Intervention de Jean-Pierre Floris

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 4 juin 2019 à 14h00
Table ronde sur les politiques publiques en présence du délégué interministériel aux restructurations d'entreprises du secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle et du délégué aux territoires d'industrie

Jean-Pierre Floris, Délégué interministériel aux restructurations d'entreprises :

Ayant passé toute ma carrière dans l'industrie, en France comme à l'étranger, ma mission est de coordonner la réponse de l'État en matière de restructuration - hors secteur bancaire - de suivre les engagements des entreprises vis-à-vis de l'État et d'anticiper les mutations technologiques. Je suis rattaché au ministère de l'Économie et des Finances et au ministère du Travail. Je dispose d'une équipe réduite, comportant deux personnes, ainsi qu'un adjoint dépendant du ministère du Travail et chargé des restructurations, ce qui démontre que les deux ministères travaillent bien ensemble. Je considère mon rôle comme celui d'un coordinateur ou d'un facilitateur dans un travail en réseau. De manière générale, la collaboration avec tous les services de l'État me paraît bonne, nous sommes entourés de gens engagés et coopératifs. En ce qui concerne les restructurations, nous travaillons avec la DGE, le CIRI, le cabinet des ministères du Travail et de l'Agriculture, le Médiateur des entreprises. Nous tenons des réunions régulières, nous échangeons des informations et nos rendez-vous sont ouverts à tous.

Les anciens commissaires au redressement productif, désormais commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), sont rattachés au Bureau des restructurations d'entreprises de la DGE, qui travaille avec nous en réseau. Il n'y a pas de problème de rattachement hiérarchique. Nous ne sommes pas une grosse structure encombrante, nous sommes là pour aider.

Les CRP sur le terrain doivent être au courant de toutes les restructurations. Les entreprises en difficulté sont traitées par les CRP lorsqu'elles comptent moins de 400 emplois, par le CIRI au-delà. J'interviens moi-même sur les dossiers particulièrement sensibles.

En ce qui concerne les engagements des entreprises vis-à-vis de l'État, le travail est fait par la DGE, qui a les moyens de les suivre. Mon rôle est de proposer des réponses politiques aux analyses techniques, et d'écouter toutes les parties prenantes. Sur un certain nombre de dossiers, comme Technip ou Lafarge, les syndicats ont demandé à nous rencontrer et nous ont fourni des informations. Ces démarches fonctionnent comme un signal d'alerte, qui nous a permis de rebondir en recevant les directions générales et en partageant ces informations avec la DGE.

L'anticipation des mutations technologiques est pour moi la clef de la politique industrielle. Sur le papier, cela se télescope quelque peu avec la politique de filière. En tant que facilitateur, je ne veux pas créer de complexité. Nous avons des relations anciennes avec France Industrie : nous nous sommes penchés sur les filières rencontrant des problèmes particulièrement lourds. En accord avec les cabinets ministériels, nous avons convenu de nous concentrer sur l'automobile et la distribution, car nous disposons de peu de moyens, et car ce sont des secteurs qui nécessiteront des ajustements rapides, très importants et que l'on y voit beaucoup d'entreprises en difficulté.

Concernant la multiplicité des intervenants, ce qui me frappe est que beaucoup de fonctionnaires se mêlent un peu de tout, ce qui est source de complexité. Notre mission est d'éviter que les entreprises ne ressentent cette complexité, et identifient des interlocuteurs uniques : lorsque le CIRI prend un dossier par exemple, c'est lui qui le pilote. Il y a unicité de commandement, et je crois que cela fonctionne bien.

Je pense que le double rattachement est une chance. Notre objectif est de mettre les salariés au travail, de leur donner l'emploi le plus qualifié et le plus rémunérateur possible. Cela nécessite de fournir une bonne formation et de proposer un projet industriel sérieux. Il est donc très important de disposer de cette double vision. Même si mon parcours me rapproche davantage du ministère des Finances, je n'ai jamais eu la moindre difficulté ou différence d'opinion avec le ministère du Travail. C'est là une garantie d'efficacité, et cela se ressent sur la manière dont nous permettons aux entreprises de s'adapter pour rester compétitives.

Pourquoi le Ministre s'implique-t-il sur certains dossiers, plutôt que sur d'autres ? Je n'ai pas de réponse, ce sont des raisons essentiellement politiques. Je ne suis que facilitateur de ces dossiers, et ai été nommé pour alléger la tâche du ministre sur ces dossiers assez ingrats : lorsque l'entreprise dont vous êtes chargée est en difficulté, vous n'êtes pas épargné. Il est préférable que les personnes en charge politiquement ne soient pas trop exposées sur des dossiers de court-terme et que les choses puissent être dites franchement. La décision ultime est à la main du ministre.

