudes très marquées, il y a la montée du populisme et du nationalisme. 61 % des répondants pensent que les partis protestataires ne sont pas la réponse aux défis à affronter et que leur popularité elle-même constitue un sujet de préoccupation. 53 % des citoyens s'accordent même pour affirmer que la montée des partis populistes en Europe est une menace pour le fonctionnement de l'Union européenne. On observe notamment que, dans les pays où les mouvements nationalistes ont enregistré le plus de progrès et dont les gouvernants contestent l'action des institutions européennes et leurs politiques, le taux de soutien à l'Union se situe au-dessus de la moyenne européenne (Hongrie, 61 % ; Pologne, 68 %). C'est donc une contradiction de plus qu'il faut décrypter.
Ces inquiétudes concernent aussi le contexte géopolitique général - sécurité, immigration - ou encore de manière très importante la situation économique et son avenir. Ce dernier point constitue globalement une préoccupation très importante, très prégnante qui arrive en tête des préoccupations des citoyens, devant l'immigration qui est en fort recul à la 4ème position des préoccupations des électeurs selon la dernière enquête IPSOS. Cela s'explique par la relative diminution de la pression migratoire. L'émergence la plus importante est aussi celle d'une demande de lutter contre le réchauffement climatique. La sécurité reste aussi une préoccupation prégnante. La demande d'efficacité des politiques publiques est toujours importante, indépendamment des sujets.
Les Européens expriment des souhaits globaux de politiques européennes plus efficaces dans des domaines qui relèvent, pour la plupart, de compétences nationales et dont les évolutions sont parmi les plus difficiles.
Une politique d'immigration européenne concertée demeure la principale demande des citoyens, mais elle apparaît néanmoins en recul.
La sécurité dans son acception globale est une forte préoccupation des citoyens, qui expriment des jugements globaux très favorables à des politiques communes en matière de défense ou de lutte contre le terrorisme.
La situation économique et la croissance restent parmi les interrogations exprimées à l'échelon européen mais sont désormais assorties d'un souhait d'harmonisation sociale bien général.
Enfin, est à noter l'émergence d'une forte demande d'action européenne dans le domaine de la protection de l'environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. C'est la percée la plus spectaculaire dans l'opinion publique, qui ne s'est pas encore traduite dans les urnes mais apparaît déjà dans les études et les thématiques politiques.
On peut noter la confiance des citoyens européens dans l'Union européenne pour satisfaire un besoin de protection, en particulier en Allemagne et dans les pays du Nord de l'Europe.
Sur tous ces sujets, les études les plus approfondies montrent en même temps que les citoyens souhaitent que les États membres gardent leurs compétences en la matière. Ces contradictions constituent de ce fait, à l'évidence, pour les gouvernements et les acteurs politiques, des problématiques extrêmement difficiles à appréhender.
Les auteurs de l'étude ont été particulièrement marqués par les contradictions apparues au sein des sociétés politiques européennes, qui traduisent un grand trouble, fortement problématique.
Pour eux, les citoyens qui appellent en apparence de leurs voeux des politiques de protection renforcées, expriment dans le même temps leur confiance et leur inquiétude envers la dimension européenne des politiques publiques. Beaucoup, en particulier à l'ouest de l'Europe, souhaitent que les compétences sur ces sujets majeurs, comme la sécurité ou la politique étrangère, restent nationales.
Le besoin de protection exprimé par les citoyens cache selon moi un besoin de projection dans un contexte global incertain.
Voilà, Monsieur le Président, c'était donc un rapide survol de l'étude que nous vous avons remise et nous sommes à votre disposition pour en évoquer plus avant les détails.