Je suis très heureuse de commencer l'examen au Sénat de cette proposition de loi sur le déploiement de la 5G et la sécurité de nos réseaux. C'est un sujet important pour notre économie, la qualité de nos services et notre souveraineté.
Un mot d'abord sur les grandes orientations défendues par le Gouvernement, qui n'ont pas varié depuis nos premiers échanges - à la faveur de cet amendement que vous avez jugé cavalier... La première consiste à déployer rapidement la 5G sur tout notre territoire. Nous sommes entrés dans une course mondiale au déploiement de la 5G : les premiers États qui en développeront massivement l'usage sont susceptibles de prendre une avance technologique sur les grandes innovations industrielles. Il faut donc se donner les moyens de déployer la 5G en France et, surtout, de développer les usages tant industriels que dans les services pour renforcer notre compétitivité - il ne suffit pas d'avoir la technologie, nous devons avoir l'intelligence qui va avec.
Ce déploiement doit se faire dans de bonnes conditions : c'est l'objectif de la feuille de route 5G que nous avons tracée l'été dernier. Ce déploiement doit permettre à tous les territoires d'avoir accès à la 5G et à ses usages spécifiques dans un calendrier raisonnable. Il se fera en préservant la concurrence entre opérateurs, de façon à ce que le rapport qualité-prix des offres reste compétitif, comme c'est le cas en comparaison avec nos voisins européens. Enfin, ce déploiement doit répondre aux besoins des industriels, en permettant à de nouveaux usages de se développer. Les nouveaux titulaires de fréquences devront donc y donner accès aux nouveaux fournisseurs de services que seront les prestataires de voitures connectées ou de télémédecine, en particulier dans les zones peu denses du territoire où ces services apporteront beaucoup de valeur.
Deuxième orientation : expérimenter pour accélérer l'innovation. Les industriels doivent avoir accès aux infrastructures dans de bonnes conditions, mais ils doivent aussi pouvoir expérimenter la 5G facilement. C'est pourquoi, avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), nous encourageons la création de bacs à sable de tests sur la 5G, c'est-à-dire de plateformes d'expérimentation sur lesquelles toute entreprise pourra tester son produit en situation réelle. Les modalités en sont simples : pendant trois ans, ces plateformes seront autorisées à utiliser des fréquences 26 GHz et les innovations pourront être testées en s'affranchissant en partie du cadre réglementaire. C'est à la faveur de ces tests que des micro-déploiements d'équipements 5G seront possibles ; nous fixons donc une date d'entrée en vigueur au 1er février, afin de traiter leur déploiement sur des réseaux ouverts. Nous sommes, avec l'Allemagne, les seuls à retenir une telle démarche, qui vise à gagner du terrain et acquérir une avance technologique. Je me permets toutefois d'indiquer à la représentation nationale - afin qu'elle pousse nos entreprises, surtout nos PME et nos entreprises de taille intermédiaire à se lancer dans des expérimentations - que l'Allemagne est plus active que nous en la matière.
Troisième orientation : préserver la sécurité de nos réseaux et de nos communications. C'est l'objectif du texte que nous examinons. La 5G va apporter de nouvelles opportunités technologiques, mais celles-ci constituent aussi de nouveaux facteurs de risques, qui vont au-delà de la confidentialité des correspondances. Il faut donc compléter notre arsenal juridique pour contrôler efficacement les équipements de réseaux 5G. Le contrôle renforcé passe par une mesure concrète : soumettre à autorisation préalable du Premier ministre l'exploitation des nouveaux équipements d'antenne mobile pour les opérateurs télécom qui sont opérateurs d'importance vitale. Ce dispositif de contrôle est fondé sur des motifs de sécurité et de défense nationale ; il permettra d'assurer le respect du principe de précaution dans le déploiement de la 5G. Il complète des dispositifs déjà en place, tel l'article R. 226 du code pénal sur la protection du secret des correspondances. La mécanique de contrôle des équipementiers et des opérateurs, elle, existe déjà : elle est exercée par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), placée sous la responsabilité du Premier ministre, avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Il n'est évidemment pas question de retarder le déploiement de la 5G ni de la 4G.
Quatrième orientation : ne pas discriminer les équipementiers. Tous, sans distinction, seront soumis aux mêmes règles. D'une part, car une vulnérabilité ou une faille de sécurité est rarement le propre d'un équipementier : elle peut les concerner tous. D'autre part, car les actionnariats et les stratégies de demain sont encore inconnus. Cette nouvelle protection ne doit pas retarder l'innovation et la réussite de la 5G.
Vous le voyez, les orientations du Gouvernement n'ont pas changé. Ce qui a changé depuis février en revanche, c'est la situation internationale. De nouvelles mesures de protection ont été mises en place aux États-Unis, qui peuvent avoir un impact sur le paysage concurrentiel et nos entreprises. Le 15 mai dernier en effet, un décret du Président américain a interdit l'installation d'équipements susceptibles de soulever un risque pour la sécurité des communications américaines. Concrètement, ce texte prive Huawei de la possibilité de collaborer avec des entreprises américaines et donc de se fournir en composants électroniques aux États-Unis ou d'y exporter des équipements. Cette décision pourrait avoir des conséquences - que nous sommes en train d'évaluer - sur les entreprises françaises des filières microélectronique et télécoms. Je recevrai dans les prochains jours les entreprises affectées par ces mesures, et nous travaillerons en transparence avec la représentation nationale sur ces questions.
Devons-nous faire évoluer notre position à la suite de cette décision ? Nous ne le pensons pas. Nos orientations sont mesurées ; elles protègent, sans entraver l'innovation et sans discriminer. La France ne veut pas entrer dans le jeu d'une escalade protectionniste qui nuirait à tous. Nous garderons cette position équilibrée. Nous ne sommes d'ailleurs pas seuls à avoir opté pour cette solution : l'Allemagne a récemment présenté un projet de renforcement des exigences de sécurité applicables aux opérateurs de télécommunications. Des différences techniques le séparent de notre projet, mais il suit grosso modo les mêmes grandes orientations : évaluer les risques plutôt qu'interdire, et renforcer les contrôles des modalités de déploiement et d'exploitation. L'Union européenne s'est également saisie de la question, en invitant les États membres à se doter de dispositifs pour répondre aux risques inhérents au déploiement de la 5G. Elle souhaite une stratégie de coordination et d'harmonisation des approches nationales, qui s'inscrit dans la ligne et le calendrier que nous avons défini à l'échelle nationale. Les règles du jeu sur la 5G sont une compétence nationale, mais il importe d'avoir un système cohérent sur l'ensemble de l'Union européenne et de protéger nos réseaux de télécommunications de manière commune.
Les orientations du gouvernement que j'ai mentionnées en introduction sur le déploiement 5G ont été transmises à l'Arcep, qui est en train d'avancer avec les opérateurs - de les tester, en quelque sorte - sur l'écriture du cahier des charges. Cela explique peut-être un certain bruit de fond, assez classique dans ces situations. Le cahier des charges sera livré à la fin de l'été ou au début de l'automne ; nous le validerons et lancerons les enchères avec l'objectif d'attribuer les fréquences en début d'année prochaine. L'Union européenne fixe l'objectif de déploiement dans une ville d'ici 2020 ; nous souhaitons aller plus loin, pour expérimenter des usages de services plus importants, au-delà des grandes villes.