Je me permets de critiquer le travail fait en trois jours par le cabinet Roland Berger, qui m'a consulté en tout et pour tout vingt minutes, et n'a pas procédé aux entretiens que j'avais recommandé. Ce travail bâclé n'a certes pas coûté cher, mais l'on en a pour son argent ; même M. Gruyaert l'a reconnu. J'avais estimé qu'il fallait au moins 80 millions d'euros de fonds propres pour se protéger des cycles dans une industrie lourde telle que la sidérurgie. Sans capital, les taux sont absurdes, a fortiori lorsque les marges sont fragiles. La DGE m'avait fourni des données sur les marges et l'EBITDA dans la sidérurgie, qui ne sont pas suffisantes en Europe. Sans fonds propres, cela ne tient pas.
Dans le cas de British Steel, la situation est différente car il leur faut un volume moins important d'investissements, autour de 20 millions d'euros, car ils disposent des débouchés aval, à Hayange pour les rails, et avec FN Steel pour le train à fil, ce qui était le plan d'investissement d'Altifort. Son projet était stratégiquement intéressant, je l'ai dit. Mais il n'était pas financièrement valable. Les seuls éléments financiers dont j'ai eu connaissance concernant British Steel étaient les résultats à fin mars 2018. J'ai fait remarquer que nous faisons habituellement davantage de due diligence. Je n'ai toutefois pas obtenu les résultats ou tendances de mars 2019, ni ceux des entreprises aval utilisatrices d'acier et les prix d'achats, que j'avais pourtant demandés. Mais on voulait faire le deal à tout prix... J'avais fait remarquer dans une note au ministre que la rentabilité de British Steel était faible, 25 millions de livres sur 1,6 milliards de chiffre d'affaires. Je n'avais pas anticipé la faillite, n'ayant pas eu les éléments les plus récents que nous aurions obtenus si nous avions été plus exigeants sur la due diligence. Toutefois, cela n'aurait pas nécessairement changé la décision finale.
Comme vous l'avez souligné, malgré la défaillance de British Steel, cela ne veut pas dire qu'Ascoval ne marche pas. Ce qui importe, ce sont les débouchés. J'étais hier en réunion téléphonique avec les investisseurs anglais, afin de s'assurer de ce qui va se passer au niveau aval. Nous avons des contacts avec tous les repreneurs possibles, notamment d'Hayange, pour trouver des débouchés pour l'aval. Si ces débouchés existent, tels qu'ils étaient envisagés par British Steel, il n'y a pas de conséquence opérationnelle pour Ascoval. En étant optimiste, on peut même se dire que sans l'acier anglais, les débouchés pourraient même augmenter.
Nous sommes néanmoins dans une période d'incertitude. C'est un marché compliqué, il faut qu'Ascoval passe une période difficile à court-terme, et transforme son outil pour la fourniture de rails et pour le train à fil. L'aciérie serait en mesure d'effectuer des livraisons d'ici à septembre. Dans l'intervalle, ce seront des « prix de bananes » qui sacrifieront en partie les marges, car les commandes sont déjà passées pour 2019 et le marché n'en a pas besoin. Nous ferons tout pour que cela réussisse.
L'argent public n'avait pas encore été versé lors de l'annonce de la faillite, à l'exception des 3 millions d'euros de Vallourec, sur qui j'avais fait pression. Le gouvernement était en phase avec la région pour dire : « On y va », ce que je respecte. Je n'aurais peut-être pas pris cette décision si j'avais été un comité d'investissement - c'est d'ailleurs la raison pour lesquelles les banques ne se sont pas engagées. J'admets une décision politique : on a estimé qu'il y avait une chance que cela marche et qu'il fallait négocier. Il faudra maintenant s'assurer qu'il y a des débouchés aval.