Je ne rencontre aucune difficulté pour obtenir les rapports nécessaires de l'administration. Je regrette d'être parfois trop sollicité sur certains sujets, mais il n'y a pas de mauvaise volonté, même si il y a peut-être un peu trop de monde en charge de ces dossiers et que l'on perd parfois du temps.

Les relations avec les élus locaux et les territoires sont extrêmement importantes. La coordination avec les préfets et avec les services de l'État se passe bien. Le préfet est notre interlocuteur naturel, car il supervise les CRP et les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), et il nous met en contact avec certains élus. Parfois, ce sont les élus eux-mêmes qui nous appellent : nous avons comme politique de recevoir tous les élus ou représentants syndicaux qui nous le demandent. Il est utile d'avoir une autre vision que celle des patrons, parfois en obtenant davantage de détails - et c'est un ancien patron qui vous le dit. Je pense que le sens des responsabilités des organisations syndicales a considérablement évolué. En ce qui concerne les élus, ils peuvent nous indiquer quelles sont les sensibilités autour des projets en région : on sait que l'on ne pourra pas tout résoudre, il faut savoir trouver des compromis. Il est donc important de travailler avec les élus, également car cela améliore le climat dans les entreprises.

Concernant le rôle des régions, tout le monde est de bonne volonté et veut faire le maximum pour sauver les emplois. Dans un but de simplification, on pourrait davantage je coordonner l'action. Les analyses techniques devraient être partagées, pour savoir quels projets sont viables. Ensuite, les élus ont la responsabilité de l'arbitrage politique. Comme je l'ai écrit à mon ministre : au niveau national, nous devrions suivre les restructurations des entreprises à implantation multiple sur plusieurs régions, ou celles appartenant à des filières particulières, en dialogue avec les Présidents de régions. Selon moi, tout le reste peut être traité au niveau régional. Nous arrivons à travailler ensemble aujourd'hui, mais il subsiste une certaine déperdition d'énergie.

Un autre point important que j'ai signalé au ministre de l'Économie - avec qui j'ai davantage d'interfaces qu'avec la ministre du Travail - concerne les aides apportées, qui devraient être transparentes. Les montants sur lesquels nous intervenons sont assez faibles, puisque l'essentiel de notre mission se réalise avec peu d'argent public : nous essayons de trouver des repreneurs, de conseiller les entreprises, de faciliter l'obtention de crédits... Seuls quelques gros projets consomment beaucoup d'argent public. Cette décision appartient au ministre. Je préférerais que l'on nous dise clairement quel est notre budget - cela vaut également pour le travail en région. Nous pourrions être ainsi entendus par le Parlement sur ces dépenses et sur ces choix. Selon moi, cela simplifierait les choses, car aujourd'hui on ne sait pas dire non : lorsqu'un élu ou un dirigeant vient nous voir, nous pourrions donner et expliquer nos priorités en matière de territoires et de filières.

Vous mentionnez que j'ai défendu la « modernisation à marche forcée de l'outil industriel ». Je pense que l'industrie est essentielle : tout grand pays doit avoir une base industrielle, qui tracte tout un secteur de services. D'expérience, l'industrie est un fantastique ascenseur social. Des personnes avec un niveau de qualification moyen, mais formés aux méthodes de production, voient leur vision et celle de leurs enfants changer. Pour que l'industrie soit efficace en France - un pays ou les salaires sont élevés et doivent le rester - il faut que les usines soient ultramodernes. On m'avait interrogé il y a quelques années au sujet de la taxe sur les robots : j'avais répondu que c'est la pire bêtise que l'on pouvait proposer. Je suis contre les aides aux entreprises - hormis le crédit impôt recherche (CIR) que je défends depuis toujours - mais il faut aider les entreprises à se robotiser pour être plus performantes, et encourager la production en France de ces robots plutôt que de les importer d'Allemagne ou de Suisse.

Cet objectif d'innovation s'applique à la sidérurgie. Dès les années 1980, on expliquait qu'il fallait appliquer les méthodes les plus sophistiquées à la sidérurgie. Plus un métier est ancien, plus il faut fiabiliser les rendements et la qualité. Ce qui distingue la marge des entreprises en France et en Allemagne, c'est l'image de qualité des produits, car les gens sont mieux formés et les entreprises de plus grande taille. Il faut des moyens industriels performants. Bien sûr, il faut également que la conjoncture économique soit bonne et que le secteur soit rentable. À ce titre, la sidérurgie fait face à certains problèmes particuliers tels que les droits de douane et la taxe carbone.

Un point qui me tient particulièrement à coeur est le sujet Ascoval...

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